Le mouvement populaire d'Al Hoceïma, dans le nord marocain, se poursuit pacifiquement dans les différentes régions du Rif et provinces marocaines, rapportent des médias locaux. Hier, c'était le troisième et le dernier jour de la grève générale des commerçants auquel a appelé Nabil Ahmadjik, un des leaders du mouvement, depuis le 1er juin. Ce jour de grève a été, comme les deux derniers, suivi dans toute la région, excepté le service minimum assuré par un hypermarché, a-t-on appris auprès d'un confrère marocain. La répression qui s'est abattue sur le mouvement et les arrestations en cascade de ses leaders a fini par faire réagir les Organisations non gouvernementales (ONG) internationales de défense des droits de l'homme et des libertés. «Les autorités marocaines ont mené une vague d'arrestations contre des dizaines de manifestants, militants et blogueurs, dans le Rif, au nord du Maroc au cours de la dernière semaine, après des mois de manifestations visant à mettre fin à la marginalisation et pour un meilleur accès aux services dans la région», a dénoncé, vendredi, l'ONG des droits de l'homme, dans un communiqué soulignant que «certains manifestants détenus se sont vu refuser l'accès à leurs avocats pendant leur garde à vue». Certains «portent des marques visibles de blessures», accuse Amnesty qui s'appuie sur des avocats, et dit craindre également que les manifestants pacifiques et les blogueurs qui couvrent les manifestations sur les réseaux sociaux puissent être accusés d'atteinte à la sécurité de l'Etat. «Nous craignons que cette vague d'arrestations soit une tentative délibérée de punir les manifestants du Rif après des mois de dissidence pacifique. Il est essentiel que les autorités marocaines respectent le droit à la liberté d'expression et de réunion», a soutenu l'ONG. Elle ajoute que les accusés ne doivent pas se voir refuser le droit à un procès équitable. Les autorités devraient également veiller à ce que les militants pacifiques ne soient pas condamnés pour des accusations erronées juste pour avoir participé à des manifestations. «Entre le 26 et le 31 mai 2017, les forces de sécurité ont arrêté au moins 71 personnes suite à des manifestations à Al Hoceïma et dans les villes voisines d'Imzouren et Beni Bouayach», affirme AI. Au moins 33 personnes ont été inculpées par le procureur de la monarchie, à Al Hoceïma. Une demande de libérer 26 manifestants en détention préventive a été refusée et l'affaire a été ajournée jusqu'au 6 juin, relève AI. «Beaucoup ont déclaré à leurs avocats avoir été insultés ou menacés de viol par les agents qui les ont arrêtés. D'autres ont déclaré qu'ils ont été forcés de signer des rapports d'interrogatoire falsifiés», rapporte l'organisation des droits de l'homme, qui trouve également «profondément alarmant» que les autorités envisagent des accusations relatives à la sécurité de l'Etat pour punir les militants qui participent aux manifestations pour des revendications sociales. AI a également exprimé des «inquiétudes» sur le viol du principe de présomption d'innocence dans le cas de Zafzafi et d'un autre militant arrêté avec lui, et sur le traitement «inhumain et dégradant» dont ils sont victimes. De son côté, Reporters sans frontières (RSF) dénonce les exactions contre des journalistes venus couvrir les manifestations du «Hirak». Indiquant avoir déjà recensé deux arrestations, trois disparitions et l'expulsion d'un journaliste algérien, Djamel Alilat. RSF accuse également les autorités marocaines de «vouloir étouffer les événements» dans le Rif. Pour Djamal Alilat, «les autorités ont invoqué l'absence d'une autorisation de tournage, prétexte trop souvent utilisé et soumis à l'arbitraire au vu du manque de transparence dans les critères d'octroi de ces autorisations et de l'absence d'une notification de refus motivée dans des délais raisonnables», souligne l'organisation. «Il est essentiel de laisser les journalistes et journalistes-citoyens couvrir les événements du Rif, au risque sinon de voir cette région devenir, comme l'est actuellement le Sahara occidental, une zone de non-droit pour l'information indépendante», soutient Virginie Dangles, rédactrice en chef de RSF, qui appelle les autorités marocaines à libérer «les journalistes-citoyens marocains actuellement détenus pour avoir exercé leur droit d'informer et de faire cesser les menaces et les poursuites à leur encontre». La colère rifaine n'a pas seulement interpellé les ONG, mais elle a aussi dépassé les frontières suscitant l'indignation de la communauté marocaine à l'étranger. Des centaines de personnes ont participé vendredi, en fin d'après-midi, à un sit-in devant le siège des institutions européennes à Bruxelles pour exprimer leur solidarité avec les détenus de la contestation populaire qui secoue, depuis sept mois, El-Hoceïma. Aux cris de «El-Hoceïma en danger», «Non à la militarisation du Rif» ou encore «Non aux arrestations et aux kidnapping», les Marocains de Belgique se sont rassemblés pas loin de la place du rond-point Schuman, à quelques encablures du siège de la Commission européenne et du Conseil de l'Union européenne (UE) à Bruxelles pour exiger la libération du leader du mouvement de contestation, Nasser Zefzafi et de toutes les autres personnes arrêtées depuis vendredi dernier. Les participants au rassemblement, organisé à l'initiative du comité bruxellois du suivi du décès de Mohcine Fikri, brandissaient une banderole avec le portrait du leader emprisonné de la contestation, Nasser Zefzafi et d'autres barrées d'un «Arrêtez-nous, nous sommes tous des activistes», «Nous sommes tous des Zefzafi», ou encore «Etat corrompu». «Dignité pour le Rif», «Makhzen dégage», clamaient les participants au sit-in dont certains brandissaient des drapeaux amazigh et un portrait géant de Abdelkrim El Khetabi, chef du mouvement de résistance contre la France et l'Espagne lors de la guerre du Rif. Halte à la militarisation, libérez les prisonniers, El- Hoceïma assiégée, ont également scandé les protestataires qui ont, comme leurs compatriotes à El-Hoceïma, juré fidélité au Rif. Des slogans récurrents depuis le début du mouvement de contestation qui secoue le nord du Maroc depuis la fin de l'année dernière, à la suite du décès de Mohcine Fikri, un vendeur de poissons mort broyé dans une benne à ordure à El Hoceïma, rapporte la même source. Les organisateurs du rassemblement ont dénoncé, en outre, la corruption, la dilapidation des deniers publics, le sous développement de la région, la répression des manifestants, exigeant la libération des militants du «Hirak errif». Mené par un groupe de militants locaux, ce mouvement «Hirak errif» pose de nombreuses revendications pour le développement du Rif qu'il estime marginalisé. Les organisateurs du sit-in ont promis, par ailleurs, de mener d'autres actions de solidarité avec les détenus du mouvement à travers notamment des contacts avec des organisations de défense de droit de l'homme pour les informer des «violations des droits de l'homme et des libertés générales» commises par l'Etat marocain dans le Rif. A. B.