Ici, dans ces mêmes colonnes, la télévision publique nationale recevait sa volée de bois vert en diverses occasions. Notamment lorsqu'elle se défendait mal en matière de droits de retransmission de compétions internationales de football. Mais cette fois-ci, force est de reconnaître qu'elle a eu parfaitement raison de ne pas céder à l'outrecuidant diktat du détenteur exclusif des droits de retransmission de la CAN 2017. L'Eptv, et, derrière elle, les pouvoirs publics, a donc bien fait de dire à beIn Sports le fameux et tonitruant mot du général Cambronne aux Anglais, à la bataille de Waterloo : M…e ! Le groupe qatari, qui a racheté au français Lagardère les droits exclusifs de retransmission, exige en effet des chaînes africaines la stratosphérique somme de plus d'un million de dollars pour chaque match diffusé, voire davantage dans le cas où la sélection du pays émetteur parviendrait à se qualifier en quarts de finale au minimum ! Dans cette affaire, c'est le beurre, l'argent du beurre, les charmes de la fermière et le sourire consentant du fermier qui sont ainsi réclamés ! Cette décision digne et réaliste est d'autant plus courageuse qu'elle a un fonds politique. Elle est en tout cas cohérente car conforme à la politique dite de «rationalisation» prônée par l'Exécutif en matière de dépenses publiques. Elle est surtout antipopuliste et antidémagogique. Dans le sens où les pouvoirs publics n'auront pas fait cette fois-ci le choix de caresser les millions de supporters des Verts dans le sens du poil «wantoutriste». Dans le cas contraire, on les aurait accusés de dilapider l'argent public pour acheter momentanément la paix sociale ! D'ailleurs, une partie de l'opinion publique, celle qui s'exprime sur les réseaux sociaux et qui est généralement critique à l'endroit du pouvoir, a bien perçu ce coup-ci le bien-fondé de la décision, saluée dans un élan de consentement quasi unanime ! Mais l'Eptv n'est pas la seule à avoir fait un bras d'honneur à beIn Sports. D'autres pays africains, dont le Maroc, la Tunisie et l'Egypte ont dit non eux aussi, les Egyptiens allant même jusqu'à attaquer en justice le satrape et vénal président de la CAF Issa Hayatou. Le corrompu Camerounais -et c'est heureux- est poursuivi pour corruption et entrave aux lois de la concurrence sur l'attribution des droits de diffusion des compétitions africaines à Sportfive, filiale de Lagardère Sports spécialisée dans la gestion des droits marketing et audiovisuels sportifs. En fin de compte, la décision d'envoyer paître le groupe qatari surligne, et en rouge, la dérive ultralibérale de la CAF. Le constat est consternant : aucune agence africaine de marketing sportif ne détient les droits liés à la CAN ! La CAF avait accordé au groupe français un monopole sur le football africain depuis 2008 et reconduit jusqu'en 2028 à partir de 2016 ! Un privilège exorbitant facilité par l'inamovible ripou Hayatou, surnommé le «Blatter africain». Le groupe français aura joui ainsi d'un monopole absolu qui aura duré vingt ans ! Et il ne s'en est jamais privé pour dicter ses exorbitantes conditions. L'absence d'une autorité de régulation africaine est un facteur qui laisse d'ailleurs place à de telles dérives. La décision de l'Eptv est donc d'autant plus de bon aloi que la CAN coûte désormais deux fois plus cher que la Coupe du Monde ! Depuis son édition de 2011, les droits de retransmission de la CAN ont augmenté de 50% en 2013, puis de 20% en 2015, pour enfin se stabiliser à 1,35 million d'euros par match en 2017 ! Une somme faramineuse qui représente plus que le double des droits de retransmission du Mondial de 2014, et tenez-vous bien, pour moitié moins de matchs ! Une tendance dangereusement inflationniste et absolument irrationnelle. Elle l'est au vu même de l'évolution des différents championnats africains qui ne sont quasiment pas retransmis dans le reste du monde. A ce rythme exponentiel, la CAN, paradoxe amer, pourrait un jour générer plus d'audience en Europe ou en Chine que sur le continent africain ! Pourtant, la solution pour contrecarrer le diktat de beIn Sports et d'un privé comme Lagardère existe. En Amérique du Sud et en Europe, l'Organizacion de Telecomunicaciones Iberoamericanas (OTI) et l'Union Européenne de Radio-Télévision (UER) ont réussi à conjuguer les efforts de leurs pays membres afin d'acquérir les droits de diffusion de leurs compétitions continentales. Cette solution existe aussi à travers l'Union africaine de radiodiffusion (UAR) qui a pu obtenir la révision à la baisse pour les télévisions publiques des coûts de retransmission de la CAN 2017 : Initialement fixé à 900 millions de francs CFA, ces coûts ont été ramenés à 9,3 millions grâce à un accord-cadre avec Lagardère. Un arrangement au goût d'exploit sachant que c'est en mai 2016 que le groupe français avait annoncé l'augmentation des droits de retransmission de la CAN 2017. On est passés alors de 450 millions de francs CFA à 900 millions. Mais les faibles revenus des télés publiques et un coup de pouce plus que présumé du pétrolier français Total auraient favorisé la baisse drastique des droits de retransmission. Pour la première fois, grâce à cet accord arraché le 12 décembre dernier, les 46 membres de l'UAR ont obtenu une réduction globale des droits de retransmission des huit compétitions de la CAF en 2017 et 2018. Mais, en dépit de cette baisse historique des droits, obtenue par les Africains quand ils parviennent à mutualiser leurs efforts et leurs intelligences, plus d'une dizaine de pays principalement anglophones comme le Kenya, la Zambie, le Rwanda, le Liberia ou l'Ethiopie ont décidé de ne pas diffuser les compétitions, jugeant son coût encore trop élevé. Avec cette CAN 2017, télévisuellement boycottée, la CAN risque de ne plus être qu'une compétition presque sans public et petitement francophone ! N. K.