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Inventer une mémoire commune
L'histoire face à l'«amnésie coloniale»
Publié dans La Tribune le 21 - 02 - 2017

A la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance, tenue en 2001 à Durban, sous l'égide des Nations unies, des ONG africaines ont demandé que le trafic d'esclaves, l'esclavage et le colonialisme soient reconnus comme des «crimes contre l'humanité». Un des principaux points de contentieux avec les délégations occidentales concerne la volonté d'anciennes colonies d'obtenir des «réparations». Cette demande, aussi justifiée soit-elle, n'a aucune chance d'aboutir si l'Occident n'effectue pas un retour sur le colonialisme, sur ses crimes, sur l'idéologie qui les a rendus possibles. Il ne s'agit pas seulement de dresser un inventaire, encore que celui-ci fasse souvent frissonner.
«Nulle philanthropie ou théorie raciale ne peut convaincre des gens raisonnables que la préservation d'une tribu de Cafres de l'Afrique du Sud… est plus importante pour l'avenir de l'humanité que l'expansion des grandes nations européennes et de la race blanche en général», écrivait Paul Rohrbach, responsable de l'immigration allemande en Afrique du Sud-Ouest, dans son best-seller publié en 1912, la Pensée allemande dans le monde. Il ajoutait : «Qu'il s'agisse de peuples ou d'individus, des êtres qui ne produisent rien de valeur ne peuvent émettre aucune revendication au droit à l'existence.»
«Supériorité» européenne, «retard» de l'Afrique, «hiérarchie» des civilisations, la théorie de l'évolution appliquée aux sociétés humaines servit de soubassement idéologique à la colonisation. Au XIXe siècle, cette doctrine de la suprématie se trouva confortée par l'invention du concept de «race», concept investi de toute l'aura de la science positive. Désormais, la différence entre les êtres humains ne relève plus de l'explication historique ou culturelle, mais de l'analyse biologique. Comme le note Eric Savarèse, elle «ne se démontre pas, mais se constate (1)». La hiérarchie entre Noirs, Blancs, Jaunes apparaît comme une évidence, au même titre que la rotondité de la Terre.
Tout le monde connaît le fameux discours de Jules Ferry devant la Chambre des députés, le 29 juillet 1885 : «Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le droit de civiliser les races inférieures.» Il réfutait notamment le droit des Noirs de l'Afrique équatoriale à l'égalité. Mais si les Noirs ne sont pas nos égaux, qui sont-ils ? Comment se situent-ils sur l'échelle qui va de l'animal à l'être humain ? Sont-ils même des êtres humains ?
En 1897 fut inventée une munition particulièrement meurtrière, la balle dum-dum. Son utilisation fut prohibée par les Etats «civilisés» dès 1899 par une convention internationale signée à La Haye. Elle fut réservée pour la chasse au gros gibier et… pour les guerres coloniales (2). Au même moment, Heinrich von Treischke, un expert en politique internationale, ose écrire : «Le droit international ne devient que des phrases si l'on veut également appliquer ses principes aux peuples barbares. Pour punir une tribu nègre, il faut brûler ses villages, on n'accomplira rien sans faire d'exemple de la sorte. Si, dans des cas semblables, l'empire allemand appliquait le droit international, ce ne serait pas de l'humanité ou de la justice, mais une faiblesse honteuse.» Ces théories ne sont pas limitées au Vieux Continent. Au terme de sa présidence, l'Américain Theodore Roosevelt, chantre de la colonisation, déclare que, tout compte fait, «l'expansion des races blanches a été porteuse d'avantages durables» pour les peuples «arriérés». Même s'il reconnaît que «certains sauvages s'éteignirent, bien ou mal traités, parce qu'incapables de faire face à la civilisation (3)».
Pendant toute cette période, ce fut bien l'humanité de l'Autre qui fut niée, les «sauvages» étant plus proches de l'animalité, séparés de «nous» par une infranchissable barrière. Ce que remarque Frantz Fanon, dans les Damnés de la terre : «Parfois, ce manichéisme va jusqu'au bout de sa logique et déshumanise le colonisé. A proprement parler, il l'animalise. Et, de fait, le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, au pullulement, au grouillement, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire (4).»
Cette représentation permit à l'Occident de justifier sa domination et son incroyable brutalité. Ainsi prend sens l'usage de la torture durant la guerre d'Algérie. Elle ne fut nullement un «accident», un «excès», une «bavure» due aux circonstances exceptionnelles de la guerre et couverte par des autorités politiques trop lâches ou trop aveugles. Elle fut consubstantielle de la colonisation, dès ses origines. Elle ne fut que le prolongement d'une perception de l'Autre comme fondamentalement différent, comme naturellement inférieur, un Autre qu'il faut «civiliser» et que l'on peut, le cas échéant, éliminer sans remord. Prolonger le débat sur la torture nécessite donc de penser la colonisation.
Du 31 août au 7 septembre 2001, se tient à Durban, en Afrique du Sud, la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance, sous l'égide des Nations unies. Plusieurs thèmes ont été abordés dans des réunions préparatoires. Les ONG africaines ont notamment demandé que le trafic d'esclaves, l'esclavage (5) et le colonialisme soient reconnus comme des «crimes contre l'humanité». Un des principaux points de contentieux avec les délégations occidentales concerne la volonté d'anciennes colonies d'obtenir des «réparations».
Cette demande, aussi justifiée soit-elle, n'a aucune chance d'aboutir si l'Occident n'effectue pas un retour sur le colonialisme, sur ses crimes, sur l'idéologie qui les a rendus possibles. Il ne s'agit pas seulement de dresser un inventaire, encore que celui-ci fasse souvent frissonner. Nous disposons, sur certains des crimes de masse du XXe siècle, d'une quantité de documents et de témoignages. Le génocide des juifs a fait l'objet d'une littérature inépuisable. Les crimes du stalinisme ont été, notamment depuis l'effondrement de l'Union soviétique, très documentés. En revanche, le prix des conquêtes coloniales n'apparaît souvent qu'en note, en filigrane. Lors des affrontements récents à Aceh, en Indonésie, on a pu lire, au détour d'une phrase, que la «pacification» de cette île par les Pays-Bas, au début du XXe siècle, avait coûté 70 000 morts. Aux Philippines, lors d'un reportage sur les prises d'otages occidentaux, on apprend, en note, que la répression d'une insurrection (1899-1907) par les Etats-Unis avait fait 200 000 morts. Dans le Sud-Ouest africain (qui deviendra la Namibie), la conquête allemande s'accompagne d'un génocide commis contre la population Herero dont on commence seulement à reconnaître l'ampleur. «A l'intérieur de la frontière allemande, tout Herero, avec ou sans fusil, avec ou sans bétail, sera fusillé» proclamait courageusement le général Von Trotha, en octobre 1904 (6). On pourrait multiplier les exemples, du Congo martyrisé par le roi Léopold II à l'Inde soumise à la domination britannique. Sans oublier, bien sûr, les massacres de Sétif de 1945 ou la répression de l'insurrection Malgache de 1947.
Il ne s'agit pas seulement d'histoire. La vie de millions d'hommes et de femmes reste affectée aussi bien par les massacres que par la ponction opérée durant des décennies sur les sociétés de ce que l'on devait appeler le tiers-monde. Ce qui justifie d'ailleurs cette demande de «réparations», portée aussi bien par les descendants des esclaves aux Antilles ou aux Etats-Unis que par les pays anciennement colonisés. Cette «dette coloniale» ne pourrait-elle pas s'«échanger» contre la dette du tiers-monde ?
Longtemps, la France a refoulé l'épisode trouble de Vichy. Il a fallu des décennies d'efforts, de recherches, de controverses, pour sortir de l'ère du mensonge. Un travail équivalent est désormais nécessaire pour toute l'histoire de la colonisation. Il est d'autant plus nécessaire que cette «amnésie coloniale» influe aussi, par des voies détournées, sur le destin de la France. Des millions de Français sont originaires des territoires anciennement colonisés. Or, ils sont perçus - contrairement à leurs prédécesseurs italiens ou espagnols - à travers les mêmes prismes, les mêmes clichés, qui ont produit la colonisation. «Les Maghrébins imaginaires des années 80 ressemblent à s'y méprendre aux Arabes connus à travers le filtre des stéréotypes impériaux remarque Eric Savarèse. Fourbes, cruels, voleurs, incapables de se dérober à la sexualité, violents, fanatiques, dangereux, vaniteux, lâches : rien, ou presque, ne manque au portrait établi, un siècle auparavant, par les ethnologues et les voyageurs.» Et il ajoute : «Il n'existe d'ailleurs, aujourd'hui, de problème de l'immigration - identifiée à l'immigration maghrébine - que parce que la question est largement conçue à travers les bribes d'une mémoire coloniale (7).»
Imaginons un moment des jeunes Français feuilletant des manuels d'histoire. Quelle idée en retirera celui dont le père a combattu dans les rangs du FLN ou a tout simplement «subi» la «pacification (8)» ? Comment réagira cet autre, d'origine africaine, devant le silence sur les décennies de colonisation de son pays d'origine ? Et cet autre, d'origine vietnamienne, ou même des Antilles ? Bien sûr, «nos ancêtres les Gaulois» ont disparu. Mais la colonisation, qui se confond avec une grande partie de l'histoire des IIIe, IVe et Ve Républiques - pour ne pas parler de la conquête de l'Algérie -, reste abordée de manière allusive, presque comme s'il s'agissait d'une histoire étrangère, qui ne «nous» concerne pas. Or, pour ces centaines de milliers de Français «issus de l'immigration», cette histoire, transmise par les parents, fait partie de leur identité (9). En ce début de siècle, la réinvention d'une identité française passe par la création d'une «mémoire commune» unificatrice. Une mémoire commune qui redonne à la colonisation la place qu'elle a, sur le plan concret comme sur le plan imaginaire, occupée dans l'histoire de France.
A. G.
(1) Eric Savarèse, Histoire coloniale et immigration, Séguier, Paris, 2000.
(2) Sven Lindqvist, Exterminez toutes ces brutes, Le Serpent à Plumes, Paris, 1998.
(3) Cité par Bouda Etemad, la Possession du monde, Complexe, Bruxelles, 2000.
(4) Frantz Fanon, les Damnés de la terre, Maspero, Paris, 1968.
(5) La France, après un vote du Sénat, a finalement adopté, le 23 mai 2001, une loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité. On ne peut pas dire que la promulgation de cette loi ait suscité un grand intérêt dans les médias.
(6) Cité par Bouda Etemad, la Possession du monde.
(7) Eric Savarèse, op. cit.
(8) Lire, dans ce numéro, l'enquête de Maurice Maschino, «L'histoire expurgée de la guerre d'Algérie».
(9) Lire Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, De l'indigène à l'immigré, Gallimard, Paris. 1998.
In Le Monde diplomatique


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