De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani «On laisse ça pour après le match !» «Je ne pourrai pas venir, il y a le match Algérie-Slovénie et il n'est pas question que je rate ce rendez-vous !» «Ce sera avant ou après le match ?» «Désolé, mais je ne peux pas assister à cette fête, il y a le match !» Ces propos, on les entend à longueur de journée dans toutes les contrées d'Algérie, dans les villages les plus reculés, à croire que ce premier match est capital, vital, pour la survie de l'Algérien dont la tête, le cœur et les espoirs sont avec cette équipe qui se trouve là-bas à l'autre bout de l'Afrique. Le sport roi, ce match tant attendu, cette sélection qui fait rêver et cette passion que tous les Algériens ont pour les Belhadj, Bougherra, Ziani, Antar Yahia et tous les autres sont devenus une obsession pour tous. Jamais auparavant et de mémoire d'Algérien, même avec les équipes de 1982 et 1986 et leur glorieuse épopée à Gijón ou à Guadalajara, il n'y avait eu autant de passion, autant d'engouement, autant d'attachement et autant d'espoir que pour cette jeune formation qui a prouvé ses capacités et sa volonté d'aller jouer les premiers rôles dans la cour des grands. Une qualification bien méritée envers et contre tous qui a fait basculer en quelques mois tous les pronostics et qui a fait renaître le football national de ses cendres à tel point qu'on ne jurait plus que par cette équipe. On troque volontiers son maillot de corps portant le nom d'un joueur connu du Barça ou du Real contre celui d'un Matmour, d'un Ghazel ou d'un Halliche et on l'arbore fièrement devant tout le monde pour bien montrer qu'on porte cette équipe dans son cœur. La métamorphose de cette jeunesse qui a perdu tous ses repères, ce basculement du côté et aux côtés de l'Algérie, cet amour filial qui était enfoui au fin fond de ces millions d'Algériens ont émergé et pris le dessus sur les aléas de la vie avec ses petites misères pour s'exprimer et s'afficher au grand jour et ce, en l'espace de quelques mois où cette équipe a accompli des prouesses et réussi des miracles, volant de victoire en victoire. Ce drapeau qui était caché, enfoui quelque part dans les maisons est sorti spontanément dans les rues, il est accroché sur toutes les maisons, sur les balcons, étalé sur les vitrines et sur les édifices publics et les entreprises privées. Même sur les baraques des bidonvilles, sur les étals des vendeurs à la sauvette, il est omniprésent, peint sur les murs, porté sous forme d'écharpe, présent sur les sacs, cousu sur les vêtements et imprimé sur des dizaines d'articles. Le peuple, cette jeunesse bouillonnante, ces femmes, ces enfants ont pris possession de leur drapeau, de leur emblème national pour s'affirmer encore plus, s'identifier et marquer leur différence par rapport aux autres. Cette équipe a le mérite d'avoir fédéré tout un peuple et de lui avoir rendu l'espoir pour croire en la réussite d'un pays qui a longtemps souffert ; cette flamme que tout Algérien porte dans son cœur et qui, maintes fois, a été malmenée par les vents et les tempêtes générés par des événements malheureux a été ravivée et entretenue par ces jeunes vivant à l'étranger mais qui demeurent algériens jusqu'à la moelle. Il n'y a pas mieux que des jeunes pour influencer d'autres jeunes. Annaba, comme partout ailleurs à travers le pays, ne vit plus que pour cette équipe et on dirait que rien n'intéresse plus personne à part tout ce qui se rapporte aux Verts. La moindre information est suivie avec intérêt, commentée, décortiquée, analysée et reprise par tous pour faire le tour de la cité. On se prépare déjà au match de dimanche face à la Slovénie qu'on dit encore plus forte que la Serbie mais on garde espoir et on a grande confiance en cette équipe et en la tactique du vieux coach national. «Vous savez, nous dit un jeune sur le cours de la Révolution, l'Algérie a l'habitude et l'histoire l'a démontré, l'équipe de 82 en Espagne a vaincu platement la RFA donnée favorite parce qu'il y avait ce sentiment national fort qui animait la tête et les jambes des joueurs, et les joueurs aujourd'hui ont la même passion pour l'Algérie et ils feront tout pour ne pas décevoir tout un peuple qui est derrière eux. A l'époque, je n'étais pas encore né mais d'après ce que rapportent ceux qui ont vécu cette Coupe du monde, l'équipe d'Algérie avait faussé tous les pronostics et tous les calculs ; celle de dimanche le fera, j'en suis sûr !» D'autres, c'est avec la peur au ventre qu'ils attendent ce fameux match et la tension monte à mesure que l'heure approche. «C'est vraiment intenable pour moi, nous confie un père de famille du quartier la Colonne, je n'arrive plus à me concentrer sur autre chose, j'ai toujours l'image de l'équipe nationale dans ma tête, nous sommes au Mondial, en Afrique du Sud et, pour nous, c'est déjà quelque chose mais j'ai espoir qu'on fera mieux qu'en 82, nous avons les joueurs qu'il faut avec l'entraîneur qu'il faut, avec un peu de chances on passera au 2ème tour. Et rien n'est impossible pour cette sélection, j'essaye de m'en convaincre mais j'ai quand même cette peur qui me torture, ce tremblement intérieur qui ne me quitte pas. J'espère qu'on gagnera le premier match ; ce dimanche, c'est celui de tous les espoirs. Cela nous permettra d'affronter le second avec un moral au beau fixe.» Dans les rues, dans les magasins, les cafés, les places publiques, les squares et les jardins, on ne parle que du match de dimanche, un match dont l'issue sera déterminante pour les Verts et qui certainement donnera lieu à une fête grandiose dans toute la ville si les Fennecs venaient à triompher. L'une de ces fêtes qu'Annaba a vécues ces derniers mois à l'occasion de la qualification au Mondial. Une fête qui redonnera de la couleur à la ville et où l'on reverra cette joie spontanée, cette joie innocente, cette liesse populaire qui nous rappelle notre fraternité et surtout ce sentiment d'appartenir à un même pays qui est le nôtre. Cela nous permettra de «restaurer» notre identité, de nous retrouver entre nous et de nous réconcilier avec nous-mêmes. Incha' Allah !