à l'époque coloniale et même au lendemain de l'indépendance, la quasi-majorité des populations de Kabylie vivaient dans la campagne. De jolis hameaux émergeaient partout d'un couvert végétal toujours luxuriant. En haute montagne ou au bord de la mer, les villages, par milliers, avaient un style bien propre.Par souci d'économie et, probablement aussi, pour sauvegarder une certaine harmonie d'ensemble, les gens préféraient recourir aux matériaux locaux pour construire leurs foyers, et empruntaient beaucoup aux techniques ancestrales afin d'en assurer le confort. La pierre taillée sur place offrait la solidité du bâti, la chaux blanche immaculée et la tuile rouge en adoucissaient l'aspect aux finitions. Chaque maisonnette avait sa cheminée pour le chauffage durant l'hiver et sa cour intérieure pour se rafraîchir durant les soirées estivales. Il y avait aussi la petite bergerie et l'enclos de volailles. Le mulet et le bœuf pour les labours et les durs travaux . L'homme et l'animal y vivaient en parfaite symbiose avec la nature. Pourtant, on ne développait pas encore de savants discours sur l'environnement. Dans la bourgade, on remarquait aussi la petite mosquée avec son minaret dominant, la koubba de Sidi untel (saint patron des lieux), l'école et les ateliers minuscules des artisans. Il y avait le ferronnier, le bijoutier, l'armurier, le meunier, l'épicier, le cafetier et, surtout, la placette ornée d'une fontaine où l'on venait discuter ou traiter des affaires communes. Chaque foyer avait aussi son potager et son champ d'oliviers où l'on «bricolait» en famille pour tuer le temps libre. La chasse, la pêche, les fêtes foraines et le volontariat constituaient de vrais moments de joie et de communion.Durant les années 1970 et même au début des années 1980, de nombreux touristes étrangers s'y rendaient encore pour s'imprégner de cette ambiance sereine et pleine de simplicité. Des localités comme Ath Yenni, Ighil Ali ou Lakhdaria s'étaient taillé une solide réputation de lieux de villégiature et de repos. Mais, depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Le béton a envahi même le pays profond. Désertés, les bourgs les plus éloignés tombent en ruine. D'autres comme, justement, Ighil Ali, Lakhdaria ou Ath Yenni ont été complètement pervertis par les faux luxes d'aujourd'hui. Cependant, il reste encore des villages typiques qui, même abandonnés, sont encore en très bon état de conservation. Ils gardent jalousement leur spécificité et représentent un patrimoine d'une grande valeur culturelle. C'est le cas pour les villages traditionnels d'Aït Amar Ouzeguène (Ighrem) et de Djebla (Beni Ksila) dans la wilaya de Béjaïa. Des initiatives louables commencent à germer pour leur redonner une seconde jeunesse. Une première expérience de restauration est actuellement en œuvre à Djebla. Bénéficiant d'une aide de l'Union européenne dans le cadre d'un projet d'appui aux associations, le village renoue avec sa vocation de station dédiée à l'écotourisme. Bon nombre de maisons sont déjà entièrement restaurées. «Reconstruction des pans de mur tombés, crépissage, boiserie, soupente….Tout a été remis dans son état initial. Seuls les étables ont changé de vocation, elles ont été reconverties en sanitaires ; unique dérogation, d'ailleurs, prise par mesure d'hygiène notamment, à l'endroit de l'architecture traditionnelle kabyle», annoncent fièrement les promoteurs de ce projet qui s'attendent à recevoir leurs premiers clients au cours de l'été prochain. Avec une main-d'œuvre et des matériaux locaux, le comité de village de Djebla est en train de réussir son pari. «Nous avons réalisé plus de 50% du projet et pour l'instant nous n'avons rencontré aucun obstacle. Les craintes que nous avons éprouvé au départ concernant le recrutement d'une main-d'œuvre traditionnelle et qualifiée se sont vite dissipées. Nos ouvriers se débrouillent finalement bien,», a récemment déclaré le président de ce comité dans les colonnes d'un confrère. On a même replanté les arbres qui poussaient autrefois dans ce hameau perché à 700 mètres au-dessus des plages dorées de la côté Ouest béjaouie. Oliviers, figuiers, frênes, caroubiers, chênes recommencent déjà à respirer l'air du large. L'APC a mis également la main à la pâte en se chargeant du réseau d'assainissement. L'entreprise est vraiment trop belle et mérite d'être rééditée dans d'autres patelins de la région. Les comités de villages et les APC de la wilaya doivent absolument reprendre l'exemple des montagnards de Djebla. L'idée est incontestablement géniale.