Photo : S. Zoheir De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Le désert culturel, qui a conquis insidieusement presque tous les espaces, venant sur tout et assujettissant tout, a réduit les édifices dédiés à l'art à de simples bâtisses sans âme qui, jadis, vibraient sous les sons des notes musicales, des voix chaudes et pleines de soleil ou des répliques sublimes de ces acteurs adulés par le public. Aujourd'hui, à Annaba comme ailleurs à travers cette Algérie malmenée, à part la petite incursion du Panaf, oasis qui a surgi du néant un certain juillet 2009, le désert a repris «ses droits» et a recouvert de son incommensurable ignorance tout ce qui pourrait éveiller ou réveiller la culture. Pourtant, quelques carrés d'irréductibles, militants inconditionnels de l'expression culturelle, continuent à résister, à naviguer et à aller contre vents et marées pour maintenir et conserver cette flamme si précieuse dans cette obscurité qui a tout enveloppé. De jeunes artistes, des groupes de musique surtout, naissent et disparaissent mais gardent toujours en eux cet amour pour le chant, les instruments musicaux, la danse et, surtout, pour cette ambiance spéciale qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Il faut dire qu'assister à un concert de musique est un événement, tout un rituel et, surtout, une élévation par rapport à une réalité ; c'est une autre dimension, on «entre» dans la musique, on goûte, on se délecte et on en redemande. Pour les jeunes à Annaba, c'est le seul moyen de se défouler et ils ne ratent pas une occasion de faire la fête. Bien sûr, la musique, tous genres confondus est omniprésente. Addoula FTP, ce jeune chanteur de rap, dont le talent se confirme de jour en jour parmi la masse de jeunes lycéens de l'établissement où il poursuit ses études, est fréquemment sollicité pour se produire. «J'aime beaucoup la musique et je crois que je passerai ma vie à en jouer. Cela me permet d'entrer dans un autre monde et de vivre parmi les notes musicales. Quand je chante, je suis pris dans une sorte de tourbillon qui, telle une spirale sans fin, ne s'arrête qu'avec la musique, pour me ramener et me déposer dans la réalité et j'en suis heureux. Les moyens, je n'en ai pas. Mon père m'aide beaucoup avec le peu qu'il a mais j'essaye de m'en sortir en jouant lors des fêtes et des mariages pour acheter de nouveaux instruments. J'ai participé aux festivals organisés pendant l'été et celui programmé à l'occasion de la Fête de l'indépendance et de la jeunesse, à Annaba, et j'ai senti la chaleur du public et son amour pour la musique. Mais que voulez-vous : on ne trouve personne pour s'occuper de tous les jeunes artistes ; alors, on se débrouille comme on peut», dira le jeune artiste. Côté associations, on n'est pas trop porté sur la culture ; on est plutôt versé dans les comités de quartier qui ne s'occupent que des listes de logements. Les présidents élus sont inamovibles et deviennent des abonnés des couloirs de la wilaya, de la daïra ou de l'APC pour demander quelque avantage ou intervenir pour quelque affaire. Sur les 900 associations agréées, il n'y en a que quelques-unes qui s'occupent de culture et celles-ci, dépourvues de moyens parce que jugées «inutiles», périclitent et disparaissent pour ne ressusciter que lors des manifestations organisées par les institutions étatiques (direction de wilaya de la culture, APC, wilaya), ou encore lors de l'affectation des subventions. S'il y a quelques actions culturelles, en dehors de celles organisées et financées par les pouvoirs publics, ce sont ses initiateurs qui en sont à l'origine ; il n'y a pas de mécénat à Annaba. Les opérateurs économiques privés ou publics qui sont prompts à donner à l'occasion du Ramadhan, des fêtes religieuses ou de la rentrée scolaire, rechignent à financer toute action en rapport avec la culture. Il n'y a pas de chapitre pour cela et on n'en voit vraiment pas l'utilité. Alors, on fait semblant d'ignorer la question pour ensuite tout oublier. Pendant ce temps, le désert culturel avance et l'Algérien recule, un désert qu'il faudra reboiser avec une forêt d'hommes cultivés qui sèmeront leurs graines et les arroseront de leur savoir pour que tout renaisse, s'épanouisse et éclose. Hélas ! Ce n'est pas le cas de nos jours et c'est bien dommage !