Il aura fallu un cyclone dévastateur pour que le monde comprenne finalement la nature du régime birman : une junte militaire confortablement installée dans des palais fastueux, véritables remparts contre la force de Nargis. Côté rizières, les cadavres continuent de flotter, de pourrir et de se décomposer, annonçant une catastrophe humanitaire. Des épidémies de dengue et de paludisme sont à prévoir. De quoi inquiéter les tenants du pouvoir militaire. Qu'ils crèvent de faim ces Birmans, le treillis ne se laissera pas froisser par une société mondiale, accusée de vouloir organiser une «ingérence humanitaire» à travers les sentiers de la compassion. Craignant d'être mis à nu, les militaires de Rangoon choisissent de garder la main haute sur la distribution des aides en provenance de l'étranger. Qu'il pleuve des critiques ou des sacs de riz made in Occident. Jusqu'à présent, la nation birmane n'a pas besoin de travailleurs humanitaires, a déclaré un haut galonné de l'armée. Comme ses semblables, il ne signera pas de visas d'entrée en chaîne. Les Occidentaux sont invités à rester chez eux, le régime de Rangoon a appris à se débrouiller comme il le peut. Comme il le veut, la formulation serait plus appropriée au drame actuel. Car, faut-il le rappeler, la junte birmane n'a pas jugé vital de reporter un récent référendum. L'essentiel est de se maintenir au pouvoir et de le renforcer si nécessaire. Et ce n'est pas une catastrophe naturelle de cette ampleur qui déstabilisera les hommes en vert. Autoriseront-ils l'ouverture d'un pont aérien qui passerait au-dessus de leurs forteresses, à l'abri de la faim, de la soif et des déluges ? Trop risquée, semble-t-il, l'idée de Bang Ki-moon qui trouve inacceptables les lenteurs avec lesquelles la junte birmane est en train d'opérer. Mais rien ne l'oblige à accélérer le rythme d'autant plus que l'Union européenne vient d'émettre une fin de non-recevoir à un projet onusien présenté par la France. Le Conseil de sécurité n'imposera pas au régime birman une aide internationale, l'ONU choisit de régler le différend à l'amiable. A défaut d'énerver W. Bush qui a exhorté la communauté internationale à condamner fermement l'une de ses nombreuses bêtes noires dans le monde. Et d'agacer Bernard Kouchner qui, depuis le Kosovo, ne fait que constater l'impossibilité de l'ingérence par la voie de l'humanitaire. Autant qu'Angela Merkel qui a revu ses engagements à la baisse après une «reprise» de dialogue entre les autorités de Pékin et le dalaï-lama. De quelle ingéniosité devraient faire preuve les dirigeants occidentaux pour amener le régime de Rangoon à se désister, à ouvrir lui-même les cartons de l'aide étrangère ? Quasiment aucune, l'obstination de Khartoum d'ouvrir les portes du Darfour fait rappeler les pires souvenirs. A moins que les Occidentaux «sous-traitent» via des pays dont le degré de confiance est plus appréciable par les généraux birmans. Car les alliés de ces derniers se comptent sur les doigts de la main. La Chine populaire serait-elle sollicitée pour acheminer les aides internationales en Birmanie ? Frappée elle-même par un séisme des plus meurtriers, ses autorités militaires sont occupées à larguer les vivres aux survivants auxquels le Premier ministre a promis une vie plus décente dorénavant. Les populations birmanes auront-elles droit à de pareilles promesses qu'elles soient ou non tenues demain ? A la place du riz, on continuera de leur offrir au souper une poignée de dictateurs imperturbables. A. D.