Fin juin dernier, le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, annonçait au Parlement la réglementation de la situation des migrants irréguliers africains en Algérie. Une annonce accueillie avec soulagement par les défenseurs des droits de l'homme et des organisations qui s'occupent des questions migratoires. «La présence de nos frères africains dans notre pays sera réglementée et le ministère de l'Intérieur procède actuellement à travers les services de police et de la Gendarmerie au recensement de tous les déplacés», a déclaré M. Tebboune. «Il y a des parties qui veulent ternir l'image de l'Algérie et lui coller l'étiquette de pays raciste. Nous ne sommes pas des racistes, nous sommes des Africains, des Maghrébins et Méditerranéens», a-t-il poursuivi. Mais deux semaines plus tard, soit le 8 juillet, le secrétaire général du RND et directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, déclenchera une véritable tempête en stigmatisant les migrants africains, dans une déclaration jugée «choquante et scandaleuse» par les ONG. «Premièrement, ces gens-là sont venus de manière illégale (…) Deuxièmement, la loi algérienne n'autorise pas le recours à la main-d'œuvre étrangère (…) Ces étrangers en séjour irrégulier sont source de crime, de drogue et de plusieurs autres fléaux», a-t-il lâché. Ces affirmations d'Ouyahia sont considérées comme un désaveu du Premier ministre par ceux qui ont préféré ne pas accorder d'importance à la deuxième partie de sa déclaration. Car le patron du RND, loin de contredire Tebboune, a précisé : «On ne dit pas aux autorités : jetez ces migrants à la mer ou au-delà des déserts. Mais le séjour en Algérie doit obéir à des règles. On ne laissera pas le peuple algérien souffrir de l'anarchie». Ce qui semble être d'ailleurs complémentaires puisque les deux responsables parlent de «réglementation». La question des migrants clandestins étant trop lourde et trop sérieuse, les déclarations d'Ouyahia ont soulevé un tollé général chez la classe politique et la société civile. Amnesty International Algérie et la Ligue Algérienne pour la défense des droits de l'homme ont dénoncé «des propos scandaleux». «De tels propos alimentent le racisme et favorisent la discrimination et le rejet de ces personnes», estime Amnesty international, alors que la Laddh a dénoncé une «campagne raciste et xénophobe» contre les migrants ayant fui les crises de leurs pays. Contradiction ou complémentarité ? Plusieurs partis politiques, dont le FFS, le RCD, le MSP et le PT ont également dénoncé les propos d'Ouyahia, en rappelant les conditions ayant poussé ces personnes vulnérables à rejoindre l'Algérie. Même son allié stratégique au sein des institutions officielles (gouvernement et Parlement notamment) le FLN, a trouvé à critiquer la sortie d'Ahmed Ouyahia. «En termes de sécurité, l'Algérie comme tout autre pays se doit de réglementer l'immigration quelle qu'en soit l'origine. Néanmoins, nous sommes tenus d'adopter un langage plus approprié envers nos frères africains qui ont fui la guerre pour se réfugier sur la terre algérienne», a réagi le chargé de communication du parti, dans une déclaration médiatique. Ouyahia est alors ciblé de toutes parts, mais il n'est pas isolé. Deux jours après ses propos, au cœur d'un cyclone extravagant, c'est le chef de la diplomatie algérienne, Abdelkader Messahel, qui viendra à son secours et confortera ses dires. Mieux encore, M. Messahel développe et explicite les propos d'Ouyahia en évoquant les réseaux criminels derrière la migration clandestine qui «menace la sécurité nationale». «Des réseaux organisés sont derrière ce flux massif de migrants clandestins. Une mafia organisée dont font partie des Algériens encadre les opérations d'émigration clandestine vers l'Algérie», a déclaré, avant-hier, Messahel, en soulignant les liens entre les réseaux de trafic d'êtres humains avec les groupes terroristes et le crime organisé. Selon lui, la menace sur la sécurité nationale «émane d'une mafia organisée comprenant des Algériens qui encadrent les opérations de migration clandestine vers l'Algérie après la fermeture de l'accès libyen du fait de la présence des forces étrangères et de représentants de l`Organisation internationale pour les migrations (OIM)». L'Algérie est en train de prendre «des mesures urgentes» pour faire face au phénomène. «Il est de notre devoir, en tant que gouvernement et en tant qu'Algériens, de défendre la souveraineté nationale et notre sécurité. c'est notre droit», a-t-il affirmé, précisant que 5000 Africains figurent parmi les combattants étrangers au sein des organisations terroristes. Alors, Ouyahia et Messahel ont-ils contredit le chef de l'Exécutif ? des observateurs estiment que les déclarations de Tebboune, Ouyahia et Messahel ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Car la réglementation de la présence des migrants irréguliers n'exclut pas la prise de mesures nécessaires pour la sécurité du pays. C'est ce que font les autres pays.