Quel crédit devons-nous accorder aux éructations de ceux qui, après le 11 septembre 2001, pensent que l'Occident n'est coupable en rien ? «Nous querellons les miséreux pour mieux nous dispenser de les plaindre», Vauvenargues. L'identité occidentale est indissociable d'une « culture de la suprématie»: «La crainte, écrit Sophie Bessis, de devoir abandonner la position hégémonique qui a forgé leur relation au monde est synonyme dans les consciences occidentales, de la peur de voir se dissoudre leur identité» (Sophie Bessis, L'Occident et les autres Histoires d'une suprématie, La Découverte, (2001). Sophie Bessis fait remonter la naissance de l'Occident à 1492, date qui voit coïncider la «découverte» de l'Amérique et l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne. C'est alors que se met en place une «formidable machine à expulser les sources orientales ou non chrétiennes de la civilisation européenne». Ainsi seront gommées ou «oubliées» les sources arabes concernant la culture, l'importance des «routes de la soie» qui étaient autant de routes du commerce que celle de la culture. Oublié aussi l'apport du papier connu en Chine douze siècles auparavant, et mis en oeuvre par Gutenberg, oubliés, enfin, dans le domaine de l'art de la guerre, la poudre et le bitume. Ce dernier a d'ailleurs été utilisé par Saladin pour la prise de Saint Jean d'Acres (Akka), il avait créé un corps spécial appelé «Aanafatoun». La «double appartenance» fondée sur la chrétienté et sur la race qui va légitimer la conquête de l'Amérique. Suivra ensuite l'apparition du discours antinégriste, destiné à légitimer l'esclavage - jusqu'à ce que la rhétorique scientifique, au XVIIIe siècle, prenne le relais du religieux pour nourrir l'argumentaire de l'infériorité de la race noire. Pour Bossuet «l'Aigle de Meaux», conseillait aux esclaves d'accepter leur condition et de ne pas se révolter, car telle est la volonté divine... La colonisation, «cet arbitraire sanglant à mission civilisatrice», va pouvoir se poursuivre - la fin justifie les moyens. Tant et si bien que lorsque adviendra le nazisme, il sera, affirme Sophie Bessis, «le résultat d'une filiation, et non une rupture». Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme) avait raison d'écrire: «Oui, il vaudrait la peine (...) de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle (...) qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme...c'est le crime contre l'homme blanc». Ayant confisqué l'universel pour en faire un outil d'hégémonie, l'Occident a perpétué un écart calamiteux entre les discours et les actes. Son respect des principes qu'il avait énoncés, «directement en fonction de ses intérêts géopolitiques et économiques», a toujours été à géométrie variable. Aujourd'hui, il poursuit son «recours sélectif à l'éthique». Le «droit d'ingérence», le devoir d'ingérence qu'il a pratiqué de tout temps sous des appellations différentes, aurait pu s'avérer un progrès pour l'humanité, s'il n'était pas irréversible. «Les diktats, les silences, les trucages, érigés en autant de stratégies par les diplomaties occidentales, ont contribué à renforcer les tenants des pires replis identitaires dans les pays du Sud et à affaiblir les explorateurs locaux de modernités endogènes fondées sur la croyance en l'universalité de la liberté». Le «barbare», depuis la fin de la guerre froide et son exigence d'un «Satan de rechange», c'est le plus souvent le musulman, d'autant plus effrayant qu'il est proche - à la fois historiquement et à travers la présence des communautés immigrées. L'islam sert de clé pour expliquer tous les conservatismes, toutes les pratiques inhumaines et barbares.