Idée noire ou simple provocation ? Probablement, les deux à la fois. Son auteur, psychiatre de son état, ne devait pas broyer du noir lorsqu'il a pris l'initiative de substituer à l'emblème national une étoffe de couleur identique à celle de ses desseins politiques du jour. Sa démarche est toutefois évidente. Saïd Sadi a cru alors jouer une partie de billard à deux bandes. Politicien roué, il n'ignorait sans doute rien de la symbolique du drapeau national. Il sait assurément que ce n'est pas seulement un attribut conventionnel de l'autorité politique. Il n'ignore pas non plus que ce tissu symbolique est une trame de signes qui a une fonction de rassembleur de la collectivité nationale. Sauf à être un dément qui s'ignore, le chef du RCD ne pouvait perdre de vue que les couleurs nationales ne sont pas l'expression purement textile du «Nous» algérien. Chez tous les peuples du monde, elles sont l'association sang-sacrifice-sol. C'est la sacralisation de ces trois éléments que l'emblème national cristallise. Saïd Sadi ne pouvait pas mépriser l'idée que le drapeau soit l'ADN du patriotisme. En choisissant le noir comme couleur de la provocation politique, il a voulu se placer dans le jeu politique de manière spectaculaire… Provoquez, provoquez, il en restera toujours quelque chose ! Le but est clair : capter au maximum les feux de l'actualité dans la dernière ligne droite de la campagne pour la présidentielle. Sadi, qui a «gelé» les activités de son parti en le mettant en vacance politique, a manifestement recherché l'indice de bruit médiatique le plus élevé en arborant au siège de son parti le drapeau noir, ailleurs emblème de la flibusterie maritime, des chiites libanais ou des anarchistes italiens. Il n'y avait qu'à voir le nombre de «Unes» qui lui ont été consacrées, à charge et à décharge, pour constater l'effet médiatique recherché. Le timing de la provocation est tout aussi évident. Il s'agissait, du même coup, de tondre un peu de laine sur le dos du frère ennemi, le FFS. Surtout, de le faire au moment où ce parti démocratique veut montrer qu'il est capable de mobiliser autour du mot d'ordre de boycott de l'élection présidentielle. Après le président-candidat, qui y a reçu un accueil digne, et le FFS, parti démocratique et responsable qui mobilise dans un contexte peu favorable, voilà que la Kabylie renoue de manière noble avec la politique. Il y a là deux bonnes nouvelles. Les arouch et le RCD, formatés pour lui tailler des croupières, n'ont finalement pas laminé le plus ancien des partis d'opposition dans son fief historique. La Kabylie, qui a enduré le pire en matière de terrorisme, de banditisme, de paupérisation économique et de clochardisation sociale, aspire à un mieux-être et veut l'exprimer par les seules armes de la démocratie. Le coup du drapeau noir, c'est finalement le degré zéro de la provocation et l'art de transformer la politique en un exercice de rase-mottes politicien. Sauf qu'il le fait en jouant avec un symbole très fort, celui du drapeau, fil rouge symbolique de l'appartenance commune à la nation. Ce petit bout de tissu, les couleurs et les signes qu'il arbore, sont le résultat d'une accumulation historique. La première esquisse, un drapeau avec les couleurs vert, rouge et jaune, remonte au début de la Régence turque. La fixation de l'emblème national, sous sa forme actuelle, on la doit à Messali Hadj, divinement inspiré par son épouse qui en fut la première modéliste. Le premier chahid du drapeau algérien fut par ailleurs le Sétifien Sâal Bouzid, tué par balle le 8 mai 1945. Le remplacement de l'emblème national par un chiffon noir en signe de «deuil politique», selon l'argument de Saïd Sadi, est également à lire du point de vue de la loi : l'Etat garantit le respect des symboles de la Révolution, la mémoire des chouhada et la dignité de leurs ayant droits et des moudjahidine. La Constitution énonce les principes de l'hymne national et du drapeau. Le code pénal sanctionne quiconque attente aux symboles de la souveraineté, dont le drapeau, en ne respectant pas les conditions de sa levée sur les places publiques et les institutions de la République. Saïd Sadi le sait. N. K.