Photo : Sahel De notre correspondant à Oran Mohamed Ouanezar Les récentes sorties victorieuses de l'équipe nationale de football ont enflammé la jeunesse algérienne et ravivé des espoirs enfouis et réprimés aux fins fonds de toute une jeunesse désœuvrée et en mal de repères. A Oran comme partout dans le pays, les jeunes ont laissé libre court à leur joie en fêtant dignement les victoires de l'équipe nationale. Des scènes de liesse jamais observées auparavant du point de vue du nombre de jeunes participants, de leur niveau social, et même de leur appartenance culturelle. Des scènes qui feront dire à nos aïeuls que, «depuis l'indépendance, les jeunes Algériens n'avaient pas autant exprimé leur amour pour leur patrie que durant ces deux victoires sportives. Ce sont des scènes qui nous rappellent les liesses du peuple algérien lors de l'indépendance nationale», notent de vieilles femmes dans le quartier de Saint Pierre. Jamais Oran n'avait vécu des scènes de joie et d'enthousiasme aussi bruyantes, aussi diverses que durant ces deux victoires de l'EN. Les jeunes d'un certain niveau étaient également les auteurs des liesses électorales. Les jeunes, dans leur majorité écrasante, ont défilé dans les rues de la ville, réanimant des quartiers en berne depuis des décennies. A Saint Pierre, quartier populaire très dense en habitants, situé dans le cœur de la ville d'El Bahia, les jeunes, d'habitude hostiles à tout ce qui est «houkouma et Etat», se sont mêlés au décor aux côtés des policiers en uniforme criant à tue-tête «one, two, three, viva l'Algérie». Pour comprendre ce revirement, ou du moins cette nouvelle perception vis-à-vis du mot patrie, nous avons demandé à des jeunes dans le quartier de Saint Pierre ce qu'ils pensent de ces manifestations de joie et de liesse et en même temps ce qu'ils pensent du phénomène de la harga qui a pratiquement placé ces jeunes dans la catégorie des non-patriotes. Benaceur Othmane, 22 ans, agent à la division de la protection de l'environnement DPE de la commune d'Oran, a répondu : «Je ne sais pas. J'ai toujours aimé mon pays. Seulement, on ne s'en rend pas compte. La victoire de l'équipe nationale a réveillé en nous cet amour de la patrie, en fait. C'est vrai, nous sommes livrés à nous-mêmes ; nous n'avons rien pratiquement. Moi, je travaille en tant que saisonnier depuis plusieurs mois à la mairie et je n'ai toujours pas été payé. Cela sans compter que j'ai connu le chômage et les problèmes liés à la délinquance pendant longtemps. La vie n'est pas facile pour les jeunes. On nous dit ceci, cela, mais en réalité il n'y a rien pour nous. C'est pour cela que nous avons ces ressentiments et ces remontrances vis-à-vis de la hogra et des inégalités sociales. En situation exceptionnelle, nous serons les premiers au front. C'est notre pays, nous n'en avons pas d'autres. Que Dieu nous préserve. Nous avons des amis qui ont émigré clandestinement, ils nous appellent et ils nous disent combien ça leur manque les gaadates, les virées et l'ambiance oranaise, bien de chez nous. Le pays leur manque, eux qui n'avaient de cesse de le critiquer et de le maudire, comme nous d'ailleurs. C'est le mal-vivre, en fait.» Pour Hayef Fateh, 26 ans, chômeur, les choses ne diffèrent pas beaucoup. Quand il n'a pas de petites bricoles et autres gadgets à vendre, il passe ces journées dans la principale artère de la ville. Là où passent le plus grand nombre de voitures, mais aussi de gens et notamment de jeunes filles, belles et habillées à la mode. Lors des victoires de l'EN, le jeune Fateh n'a pas hésité un seul instant à brandir l'emblème national, à l'embrasser maintes fois et à crier son amour pour son pays. «Je vous en parle et j'ai la chair de poule. Regardez ! C'st vrai que nous sommes en colère contre notre condition déplorable, le piston des élus et des responsables, nous sommes des témoins silencieux sur tous ce qui se passe. Nous sommes jeunes et nous avons besoin de vivre et de nous éclater. Nous voyons ce qui se passe et nous n'y pouvons rien. Les jeunes n'ont pas envie de mourir à petit feu. Ils ont envie de vivre et à pleines dents. Ce n'est pas trop demandé. Ici, ce sont toujours les mêmes qui profitent de tous les dispositifs. On demande à des jeunes d'investir et de créer leurs petites entreprises. Mais avec quoi ? Il y a des jours où je ne peux même pas acheter une seule cigarette. Ce sont des dispositifs faits pour ceux qui ont de l'argent. C'est tout. Alors on nous demande pourquoi on risque nos vies en haute mer ? Ils ne peuvent pas comprendre notre condition», s'insurge Fateh. «Si notre pays était menacé, que Dieu nous en préserve, j'irais en première ligne pour le défendre. Il n'y a aucune équivoque là dessus. Soyez en sûrs. Et c'est le sentiment de tous les jeunes que je connais et que je fréquente. Nous ne sommes pas des traîtres et nous ne le serons jamais. Nous sommes plus patriotes que ceux qui le prétendent, parce que le pays ne nous a rien donné comme eux. Et nous sommes prêts à nous sacrifier pour lui sans hésiter et sans rechigner. Et dire que nous n'avons ni lot de terrain, ni logement pour nous marier, ni maison secondaire et encore moins de voiture et autre chose de luxueux. Nous sommes des jeunes désœuvrés, en colère et fiers d'être algériens», poursuit-il. Quant à Mohamed, 38 ans, expulsé récemment d'Espagne, il dira : «J'ai moi aussi défilé dans les rues de la ville. Je ne savais pas que je pouvais avoir des sentiments aussi distingués pour mon pays. Ce sont des choses que j'ai oublié à force de problèmes et de difficultés», notera-t-il. De jeunes harraga ont rebroussé chemin pour fêter la victoire de l'EN sur la terre ferme Selon notre interlocuteur, plus d'une dizaine de jeunes harraga, en grande partie de Mostaganem, qui avaient préparé leur traversée depuis des mois, ont rebroussé chemin pour fêter la victoire de l'EN avec leurs frères et amis. «Ils avaient emporté une radio et ont suivi le déroulement du match. Certains avaient peur de rentrer, mais tout le monde avait fini par décider de vivre ces instants magiques dans les rues de la ville. Ils ont défilé toute la nuit jusqu'au petit matin. Ils sont repartis le lendemain. Je ne sais pas s'ils sont arrivés ou pas», notera notre interlocuteur.