Les harraga font et défont l'actualité depuis quelques années déjà. Ils occupent constamment le devant de la scène. Chacun y va de sa propre recette pour expliquer les motivations profondes de ces «brûleurs de frontières» avant de déboucher sur les risques et les conséquences de ce phénomène tant appréhendé par un Occident vieillissant et paranoïaque. Des ministères entiers sont créés dans les grandes démocraties pour repousser les assauts «conquérants» de ces voyageurs de l'interdit. A l'approche de la saison estivale, période propice pour ce genre d'équipées non autorisées, les lignes de partage -imaginaires, bien sûr- sont mises automatiquement sous haute surveillance. L'alerte passe au maximum au sein des forces navales et parmi les gardes frontières. Les traqueurs de pirogues et de caravanes pédestres étalent leur zèle sur toute l'étendue de la mer et du désert. Politiques et scientifiques expliquent souvent cette fièvre migratoire par la pauvreté, le chômage ou la restriction des libertés civiques dans les pays du Sud. «Notre pays ne peut pas accueillir à lui seul toute la misère du monde», claironne-t-on à chaque occasion. Cet argument, un peu éculé, a certes son poids mais il ne peut, à lui seul, tout justifier. L'homme est fondamentalement un être rêveur. Il aspire toujours à réduire les distances, à aller toujours au-delà, à voyager pour se découvrir à travers les autres. Depuis la nuit des temps, l'être humain -comme n'importe quel autre animal du reste- s'ennuie et répond à cet appel instinctif au voyage pour échapper à son propre destin. D'illustres voyageurs ont sillonné le monde à pied rien que pour le voir. Ibn Batouta, Si Mohand u M'hand ou Lord Byron, pour ne citer que ces trois-là, traduisent parfaitement ce désir naturel de s'affranchir de la monotonie du présent, cette démangeaison curieuse à connaître autre chose que soi-même. «L'univers est une espèce de livre dont on n'a lu que la première page quand on n'a vu que son pays», disait de son vivant le dernier cité. Si on met un homme dans un paradis barbelé, il finira instinctivement par sauter dans la bouche d'un volcan. Les Français qui partent par milliers à la conquête du Québec, de l'Irlande ou des Etats-Unis sont-ils tous des crève-la-faim ? Les Russes qui se ruent par centaines sur les côtes espagnoles sont-ils des candidats potentiels au travail dans un champ de patates en Andalousie ? Les Américains qui plient bagage pour s'installer à Hong-Kong, à Bangkok ou à Abu Dabi souffrent-ils de malnutrition ? Assurément non ! Pourquoi pense-t-on l'inverse lorsqu'un Africain ou un Latino manifeste son attrait pour un autre continent ? Aucun séminaire n'a réussi pour le moment à répondre à cette question. Les statistiques parlent aujourd'hui de 170 millions de migrants légaux dans le monde et évaluent le nombre des clandestins à 20 millions, dont 4 millions en Europe. Une infime proportion qui ne justifie pas cette incroyable levée de boucliers. Dans l'absolu, ce faux problème de l'émigration clandestine n'a pas lieu d'être. Il cache mal une certaine volonté du monde dit développé à «prolonger» sa tutelle civilisatrice sur les contrées qui le sont un peu moins. El harga est ainsi devenue un moyen de pression politique comme un autre. Nos colloques sur ce dossier ne servent à rien car la clé, la vraie, se trouve de l'autre côté. De nombreux experts estiment que la solution réside dans un développement global qui soit soucieux d'établir, sur toute la terre, le plus d'équilibre possible entre les croissances économiques et les responsabilités sociales. «Un autre monde humain est possible si on le veut : un monde plus juste, plus équitable, plus durable, plus solidaire. Surtout un monde dont l'économie serait davantage complémentaire que concurrentielle», note l'anthropologue français, Pierre Bamony, qui a consacré plusieurs études à ce sujet. K. A.