De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani à Annaba, les groupes de musique naissent, certains fleurissent et réussissent, d'autres survivent l'espace d'un ou deux festivals puis, loin des feux des projecteurs, s'étiolent, retombent dans l'anonymat et disparaissent. Pourtant, cette ville de l'Est algérien essentiellement citadine est connue pour être une pépinière d'artistes, à l'image de feu Mohamed El Kourd, Hassen El Annabi, Hamdi Bennani ou Lotfi Double Kanon. Il faut dire que le conservatoire communal, créé en 1947, a été pour beaucoup dans ce foisonnement en formant et en initiant les jeunes à la musique et à la danse classique et traditionnelle. Mme Rym Hamida, comédienne et grande artiste, directrice de cette structure, a donné un nouveau souffle à cette école et fait un travail admirable en uniformisant les gestes et l'expression du corps dans les différentes danses populaires des régions d'Algérie et tout cela accompagné de musiques du terroir. Aujourd'hui, il existe une vingtaine de troupes musicales de malouf : Toufik Dridi, Ouarda Boutaghane, élève de l'école Hassan El Annabi, Farid Nouri, association Ahbab wa Talamidh Hassan El Annabi, association Essawahel, associations de wilaya pour la culture et le tourisme… Ces groupes ne vivent pas de leur musique. «L'art, dans notre pays, ne fait pas vivre son homme, nous confie un cadre au niveau de la direction de la culture de la wilaya. La plupart des musiciens exercent d'autres professions même s'ils travaillent leur voix et leur musique chaque jour.» Confrontées à des difficultés, indisponibilité et cherté des instruments, des festivals au compte-gouttes et de rares occasions pour se produire en public, ce sont les fêtes de mariage ou de circoncision qui sauvent quelque peu «la mise». On joue devant un public enthousiaste et connaisseur durant toute une soirée où l'on fait découvrir son talent, se surpassant parfois pour être longuement applaudi. Il y a aussi le Festival de la musique citadine qui en est à sa 3e édition et qui draine des dizaines de troupes venues des quatre coins de la wilaya pour participer et surtout se faire connaître et admettre comme troupes musicales. Il y a des artistes qui persistent, résistent et tiennent contre vents et marées ; ils se font une petite place puis grandissent et sont invités un peu partout pour animer des soirées. D'autres brillent l'espace de quelques spectacles puis se défont faute de moyens et disparaissent comme ils sont apparus. Certains parmi ces derniers continuent en solo, deviennent chanteurs et réussissent plus ou moins avec d'autres groupes dont ils deviennent les leaders. Le rap et le rock sont les styles les plus prisés par les jeunes, et il y a au moins une trentaine de groupes à Annaba, nés pour la plupart dans l'enceinte de l'université et dans les quartiers populaires. C'est Lotfi Double Kanon, aujourd'hui une star adulée, qui en a été le précurseur, un exemple de réussite que des centaines de jeunes Bônois essayent d'imiter en marchant sur ses traces et même en innovant parfois. «Les Vikings», «LesYakuza», «Les Black Dancers», «Les Holly Kings», «les Dynamics», «The Killers», «Les 9 mm», «Les Loop Killers», «Les J J» pour ne citer que ceux-là ont été au départ l'expression d'une révolte, d'un refus, d'un mal de vivre qui a donné lieu à des textes dont le langage cru est imprégné d'expressions où l'insulte le dispute à une gestuelle sans équivoque. Puis, ce fut l'évolution vers l'édulcoration, l'adoucissement et le langage «artistiquement correct». La direction de la culture avait su canaliser ce bouillonnement des jeunes en organisant des festivals durant l'été pour ce genre de musique joué désormais devant des familles venues profiter du spectacle. Le langage et la gestuelle avaient changé du tout au tout et c'est surtout la protestation sociale qui en est le thème récurrent, une protestation avec des mots de tous les jours, admis et acceptés par tous, la langue vulgaire ayant été bannie. Le groupe «Les Vikings», formé d'universitaires, est reconnu par tous comme étant l'un des meilleurs groupes de rock de la région. Ce groupe a étudié ce genre musical avant de commencer à chanter en anglais. Très apprécié dans les milieux estudiantins, il est toujours invité pour les anniversaires, les boums et les soirées entre étudiants. Dans leurs études du rock, les membres du groupe ont découvert qu'à l'origine, les rythmes et les sons de ce genre musical sont africains et, donc, il fallait trouver les instruments utilisés par les anciens pour les reproduire dans leurs formes originelles. Ces rockers ont introduit la «tanga» africaine et la «benga » targuie, un rythme du Sud algérien qui existe jusqu'à nos jours. Cette innovation qui plaît beaucoup à Annaba a poussé d'autres jeunes à s'intéresser à ce type de musique pour former plus tard de nouveaux groupes. A Annaba comme ailleurs, les jeunes peuvent créer, innover, aller de l'avant, se prendre en charge et réussir pour peu qu'on leur en donne les moyens et que l'on s'occupe d'eux. Aux pouvoirs publics de trouver les mécanismes à même de repérer ce formidable potentiel, ce réservoir inépuisable qu'est notre jeunesse.