Entretien réalisé par Amel Bouakba LA TRIBUNE : La nocivité du tabac et sa responsabilité dans de nombreuses maladies ont été démontrées depuis longtemps. Quelles sont, professeur, les maladies liées au tabac ? Professeur Nafti : Le tabac représente, en effet, un véritable danger pour la santé de tous. Les effets du tabagisme sur la santé constituent un fait scientifique indiscutable. A l'instar de la cocaïne ou de l'héroïne, le tabac est une drogue. De récentes études ont révélé que la dépendance à la nicotine est trois plus puissante qu'à la cocaïne. Le tabac est en fait un cocktail de produits toxiques responsables de quelque 25 maladies. Les cancers sont les principales maladies liées au tabac. Le cancer du poumon est le cancer le plus fréquent. Mais d'autres types de cancer sont associés au tabagisme comme les cancers du larynx, du pharynx, de la bouche, de l'œsophage ou encore de la vessie. Le tabac augmente aussi le risque de développer des maladies cardio-vasculaires (infarctus du myocarde, AVC…) et autres pathologies diverses. C'est aussi l'ennemi de la bouche, des gencives et des dents. Par ailleurs, le tabac représente un danger majeur pour le fœtus au cours de la grossesse. Qu'en est-il de la mortalité liée au tabagisme ? La mortalité liée au tabac est aujourd'hui un fait bien établi. On estime que 15 000 Algériens meurent chaque année à cause de problèmes liés au tabac. C'est énorme. Ce chiffre représente trois plus que celui des victimes des accidents de la route. Ce décompte macabre n'est cependant que la partie visible de l'iceberg. Il est scandaleux de constater que notre pays importe ce poison au prix fort. Les trois quarts des cigarettes, soit 25 000 tonnes, sont importés chaque année. De quoi empoisonner toute la population. Il est honteux aussi de voir des centaines d'hectares de terres agricoles détournées au profit de pseudo investisseurs émiratis ou turcs qui viennent dans notre pays implanter leurs usines de tabac. Le tabagisme passif représente, lui aussi, un facteur de pollution redoutable. Que dites-vous à ce propos ? Le tabagisme est aussi un risque majeur pour l'entourage. On ne parlera jamais assez de la gravité du tabagisme passif. Le fumeur passif inhale environ le quart de la fumée produite (20 cigarettes fumées équivalent alors à la fumée de 5 cigarettes inhalées par l'entourage). De nombreuses études ont, en effet, démontré le danger que représente le tabagisme passif. Des études chinoises et japonaises ont révélé que les épouses de fumeurs font 13% plus de cancers du poumon que les épouses d'hommes qui ne fument pas. De même, la fréquence de maladies respiratoires est multipliée par trois chez les fumeurs passifs. Ainsi, au-delà de la gêne occasionnée, le tabagisme passif augmente le risque de maladies respiratoires, cardio-vasculaires et de cancers. Le nombre de non-fumeurs qui meurent prématurément chaque année de maladies provoquées par le tabac devrait nous interpeller. Il est primordial de prendre conscience des dangers du tabagisme passif et de penser à mettre en place des réglementations strictes pour protéger les non-fumeurs. Nous devons prendre exemple sur de nombreux pays à travers une taxation du tabac, l'augmentation de son prix, une interdiction ferme de fumer dans tous les lieux publics et au travail assortie d'amendes. Nous célébrons, demain 31 mai, la Journée mondiale sans tabac. Quelles sont, selon vous, les avancées réalisées par l'Algérie en matière de lutte contre le tabagisme ? L'Algérie a ratifié la convention de l'OMS pour la lutte antitabac mais concrètement il n'y a pas eu d'efforts d'application dans ce domaine. Il existe, certes, une réglementation antitabac mais elle n'est malheureusement pas respectée du tout. Les fumeurs continuent de griller leurs cigarettes au mépris de toutes les lois. Les gens fument aussi bien dans les hôpitaux que dans les aéroports et les aérogares. Ce qui est scandaleux. L'expérience dans d'autres pays révèle qu'il y a de nombreuses mesures efficaces de lutte antitabac qu'on peut appliquer dans diverses situations et qui ont un effet significatif sur la consommation de tabac. Je pense que les mesures de sensibilisation menées jusqu'ici dans notre pays n'ont rien donné. J'estime qu'il faut aujourd'hui passer à des mesures plus sévères et plus répressives. La stratégie la plus efficace est, selon moi, d'exiger que les fumeurs payent obligatoirement une amende. C'est une mesure instaurée dans de nombreux pays qui a porté ses fruits. S'agissant de la Journée mondiale sans tabac, je crois que c'est là l'occasion idéale de tirer la sonnette d'alarme sur les dangers du tabagisme. Cette année, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a choisi comme thème de cette journée «les mises en garde contre les dangers du tabac pour la santé». C'est un thème judicieux car les mises en garde sanitaires inscrites sur les paquets de cigarettes sont à ce titre des armes efficaces dans la lutte contre l'épidémie mondiale de tabagisme. Dans ce cadre, la SNTA devrait rrémédiablement se plier à ces mesures. Que pensez-vous du projet «classes sans tabac» ? Je pense que c'est un projet extraordinaire. Ce projet qui a déjà fait ses preuves dans d'autres pays revêt une importance capitale car il s'adresse aux futurs fumeurs. Il s'agit de la population jeune en milieu scolaire, donc la plus fragile. Il faut savoir que toutes les études réalisées dernièrement à travers différentes wilayas du pays montrent que le nombre de fumeurs en milieu scolaire est en forte augmentation. Les fumeurs sont de plus en plus jeunes (6 ans). Le tabagisme féminin est lui aussi en hausse et dépasse dans certains cas la proportion des fumeurs masculins, constate-t-on. Par ailleurs, une récente étude sur le tabagisme dévoile qu'un étudiant sur quatre fume à la faculté de médecine d'Alger. Outre la cigarette et ses méfaits incommensurables, il est dramatique de constater la prolifération de clubs de chicha à travers le pays. L'usage de ce produit hautement toxique est devenu un phénomène de mode. Il faut savoir qu'une dose de chicha représente trois paquets de cigarettes. Il est regrettable de voir qu'au moment où les chicha clubs sont traqués ailleurs, en France notamment, chez nous ces lieux fleurissent dans l'impunité totale. A. B. Journée mondiale sans tabac 2009 Mises en garde contre les dangers du tabac pour la santé L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a choisi «les mises en garde contre les dangers du tabac pour la santé» comme thème de la Journée mondiale sans tabac, célébrée le 31 mai.Les mises en garde sanitaires qui figurent sur les paquets de cigarettes comptent parmi les armes les plus efficaces dans la lutte contre l'épidémie mondiale de tabagisme. L'OMS favorise particulièrement les mises en garde sanitaires comportant à la fois images et texte car c'est le meilleur moyen d'inciter les gens à cesser de fumer. Ces mises en garde illustrées existent dans plus d'une douzaine de pays. A l'occasion de la Journée mondiale sans tabac 2009 et tout au long de l'année, l'OMS va encourager les gouvernements à adopter des mises en garde sanitaires qui satisfont à tous les critères d'efficacité maximale, notamment de faire en sorte que les mises en garde recouvrent plus de la moitié du paquet de cigarettes et figurent à la fois sur la face avant et sur la face arrière avec des images. Les pays parties de la convention-cadre pour la lutte antitabac -qui sont plus de 160- sont tenus de faire figurer sur tous les paquets et toutes les formes de conditionnement extérieur «des mises en garde sanitaires [de préférence illustrées] décrivant les effets nocifs de la consommation de tabac». L'OMS s'emploie par le biais de son initiative pour un monde sans tabac à aider les parties à s'acquitter de leur obligation en leur prêtant une assistance technique et autre. Comme l'a déclaré le Dr Margaret Chan, directeur général de l'OMS, «nous avons la solution à notre portée face à l'épidémie mondiale de tabagisme qui va menacer la vie d'un milliard d'hommes, de femmes et d'enfants au cours de ce siècle». Les mises en garde contre les dangers du tabac pour la santé sont un aspect important de la solution dont parle le Dr Chan.