Photo : Sahel Par Abderrahmane Semmar Indifférent, dégoûté, blasé et insensible aux enjeux de la cité, longue est encore la liste des défauts dont on affuble l'Algérien au quotidien. Il faut dire que l'état lamentable et piteux de nos quartiers, de nos villes et de nos places publiques laisse transparaître chaque jour un manque de civisme criant dans le comportement des citoyens. A bien des égards, l'engagement citoyen laisse à désirer dans notre pays. Mais est-ce là une vérité implacable ? Autrement dit, les Algériens sont-ils tous insoucieux de la chose publique ? Fort heureusement, non. Dans un océan de «je m'en foutisme», des gouttes de responsabilité se font remarquer. En effet, des comités de quartier, des collectifs de citoyens et des associations existent un peu partout sur le territoire national. Faisant preuve d'une véritable participation volontaire à la vie collective, des habitants, des citoyens, des personnes engagées, que ce soit dans le cadre d'organisations existantes ou dans le cadre de projets à court ou à long terme, se mobilisent pour dénoncer l'arbitraire des administrations locales, les incuries des APC, et lutter contre les activités illicites survenues dans leurs quartiers, la spéculation foncière, le banditisme, les atteintes à l'environnement, etc. Militant pour l'amélioration du cadre de vie du quartier au profit de l'ensemble des habitants et l'amélioration de la convivialité, nombreux sont les Algériens qui s'organisent pour défendre leurs conditions de vie au quotidien ou valoriser leur environnement local. Rien qu'à Alger, ils ne seraient pas moins de 80 comités de quartier qui se sont créés, depuis la fin des années 80, en résistance à ce que les habitants considèrent comme une menace pour eux-mêmes et pour un environnement qu'ils veulent sauvegarder. Néanmoins, rares sont ceux qui parviennent à se structurer dans la durée en se développant autour de projets plus globaux, qui visent à renforcer le lien social et à améliorer les conditions de vie. C'est seulement à ce moment-là qu'on peut dire que ces comités deviennent généralistes dans la mesure où ils sont capables d'aborder toutes les questions qui ont trait à la qualité de la vie dans le quartier. Discrédités et diabolisés par les autorités locales Par ailleurs, force est de constater que, dans notre pays, ces comités de quartier jouent difficilement leur rôle de relais vis-à-vis des institutions publiques à différents niveaux, par exemple en permettant un échange d'informations entre les habitants et les pouvoirs publics. Si, sous d'autres cieux, un comité de quartier peut aussi être considéré comme un interlocuteur privilégié dans le cadre de concertations préalables à des décisions touchant le quartier ou la commune dans son ensemble, en Algérie la dialogue est rarement de mise. N'étant guère associés à un projet mené en collaboration avec des pouvoirs locaux et d'autres partenaires ou encore être soutenus pour développer leur propres initiatives, les comités de quartier sont même mis en marge de la gestion locale des affaires publiques et se retrouvent carrément discrédités et diabolisés lorsqu'ils dénoncent des affaires de corruption ou de graves violations de la loi. A ce propos, les habitants de la rue Remli, à Bouzaréah, en ont fait l'amère expérience. Eux qui n'ont guère cessé de lutter, en constituant un collectif citoyen, contre les travaux de construction d'un immeuble non conforme aux règles élémentaires de l'urbanisme se sont vus ignorés par la wilaya d'Alger et l'APC de Bouzaréah et déboutés, qui plus est, à maintes reprises par la justice. Et pourtant, depuis le début des travaux de nivellement du terrain, rien ne semblait conforme dans ce chantier dirigé par une certaine Sarl Confort Algérie, visiblement dans les bonnes grâces des autorités locales. Plusieurs courriers ont été dès lors adressés à la commune de Bouzaréah par les habitants du quartier depuis février 2007. Quelques mois plus tard, une mise en demeure a bel et bien été lancée par l'APC à destination de l'entrepreneur qui troublait la tranquillité du quartier en s'adonnant à des travaux nocturnes sans la moindre autorisation. Faisant fi de cette mise en demeure, l'entrepreneur a continué ses travaux à un rythme effréné. Mais le collectif citoyen du quartier Ali Remli a relancé les autorités locales en attirant leur attention sur le caractère illicite du chantier en question. En septembre 2008, une deuxième mise en demeure a été adressée par la direction de l'urbanisme à l'entrepreneur avec comme mention particulière : «Faute de vous soumettre à exécuter la présente mise en demeure dans l'immédiat, des poursuites judiciaires pourront être engagées à votre encontre suivant la loi 90/29 du 1er décembre 1990, complétée par la loi 05/04 du 14 août 2004.» Mais ces lois continuent d'être bafouées sans aucun scrupule puisque le chantier ne cesse de s'agrandir au vu et au su de tout le monde, y compris des services de sécurité qui n'ont pas donné suite aux plaintes déposées par les citoyens d'Ali Remli pour tapage nocturne. Mais ne voulant pas plier face à l'arbitraire, le collectif citoyen du quartier a engagé une action en justice contre l'entrepreneur voyou. Et, là encore, la décision est tombée tel un couperet : «Le tribunal est incompétent pour ce genre d'affaires… » ! L'affaire a donc été renvoyée devant un autre tribunal qui, lui, vient de donner raison à l'entrepreneur ! «Nous avons fait appel de cette décision qui n'a aucun sens puisque l'entrepreneur, pour se défendre, a présenté un document du CTC qui n'est plus valide. En revanche, nous, nous Détenons toutes les copies des services de la direction de l'urbanisme et de la construction [DUCH], dont les deux mises en demeure pour l'arrêt immédiat des travaux qui contestent leur conformité aux prescriptions du permis de construire. Nous avons saisi les ministères de l'Habitat et de l'Intérieur. Nous avons écrit à la présidence de la République. Nous n'allons pas nous arrêter de défendre notre quartier et de le protéger contre les prédateurs. Nous poursuivrons notre combat jusqu'à ce que nos droits triomphent», déclare avec beaucoup de détermination El Hadi, porte-parole du collectif citoyen du quartier Ali Remli. Des parcours comme celui du collectif citoyen d'Ali Remli sont légion dans toutes les wilayas du pays. De nombreux comités de quartier ont dû recourir à la justice pour protéger leur «houma» des manœuvres mafieuses. On ne compte plus les menaces et les intimidations dont plusieurs comités de quartier ont fait l'objet alors qu'ils ne faisaient que défendre les intérêts des citoyens. Il est en ainsi de Mokdad, président d'un comité de quartier à Birtouta, qui s'est élevé contre le trafic du foncier dans les environs de son quartier. Un trafic qui allait donner naissance à une urbanisation anarchique, laquelle aurait pu détruire les espaces verts du quartier. Mokdad, qui a porté l'affaire devant les tribunaux, a reçu des menaces de mort qui ont mis en émoi toute sa famille. Dieu merci, le pire a été évité ! En 2005, à Gué de Constantine, deux comités de quartier, à savoir Ramli 1 (bidonville) et Casnef, auxquels s'est ajouté le comité de Gué de Constantine- centre ont procédé, durant toute une journée, à la fermeture du siège de l'APC en protestation contre le «grand flou» entourant un projet de 520 logements destinés à leur relogement. Sans une telle action spectaculaire, le wali délégué de Bir Mourad Raïs n'aurait jamais pris acte de leurs revendications. Et pourtant, leur vie dans les baraquements est digne d'un tableau de misère. A Ghardaïa, lors de la terrible crue de l'oued M'zab, qui a ravagé toute la ville, les comités de quartier ont joué un rôle important et stratégique dans la prise en charge des sinistrés. Des centaines de familles ont pu être secourues grâce aux aides acheminées et gérées par ces comités alors que les autorités locales n'ont même pas pu dresser une liste exhaustive des sinistrés. Cet exemple nous renseigne assez sur le rôle majeur qu'occupent les comités de quartier dans un milieu urbain. Aujourd'hui encore, dans la lutte face aux fléaux sociaux, leur contribution est incontournable. En ce sens, il n'a de cesse de plaider pour un renforcement de la coopération avec ces comités pour garantir la qualité de la transmission du message de sensibilisation des jeunes aux dangers de la toxicomanie, outre la connaissance des types de drogue et les préjudices en découlant sur la santé du citoyen, la société et l'économie. L'objectif visé est d'organiser les encadreurs dans le cadre d'un réseau de wilaya, l'échange et l'actualisation des informations et l'évaluation des prestations et activités du réseau tous les quatre ou cinq mois. Toutefois, ce n'est guère une tâche aisée car, confronté à des procédures bureaucratiques très lourdes, une administration locale peu soucieuse de l'implication citoyenne, des habitants indifférents et rarement volontaires, le combat des comités de quartier tombe peu à peu dans la désuétude. Pour preuve, aujourd'hui, les comités de quartier ne représentent que 4,14% des quelque 81 000 associations recensées, en Algérie, alors que 31,8% du mouvement associatif est incarné par des associations de parents d'élèves et 26,3% par des associations religieuses. Place aux régies de quartier Mais, comme dans toutes les mers orageuses, il y a des planches de salut : une nouvelle initiative est née. Une initiative qui peut bel et bien sauver les comités de quartier de la disparition. Une expression symbolique, simple et forte, résume entièrement l'esprit de ce projet : «Takatouf el Hadari». C'est le nom donné aux régies de quartier créées dans notre pays entre 2005 et 2006. Basées sur le modèle français du triptyque partenarial faisant participer les habitants, les collectivités locales et les bailleurs sociaux, elles interviennent dans la gestion d'un territoire bien défini. Une gestion collective à la fois technique (entretien, rénovation, embellissement…) et sociale (créer du lien social, de l'entraide, et de la citoyenneté…) faite par les habitants et pour les habitants de ces quartiers. Ainsi, une régie de quartier regroupe collectivités locales, logeurs sociaux et habitants du ou des quartiers qui composent son territoire. Ensemble, ils interviennent dans la gestion urbaine de cet espace géographique et social sur lequel se fonde son action. Sa mission technique est d'entretenir, d'embellir et de veiller sur le quartier. Elle se traduit, d'ailleurs, par une activité économique qui favorise l'insertion sociale et professionnelle d'habitants en difficulté et l'émergence de nouveaux services. Lancées par l'Agence de développement social (ADS) et le ministère algérien de la Solidarité nationale, qui ont sollicité l'aide et l'expérience française du Comité national de liaison des régies de quartier (CNLRQ), en 2005, quatre régies de quartier ont été créées pour le moment. La première est située à Constantine dans le quartier de Kouhil Lakhdar, la seconde à Alger dans le quartier de Bachdjarah, une autre à Oran au niveau de Sidi El Houari et, enfin, une quatrième à la cité 312 logement de Aïn Témouchent. Forte de ces résultats probants qui ont été accomplis, l'ADS prévoit la généralisation «progressive» des régies de quartier dans d'autres régions du pays. La chargée du suivi de ces opérations à l'ADS, Mme Ragouba El Kaïma, a précisé récemment qu'une cinquantaine de quartiers bénéficieront à l'avenir de cette forme d'organisation du mouvement associatif appelé communément «Takatouf Hadari». Il faut dire que, depuis 2007, dans le cadre de ces 4 régies pilotes, plusieurs actions à caractères social et environnemental ont été mises en œuvre. Des jeunes ont pris en compte la collecte des ordures ménagères, l'entretien et la réhabilitation des espaces verts, l'organisation de campagnes de sensibilisation, la célébration de journées mondiales, etc. Aujourd'hui, beaucoup d'espoirs reposent sur ces régies de quartier. Elles pourront, enfin, revitaliser nos quartiers et nos villes que l'indifférence générale et la démission des pouvoirs publics plongent dans une inertie effrayante et dangereuse.