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Un visa pour la mort
RENCONTRE NATIONALE AUTOUR DU PHENOMÈNE HARRAGA
Publié dans L'Expression le 29 - 09 - 2007

Beaucoup de jeunes Algériens n'hésitent pas à payer au prix fort, entre 400.000 et 800.000 dinars, le ticket qui mène droit à la mort.
«Je suis un harraga. Je n'ai pas pu obtenir mon visa. J'ai donc décidé d'opter pour l'autre voie: celle de l'immigration clandestine. C'est le témoignage de Mohamed» originaire de l'ouest du pays (Aïn Témouchent).
Un témoignage lapidaire qui a laissé les conférenciers sans voix et sur leur faim. Son compagnon, Boudjenane, n'a guère été plus bavard. Il a employé un autre moyen: la voie terrestre. Il se souvient même du jour où il a tenté l'aventure. «C'était un 17 juin 2002. On est partis de Maghnia pour traverser le territoire marocain. Arrivés à Melilla nous avons été interceptés par la police espagnoles qui nous a remis aux autorités marocaines». On n'en saura pas plus. Le ministre de la Solidarité nationale, M.Djamel Ouled Abbès, dont le département accueillait la conférence-débat autour du «phénomène harraga» marque un petit temps d'arrêt. Il est quelque peu surpris. Il s'attendait à ce que ses invités soient plus prolixes.
«Le thème qui préside à l'organisation de cette rencontre aujourd'hui nous touche dans notre âme car ces départs qui se répètent vers des contrées lointaines ne peuvent passer sous silence, compte tenu de leurs conséquences sur notre chair et sur notre pays», a déclaré M.Ouled Abbès lors de l'allocution d'ouverture de la rencontre-débat. L'assistance attendait avec impatience et curiosité les témoignages annoncés de deux anciens harraga. Mohamed et Boudjenane. Deux jeunes Algériens originaires de Aïn Témouchent. Une ville de l'ouest algérien qui est devenue un des points de départ privilégiés des candidats à l'immigration clandestine. Nos deux témoins sont pour le moment muets. Ils attendent sagement qu'on leur donne la parole. Les interventions s'enchaînent. C'est autour du représentant de la Marine nationale. Les chiffres tombent. «2340 harraga ont été interceptés depuis 2005 sur ou au large des côtes algériennes. C'est le lieutenant-colonel Youcef Zrizer qui est chargé de la communication. 1302 d'entre eux ont été sauvés d'une mort certaine», a expliqué l'officier des Forces navales algériennes.
Que se passe-t-il à ce moment-là dans la tête de Mohamed. Est-il en train de dérouler le film. Se revoit-il en pleine mer, au beau milieu de la Méditerranée si souvent décrite comme un lac paisible. Combien de corps a-t-elle engloutis? Mohamed est certainement en train de se remémorer le début du déferlement des vagues. La Méditerranée se réveille. Une proie facile se pointe. Une frêle embarcation. Un canot d'infortune. La Méditerranée se dresse en rempart. «L'eldorado» est à ce prix.
Il faut vaincre ces énormes masses d'eau «chargées» de vous assommer. Les vagues repartent à l'assaut. Le choc est de plus en plus sec et répété. La peur gagne Mohamed et ses compagnons. L'autre rive risque de ne pas être atteinte. Tous les beaux scénarios imaginés se défont. Les rêves les plus fous s'écroulent. Les gardes-côtes algériennes les interceptent. Le lieutenant-colonel Zrizer continue à égrener ses chiffres. «Jusqu'en septembre de l'année 2007, 918 harraga ont été secourus. 1382 ont été interceptés par les Forces de la marine nationale en 2006 alors que leur nombre, en 2005 ne s'élevait qu'à 336».
La hausse est spectaculaire. L'émigration clandestine s'opérait à partir de Beni Saf (wilaya de Aïn Témouchent) avant le mois de septembre 2005. La région d'où est natif Mohamed.
Dans quelle peau ne sent-il? Celle du héros malheureux ou celle de délinquant malgré lui, exhibé telle une bête de foire? Nous étions curieux d'entendre une de ces voix représentatives de cette frange de la population algérienne.
Il est resté tétanisé. Culpabilise-t-il?. Ce sont les chiffres qui, une fois de plus, nous renseignent. 54% des jeunes harraga ont entre 18 et 28 ans. 36% ont un niveau moyen. 90% d'entre eux n'ont ni emploi ni qualification. C'est le portrait-type des jeunes candidats à l'immigration clandestine. M.Tiaïbia, directeur au ministère de la Solidarité nationale en a fait la communication sur les ondes de la Chaîne III. Malgré la vigilance des Forces navales, le nombre des harraga est en constante progression, surtout entre l'année 2005-2006.
La courbe semble néanmoins connaître une certaine baisse pour l'année en cours. Le phénomène a cependant fait tâche d'huile au niveau de la côte est avec comme destination l'Italie. «A Annaba, 442 harraga ont été interceptés en mer au cours d'opérations de recherche et de sauvetage», a précisé le lieutenant-colonel Zrizer. Plus de 1500 Algériens ont débarqué en Italie depuis le début de l'année 2007.
La rencontre-débat autour du phénomène des harraga a surtout mis l'accent sur le manque d'information et sur le vide juridique qui l'entoure. Le ministre de la Solidarité nationale qui a présidé les travaux de cette rencontre a rappelé l'existence d'une cellule intersectorielle de lutte contre l'immigration clandestine. Il a annoncé, par ailleurs, la création prochaine d'un observatoire méditerranéen chargé de la défense et de la promotion des droits de l'homme.
Toute la problématique repose en fait sur le démantèlement de ces réseaux qui font fortune sur la détresse de jeunes gens désocialisés et marginalisés au sein de leur propre société. On a eu les hittistes, les trabendistes...aujourd'hui des harraga qui paient entre 400.000 et 800.000DA pour un chimérique avenir ailleurs. Cela se traduit quelquefois par un visa sans retour. Un visa pour la mort.


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