Au-delà de l'élimination inédite du PS et du parti de la droite républicaine, les deux courants de l'alternance politique sous la Ve République, le premier tour de l'élection présidentielle favorise une profonde reconfiguration du champ politique où les notions classiques de droite et de gauche ne seront plus des marqueurs idéologiques nets. Les oppositions se feront désormais entre trois blocs : celui de l'argent, avec une pondération de la casse sociale, représenté par le tout jeune mouvement En Marche ! d'Emanuel Macron, ainsi que la droite, le centre et les sociaux libéraux du futur défunt PS ; celui du rejet des étrangers, de la préférence française et du repli sur une nation ethnique, représenté par le Front national ; et, enfin, celui d'un projet de rupture politique, de transformation sociale et de sauvegarde écologique, représenté par le mouvement La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Mais, pour nous, Algériens, le second tour de ce scrutin à nul autre pareil, est surtout porteur d'une forte valeur symbolique : il opposera deux visions antithétiques de la France coloniale et deux appréciations aux antipodes du poids mémoriel. Il y a donc Emanuel Macron, premier politique français à reconnaître la colonisation comme un crime contre l'Humanité. Position d'autant plus en avance sur celles de tous les politiques sous la Ve République, qu'il a exhorté l'Etat à «présenter des excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis (…) les crimes terribles, la torture, la barbarie». Emanuel Macron a certes une position avancée en matière de qualification des crimes de la colonisation, mais aurait-il le courage politique nécessaire pour reconnaître officiellement, une fois président de la République, ces «crimes contre l'humanité» ? Et, de ce fait, présenter les excuses officielles de l'Etat français ? On verra bien alors si les propos tenus à Alger à ce sujet n'avaient que des motivations électoralistes. On sait que le candidat Macron, face aux critiques en France, a sitôt fait de mettre de l'eau dans son vin mémoriel en nuançant ses propos pour mieux dire que la colonisation avait aussi ses bons côtés. Vision manichéenne déjà esquissée à Alger lorsqu'il avait dit que «la France a installé les droits de l'Homme en Algérie, mais elle a oublié de les lire». Manière implicite de dire que la colonisation fut pour partie une œuvre de civilisation fondée sur les droits de l'Homme, peu ou prou appliqués aux Algériens indigènes. En somme, comme il l'avait précisé auparavant dans les colonnes d'un magazine parisien, la colonisation fut duale, dans le sens où elle contenait, des «éléments de civilisation» et des «éléments de barbarie». A ce stade de sa réflexion, le probable futur président Macron se place dans une position relativement audacieuse, mais qui est tout de même l'attitude de compromis politique le moins risqué pour lui. Dans le sens où elle se veut équilibrée, alors qu'elle est en fait mitigée. Son adversaire Marine le Pen, bien loin de qualifier de crime contre l'humanité la colonisation, n'est pas trop éloignée des déclarations apologétiques de la colonisation d'Emanuel Macron en France. Elle trouve en effet que «la colonisation a beaucoup apporté, notamment à l'Algérie : des hôpitaux, des routes, des écoles...». Dans la foulée, et sans surprise, elle a réitéré le soutien traditionnel du FN aux harkis et aux rapatriés qui ont été «maltraités, mal accueillis dans leur pays» la France, encore «pire» pour les harkis «mis dans des camps dans des conditions épouvantables». Rien d'étonnant dans ces propos au sujet d'une clientèle historique d'un FN qui ne peut s'en passer. Les positions de l'un et de l'autre attestent encore que la mémoire coloniale est toujours une identité traumatique dans l'Hexagone. De même qu'un terrain glissant pour les politiques qui évitent de condamner les crimes avec clarté et précision, sauf dorénavant dans le cas d'Emanuel Macron. Comme si on redoutait d'ouvrir la fameuse «boîte à chagrin» coloniale que le général de Gaulle s'est empressé de fermer avec ses textes d'amnistie. Et si le temps a favorisé un certain apaisement, la bonne conscience colonialiste n'a pas pour autant été effacée. Comme en témoigne l'article 4 de la loi scélérate du 23 février 2005 sur les «bienfaits de la colonisation». Pourtant, il n'y a jamais eu en France de mémoire nationale de la guerre d'Algérie. Ce conflit fut longtemps un non-dit et un non-lieu. Jusqu'à ce que l'Etat français consente, bien tardivement, en 1999, à le nommer simplement «une guerre». N. K.