Photo : S. Zoheir Par Samir Azzoug «Ceux qui ont beaucoup à espérer et rien à perdre seront toujours dangereux.» Cette citation d'Edmund Burke (homme politique et philosophe irlandais du 18e siècle), cadre parfaitement avec le phénomène international de la migration clandestine. Appelés harraga (ceux qui brûlent leurs papiers pour retarder leur expulsion du pays hôte), ces tristes aventuriers des temps modernes tentent de défier par leur entreprise dangereuse les exploits d'Ulysse dans ses errances sur la mer. A une différence près : Ulysse voulait rejoindre sa patrie, le harrag veut la quitter. «L'espoir est une mémoire qui désire», disait Honoré de Balzac. Celle des candidats à la migration clandestine est pleine de fausses vérités –alimentées par les télévisions étrangères et les témoignages erronés des émigrés- et de frustrations réelles vécues au quotidien. Une mixture fatale pour un développement serein de la personne. La belle vie est ailleurs et la misère est ici, pensent, à l'unisson, ces jeunes désabusés. D'où le désespoir. L'absence de modèle social, de repères -il en faut pourtant pour toute navigation- la dégénérescence des valeurs sociales, le chômage, le logement, la gueule de bois après plus d'une décennie de violence, l'absence de perspectives claires et, surtout, l'impatience pèsent lourdement sur les épaules d'une jeunesse qui a majoritairement connu la crise économique mondiale de 1987, le boom démographique, la bureaucratie, la légitimité historique, les différentes réformes du système éducatif, le décalage entre la formation et le marché de l'emploi, les diplômes inutiles, le changement du modèle politique, le terrorisme, l'état d'urgence, le visa, les chaînes satellitaires, l'Internet, le chat, les nouveaux riches, les nouveaux pauvres… il est vrai que c'est désespérant. La démocratisation de l'éducation et de l'enseignement a fait que les mentalités ont évolué. On n'a pas les mêmes aspirations, les mêmes rêves ni les mêmes objectifs selon que l'on soit universitaire ou d'un niveau bas d'instruction. Le jeune d'aujourd'hui n'a pas d'ambitions comparables à celles de ses parents. Un clash de générations. Chômage, avenir incertain, absence de vie culturelle, d'espaces de loisirs, univers sportif désolant, perte de confiance en ses représentants et rapports humains tendus étouffent les nouvelles générations d'Algériens. D'où la violence. Dans les stades, dans les comportements, dans les mots et, surtout, envers soi-même : drogue, prostitution, suicide et harga. Heureusement, ce constat n'est pas général. Les harraga sont-ils des criminels ou des victimes ? Sont-ils à blâmer ou à plaindre ? Les deux peut-être. Ils sont à blâmer autant que l'égoïsme est condamnable. Le véritable courage est d'affronter les difficultés et non pas de les fuir. Pour changer les choses, il faut se battre et non pas se détourner, ne serait-ce que par correction envers ceux qu'on aime. Ils sont à plaindre car «le vrai désespoir est sans réflexion», disait Emile-Auguste Chartier.