Arezki Mahrour a hérité de la passion du métier de la pêche. Il a appris à aimer la mer et les rudiments de son gagne-pain avec son père, ancien marin pêcheur forcé à la retraite par le poids de l'âge. Originaire d'un village de la commune côtière d'Iflissen (les pirates en kabyle), à une quarantaine de kilomètres à l'est de Tizi Ouzou, le milieu naturel et l'environnement social ont sûrement joué un rôle dans sa formation de marin pêcheur. Arezki a peut-être fait son apprentissage de la marche sur le sable de la plage célèbre Tamda Ouguemoun, Zegzou (verdure) pour les natifs d'Iflissen. A 11 ans, en 1987, il entame sa première sortie en mer avec un cousin adulte absolument trempé dans les expériences difficiles, parfois dangereuses ou mortelles du métier. Deux de ses frères sont absorbés par la passion de la mer. Une famille de marins pêcheurs d'Iflissen, ce qui est presque un pléonasme dans la région. Même si ces derniers par la volonté des pouvoirs publics qui, on dirait, marginalisent sciemment le développement du littoral kabyle, ignorent les préoccupations des professionnels de la mer causant ainsi un manque d'engouement des jeunes et des apprentis pêcheurs pour les métiers de la pêche et de l'aquaculture. Arezki est très actif au sein de la corporation. Il est actuellement président de la chambre de la pêche et de l'aquaculture de Tizi Ouzou et occupe le même poste dans l'organisation de l'association des marins pêcheurs de Zegzou et membre de l'association des marins pêcheurs de la daïra de Tigzirt. Mais ses activités associatives et les nombreux tracas du métier ne l'ont pas dissuadé de continuer à exercer sa passion. Ses moyens de pêche : une barque et un espadonnier (palangrier) et un équipage de cinq éléments en moyenne. Une journée de pêche : le lesting (préparation des hameçons du filet) commence en début d'après-midi, on arrange le filet lesté dans le palangrier, on contrôle la machine et vers 16 h environ débute la sortie en mer après avoir vérifié que le panier-repas est garni car «la nuit est longue et les creux d'estomacs difficiles à satisfaire au large». Deux à trois heures par la suite la machine arrive sur le lieu de pêche, les filets sont largués suivant les courants et le filet dérivant. «Munis d'un sondeur et d'un GPS, on pêche souvent dans la deuxième zone, 6 à 20 kilomètres au large, pendant toute la nuit il nous faudra rester vigilants et attentifs aux sons et lumières qui surviennent de la mer ; nous surveillons les bateaux qui menacent d'accrocher nos filets ; pour ça, nous utilisons la radio, parfois une torche électrique pour indiquer notre position», raconte Arezki, dont la tâche de remonter le filet qui commence vers 1 heure ou 2 heures du matin est des plus éreintantes. Remonter le filet peut prendre 1 à 3 heures, ça dépend de la quantité du poisson et surtout de la météo. L'équipage rentre généralement à l'aube et sur le quai on procède au tri de la prise du jour. Dans le filet il y a du poisson pélagique (de surface) : de l'espadon, du requin, de la raie, de la bonite, du thon… Et pour avoir la langouste, le rouget, le merlan, le gros-yeux, le chien de mer… les pêcheurs s'équipent d'un filet de profondeur. Le travail n'est pas fini, on en est presque à la moitié du chemin et quand on sait que le nouveau port de Tigzirt est truffé de manques ou de commodités basiques, il est facile d'imaginer le reste des casse-tête. Un port qui n'en est plus un en fait. La nouvelle infrastructure réceptionnée officiellement il y a un peu plus d'une année ne dispose pas de hall de vente de poissons, ni de chambres froides ou entrepôt frigorifiques. Ni d'un treuil. Le foyer des marins n'est pas encore fonctionnel. De plus, pour tout document administratif ou information au niveau des gardes-côtes, de la chambre de la pêche et de l'aquaculture ou de l'EGPP (Entreprise de gestion des ports et des abris de pêche de Bgayet) qui gère le port de Tigzirt, les pêcheurs se déplacent soit vers Azzefoun et Tizi Ouzou soit à 100 kilomètres vers Bgayet. Tigzirt, tenez-vous bien n'est même pas dotée d'une poissonnerie !! Que faire de tout le poisson pêché ? Plus grave encore, la passe du port risque l'ensablement entier d'ici deux années selon des professionnels en se basant sur sa situation actuelle. La chose est à prendre très au sérieux, selon plusieurs pêcheurs de Tigzirt qui s'interrogent par conséquent sur les conditions de réalisation de ce chantier qui a coûté beaucoup d'argent et des délais de réalisation inimaginables. «Les palangriers du port éprouvent déjà des difficultés pour accéder à la passe à cause du sable ; à l'hiver prochain, les choses pourraient se compliquer, la passe pourrait devenir inaccessible aux espadonniers. Le dragage n'a pas été fait même si les autorités [la direction des travaux publics entre autres] ont été alertées il y a un an. Nous savons que le dragage coûte cher, mais c'est la seule solution qui se présente», soutient sur place un pêcheur marin qui souligne par ailleurs qu'avec la nouvelle technologie l'ensablement peut être évité. Arezki Mahrour revient à la charge pour mettre en avant l'absence même d'un petit atelier de réparation navale au port ou dans les environs de Tigzirt pour le carénage des palangriers. «Le carénage est obligatoire une fois par an, pour ce faire nous sollicitons les ateliers de Zemmouri ou ceux d'Alger ; l'attente peut durer parfois trois ou quatre mois, ajouter les frais pour la prise en charge de quelqu'un qui va te garder sur place ta machine ; en l'absence d'un treuil, nous sommes condamnés à le faire ailleurs qu'à Tigzirt», note Arezki qui rappelle que les autorisations pour la vente de matériel de pêche au niveau du port faites par les chômeurs de la région sont restées lettre morte ; aussi, les postes à quai ne sont pas attribués d'où des fois une confusion entre les pêcheurs professionnels (120 pêcheurs pour 80 embarcations) et les plaisanciers. Dans ce sens, les pêcheurs commencent à se prendre en charge en créant il y deux semaine l'association des marins pêcheurs de Tigzirt qui a pour objectif l'amélioration des conditions de travail des adhérents de la corporation, l'organisation de la profession et la protection de la façade maritime. L'assemblée générale de ladite association qui attend son agrément a placé sa confiance en M. Ahcène Taghzouit, «pêcheur reconnu et admiré pour sa sagesse et son engagement pour l'intérêt des marins pêcheurs», dit de lui Arezki qui venait de terminer une nuit de pêche et a donc besoin d'un peu de repos. Alors arrêtons-nous un moment de parler de la mer et de la pêche, Arezki se repose enfin !