De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani «En Algérie, être artiste, homme de lettres ou de culture, cela ne fait pas vivre son homme et on est contraint d'abandonner, du moins pour un temps si ce n'est pour toujours, sa vocation première pour embrasser un autre métier. C'est malheureux mais c'est ça et je pense que rien ne va changer.» C'est ce que nous déclare non sans amertume et avec beaucoup de tristesse Mossadek Zerrougui, un peintre ayant à son actif plusieurs œuvres qui avaient par le passé séduit pas mal d'amateurs et un nombreux public lors des différentes expositions à l'occasion de festivals ou de rencontres. La culture, parent pauvre d'un pays aussi riche que le nôtre, ne trouve pas «preneur», pas de mécènes, pas de protecteurs des arts et de la culture, continue son bonhomme de chemin dans un environnement soumis à la médiocrité et à l'ignorance qui ont tout terrassé. Dans une société qui prime l'ignorance et réprime l'intelligence, on ne peut s'attendre à ce qu'il y ait des lumières ; elles ont quitté ces lieux pour aller s'installer ailleurs et nous concéder de loin le peu de civilisation et de connaissances qui nous touchent à peine. De saint Augustin à Malek Bennabi en passant par Maxime le grammairien, (par lequel l'Afrique a pris possession du latin) Larbi Tebessi, Moufdi Zakaria, Bachir El Ibrahimi et bien d'autres, il ne reste, aujourd'hui, que des vestiges qu'on ressort à l'occasion pour les enterrer vite fait. Aujourd'hui, on ne «fabrique» plus de Mouloud Feraoun, de Mohamed Dib, de Boudjedra ou de Ouettar. Ces hommes par qui la culture algérienne a brillé pour être appréciée et étudiée dans d'autres pays ne sont plus cotés de nos jours. Les temps ont changé, l'argent a tout aplani, tout nivelé et tout se mesure désormais à l'aune du dinar, seule valeur admise. Dans cet environnement où la société a perdu ses repères, parce qu'ayant abandonné sa propre culture, l'artiste et l'homme de culture évoluent dans l'indifférence et dans un anonymat qui les tuent ; la mémoire collective est frappée d'amnésie, l'élite périclite et s'étiole. L'espoir demeure, cependant, et certains pensent que les choses changeront parce que rien ne dure éternellement. «J'espère qu'avec le prochain Président qui sera élu, la culture connaîtra une nouvelle renaissance, nous confie un professeur de littérature au lycée Pierre et Marie Curie. Moi personnellement, j'attends beaucoup du futur Président et du gouvernement qu'il nommera. J'espère une augmentation substantielle du budget alloué à la culture pour lui redonner la place qu'elle mérite, “la ressusciter”. Il faudrait qu'elle nous revienne comme au bon vieux temps ; qu'elle revive et qu'elle croisse parmi nous et nous nous emploierons à la protéger et à l'élever au rang qui lui revient de droit. Vous savez, il n'y a pas meilleur moyen que la lecture pour insuffler la culture. Lire est un plaisir dont nous avons perdu l'habitude. Dans le temps, on lisait tout et partout et on pouvait discuter de littérature, de poésie, d'art et d'histoire. Aujourd'hui, il ne reste plus rien de tout cela. C'est une société de consommation rapide, fast-food, mails pleins de fautes d'orthographe et des SMS “franco-arabes”. Le retour à la lecture est indispensable et je voudrais qu'on introduise cette matière à tous les niveaux. Chaque écolier ou lycéen devra présenter à la fin du trimestre un compte-rendu sur le livre qu'il a lu et sera noté en conséquence.» Pour Cherif Chaalane, artiste peintre, les arts plastiques ont été abandonnés par la tutelle. «Pourtant, il y a des talents qui ne demandent qu'à éclore et à s'exprimer, nous déclare-t-il. Je voudrais que notre futur Président charge le département concerné de s'intéresser beaucoup plus à cette forme d'art en lui consacrant un budget conséquent qui permettra l'organisation de festivals nationaux et internationaux. Il faudrait aussi que l'Etat se porte acquéreur de toiles et d'œuvres pour encourager les artistes à créer encore plus afin d'améliorer leur niveau. Ce serait une bonne chose pour tous. La création de galeries de vente et d'expositions sera nécessaire pour relancer le marché de l'art qui, aujourd'hui, n'existe pas. Les ventes des œuvres se font selon les relations qu'on a. L'artiste est obligé d'aller dans d'autres pays pour faire valoir ses talents. Il est marginalisé et ignoré ici, et même s'il atteint un niveau supérieur, il n'est pas reconnu en tant que tel. Combien de talents ont quitté l'Algérie pour aller s'installer sous d'autres cieux, là où ils sont admis et reconnus ? Il faudrait redonner l'espoir à cette catégorie et la réhabiliter. L'artiste est l'expression d'une civilisation, d'une société d'un «way of life», d'une façon d'être, d'une vision et d'une projection. Il est à l'avant-garde de sa génération et en est le porte-parole, le ‘‘porte-toile''.»