«Fière de promouvoir la culture française à l'étranger, mais aussi d'être fille de harki, la directrice de l'Institut français de Finlande répond à Emmanuel Macron», au sujet de sa qualification des crimes de la colonisation française en Algérie, de «crimes contre l'humanité». C'est le magazine de la droite extrême, parfois plus extrémiste dans ses positions que l'extrême droite elle-même, qui parle ainsi de Jeannette Bougrab, ex-ministre de François Fillon, candidat à l'Elysée et surtout apologiste de la colonisation de l'Algérie. Elle interpelle aussi Emmanuel Macron sur d'autres sujets spécifiquement français, mais c'est l'attribution du statut de «crimes contre l'humanité», qui pose manifestement un sérieux problème de conscience à la fille de harki assumée et fière de l'être, qui suscite en fait notre intérêt d'Algériens. Surtout lorsqu'elle parle aussi, avec une stupéfiante légèreté et une outrecuidante certitude de «ces soldats musulmans torturés et tués par milliers après l'indépendance de l'Algérie, pour avoir été fidèles à la France». En somme, un véritable holocauste ! Mais revenons aux propos de son adresse au candidat à l'Elysée où elle lui dit : «Vous êtes allé en Algérie pour y tenir des propos ahurissants qui assimilent la colonisation française à un crime contre l'humanité et dont la seule justification semble être de vous aider à gagner quelques voix à gauche ou chez des Franco-Algériens à un moment où des quartiers s'embrasent avec l'affaire Théo.» Remarquons ici le lien de cause à effet qu'elle établit entre les déclarations d'Emmanuel Macron à Alger et les réactions de colère en banlieue parisienne après le viol à coup de matraque policière du jeune Théo. Et reprenons par conséquent son adjectif «ahurissant» qualifiant les propos du candidat à la présidence française pour mieux qualifier, à notre tour, ses propres propos. Elle qui trouve «ahurissant» que l'on qualifiât les crimes de la colonisation de «crimes contre l'humanité» pour mieux les minorer, et enfin les absoudre ! La fille de harki, ancienne ministre de droite, reçue avec beaucoup d'égards à Alger où on n'a pas la rancune mémorielle facile, et où l'on tourne certaines pages de la colonisation sans pour autant les déchirer, trouve que «ces déclarations sont incompréhensibles de la part de quelqu'un qui veut être le chef de l'Etat français et qui doit avoir une vision de la France et de sa politique étrangère» ! A ses yeux, le fait même d'être venu en Algérie disqualifie politiquement le candidat à l'Elysée ! Etant donné le tableau absolument noir qu'elle fait de l'Algérie où, selon ses mots de Cassandre en habits de Nostradamus, «la situation politique est illisible, le Président est invisible, les droits de l'Homme et les principes démocratiques sont bafoués, et c'est aussi un des pays les plus corrompus au monde». Mais le meilleur, c'est-à-dire le pire, est encore à venir. N'y trouvant qu'un «sens autre qu'électoraliste» à son voyage, Jeannette Bougrab affirme qu'il «déprécie la notion de crime contre l'humanité qui avait été introduite à Nuremberg pour juger les criminels du IIIe Reich dont le dessein macabre était d'exterminer les juifs d'Europe ou encore les Tziganes». Notons, à ce niveau, la manière par laquelle elle ne voit de «crimes contre l'humanité» que ceux commis par les Nazis contre les Juifs et, accessoirement, contre les Tziganes ! Après ce procès politique en règle contre Emmanuel Macron, Jeannette Bougrab en vient ensuite à faire l'apologie des crimes de la colonisation, en appelant à la rescousse historique Jules Ferry. Ce partisan exalté et actif de l'expansion coloniale, était, de son point de vue de thuriféraire de la colonisation et de ses crimes, «convaincu de la supériorité de notre modèle de civilisation». Partant de ce postulat, il jugeait que «la France avait un devoir moral de répandre ses lumières à des peuples encore plongés dans l'obscurité» ! Mais la cerise sur le gâteau de l'infamie est en fin de sa lettre et elle concerne la réalité du traitement réservé aux harkis après la signature des Accords d'Evian, de part et d'autre de la Méditerranée. Et l'affirmation est une énormité, sous forme de contrevérité historique : «Je suis une fille de harki (…), de ces soldats musulmans torturés et tués par milliers après l'indépendance de l'Algérie, pour avoir été fidèles à la France.» Enfin, si le sujet des harkis porte encore une charge mémorielle passionnée, il ne peut résister cependant à l'épreuve des faits historiques et de la réalité quotidienne des harkis, en France et surtout en Algérie. L'historiographie est claire à ce sujet et le dernier travail en date, celui de l'ancien journaliste et historien Pierre Daum, Le dernier tabou, Les Harkis restés en Algérie après l'Indépendance, est édifiant à ce propos. On les croyait «massacrés par le FLN», ou «rapatriés en France» en masse ! Mais si quelques milliers de harkis, coupables de tortures ou de viols, ont été effectivement exécutés par l'ALN ou lynchés par la foule, et si d'autres, beaucoup moins nombreux qu'on ne l'a écrit ou imaginé, ont été exfiltrés par l'armée coloniale, la grande masse des harkis est demeurée cependant en Algérie. Ils seraient 300 000, selon l'enquête de Pierre Daum publiée aux éditions algérienne Koukou en 2016. Dans Crime et infamie, ses mémoires de militant nationaliste de la première heure (Ed. Casbah), Me Amar Bentoumi, avocat officiel du PPA-Mtld, premier avocat du FLN et premier garde des Sceaux de l'Algérie indépendante, révèle par ailleurs que le président Houari Boumediene avait donné instruction pour que les harkis et leurs familles restées au pays soient protégés contre toute forme d'exactions. Il aura fallu attendre la loi du 5 avril 1999 «relative au moudjahid et au chahid» pour trouver, pour la première fois, une allusion officielle mais discrète aux harkis. L'article 68 précise en effet que «perdent leurs droits civiques et politiques, conformément à la loi en vigueur, les personnes dont les positions pendant la révolution de libération nationale ont été contraires aux intérêts de la patrie et ayant eu un comportement indigne». Or, jusqu'à aujourd'hui, aucun décret d'application ne permet la mise en pratique de cette loi très générale, qui est donc restée lettre morte. N. K.