Dans la sphère des réseaux sociaux et dans une partie de la presse, les déclarations du directeur de cabinet du président de la République et ministre d'Etat, ainsi que celles du ministre des Affaires étrangères au sujet de la migration clandestine subsaharienne, ont été fortement critiquées, d'une part, et favorablement commentées d'autre part. Donc, pour mieux saisir les ressorts de cet accueil mitigé, replaçons alors les déclarations de MM. Ahmed Ouyahia et Abdelkader Messahel dans leur contexte réel. Qu'ont-ils dit au juste ? Ahmed Ouyahia a d'emblée souligné que les migrants issus de différents pays du Sahel et d'Afrique de l'Ouest «sont venus de manière illégale». Il a ensuite rappelé que «la loi algérienne n'autorise pas le recours à la main-d'œuvre étrangère», sauf, comme dans le cas des Chinois qui «exercent dans le cadre de contrats renouvelables conclus avec des entreprises chinoises». Mais le directeur de cabinet du chef de l'Etat ne s'est pas contenté de rappeler le cadre légal de l'emploi, se plaçant, sans hésiter, sur le terrain sensible des risques liés à l'afflux massif des migrants. Il les a alors accusé, sans distinction aucune, d'être «source de crime, de drogue et de plusieurs autres fléaux» ! Une appréciation pour le moins injuste car à caractère essentialiste, qui ne respecte même pas les formes et qui pouvait être à caractère raciste, ce que nombre d'internautes ont d'ailleurs relevé ! Mais, sur le fond, Ahmed Ouyahia n'a pas tort, car une migration massive non contrôlée, apporte effectivement son lot de problèmes sérieux. Mais il n'a pas raison non plus quand il suggère que tous les migrants sont «source de crime, de drogue et de plusieurs autres fléaux» qu'il s'est bien gardé de préciser. Fort heureusement, il s'est montré ensuite un tant soit peu réaliste et un tantinet humain, en affirmant qu'il ne préconise pas d'expulser tous les migrants ! Pour sa part, Abdelkader Messahel, qui a pris le soin de mieux choisir ses mots pour ne point choquer, a estimé que les flux de migrants subsahariens sont une «menace pour la sécurité nationale». Il a tenu à préciser, non sans raison, que «des réseaux organisés sont derrière ce flux massif de migrants clandestins», c'est-à-dire, «une mafia organisée, dont font partie des Algériens, encadre les opérations d'émigration clandestine vers l'Algérie». Une migration qui n'est pas sans lien avec «les réseaux de trafic d'êtres humains, les groupes terroristes et le crime organisé». Et d'ajouter que notre pays, terre traditionnelle de transit, «est devenu un pays de destination pour les migrants clandestins subsahariens». Le phénomène est tel aujourd'hui qu'il relève désormais de «la souveraineté nationale et de notre sécurité». Contrairement à Ahmed Ouyahia, Abdelkader Messahel a, lui, placé le problème dans un contexte plus large, celui du vaste mouvement de déplacements de «20 millions d'Africains» en Afrique «à cause du climat, du chômage, des conflits» armés. Plus intéressant encore, il a mis en évidence le facteur du terrorisme : «5 000 Africains dans les groupes terroristes dans le monde». Comme on le constate, les deux hauts responsables de l'Etat se sont ainsi exprimés sur le sujet épineux de la vaste migration clandestine, laissant entendre qu'il s'agit d'une préoccupation majeure au plus haut sommet de l'Exécutif. Et, hormis l'excès de langage d'Ouyahia et son jugement sans nuances sur les maux consubstantiels à la présence de migrants subsahariens, les deux hauts responsables en question ont, sur le fond, posé sérieusement le problème et délimité les risques y afférant. Leurs propos doivent être également appréciés à l'aune des déclarations précédentes du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur, qui ont évoqué le lancement d'un fichier des réfugiés et l'évaluation de leur situation globale en vue d'une prise en charge humaine et efficiente. MM. Abdelmadjid Tebboune et Noureddine Bédoui avaient alors laissé parler le cœur et la raison. Humanisme sans angélisme, doit être donc un mot d'ordre, mieux, un crédo. Par conséquent, évaluer avec précision la situation humanitaire des réfugiés et les recenser avec la rigueur extrême : identifier pour mieux agir et pour mieux aider. Cette approche humanitaire et pragmatique n'exclut pas pour autant une sérieuse approche sécuritaire du problème, car une immigration clandestine laissée dans la marge et l'opacité, risque fortement d'être un terreau fertile pour le banditisme et surtout le terrorisme. Les groupes terroristes et certaines forces de l'ombre ayant un intérêt évident à provoquer les scénarios libyen ou syrien en Algérie, pourraient y trouver, en nombre suffisant, les recrues nécessaires. Des attentats terroristes perpétrés par les éléments les plus fragiles ou les plus résolus ne sont absolument pas à exclure. Ne jamais l'oublier, une immigration clandestine non identifiée, livrée à elle-même dans la nature, est un vrai cauchemar pour nos services de sécurité qui ont déjà fort à faire dans la lutte contre le terrorisme à l'intérieur du pays et à ses vastes frontières, notamment avec les territoires tunisien, libyen et malien, en proie à un terrorisme désormais enraciné. Il faudrait donc guérir et prévenir, c'est évident. La question des migrations est un sujet de premier plan. L'émotion, en premier lieu les réactions racistes suscitées par la situation de crise actuelle et l'élan de solidarité tout à fait naturel des Algériens, ne doivent cependant pas faire oublier les vrais enjeux de la question. Seule une approche objective et précise des phénomènes de mobilité permettrait l'émergence de la politique migratoire pertinente dont nous avons tant besoin, et qui n'a jamais été définie par les gouvernements successifs qui n'ont pas anticipé les problèmes, tout en les laissant s'accumuler. Cette politique débute donc par le travail de collecte, d'analyse et de diffusion de données rigoureuses et objectives sur les migrations. En somme, commencer déjà par faire pour l'immigration subsaharienne ce qui a été déjà fait pour les réfugiés syriens et palestiniens qui sont identifiés, organisés et bien intégrés. N. K.