Photo : Riad Par Samir Azzoug «Allah yatik boumba» (que Dieu t'explose la tête), «tezghoud nedebhek» (bouge et je t'égorge) ou «nederbek ouine khla darek» (je te frappe où se ruine ta descendance), crie la femme au visage de son enfant turbulent, juste avant le fameux coup d'espadrille en plastique. Que ce soit en langue arabe ou en berbère -rarement en français, car cette langue, phonétiquement, ne renvoie pas à l'oreille algérienne toute la charge d'agressivité exprimée-, le vocabulaire violent et obscène est riche. «Akerzagh» (je te brise), «akenghagh» (je te tue), «akeksghregh» (je t'extermine), sont des mots dont nos enfants berbères sont bercés dès le très jeune âge. «Ederbou yaaraf madarbou» (frappe-le, il connaîtra ses limites), dit encore l'adage populaire. «Maudit soit le s... de ta mère», rapport à la filiation. Ou, encore, «Maudite soit la religion de ton père», rapport à l'appartenance ethnique. Rien n'est épargné et rien n'est sacré. Dans la néo-rhétorique populaire algérienne, les tabous sont étalés, la «horma» éclatée, l'ascendance offensée, les parties intimes du corps exposées et le sacro-saint vilipendé. De nouvelles insultes apparaissent comme par miracle et se répandent comme des traînées de poudre. Le concept est simple. Prendre ce qui est sentimentalement cher à l'adversaire, l'intégrer dans une phrase affirmative et précéder le tout par l'un des deux mots clés : «Naal» (maudit soit) ou «N … » (acte sensuel qui, dans la culture algérienne, est l'image absolue de la violence bestiale). Les offenses les plus dégradantes ont trait, généralement, aux membres féminins de la famille : «Nanak» (ta grand-mère), «Mok» ou «Yemak» (ta mère), «Khtek» (ta sœur). La femme étant considérée dans la culture musulmane, arabe et nord-africaine comme la garante de l'honorabilité et de la respectabilité de la famille. L'autre «thématique» privilégiée dans l'arsenal des obscénités devenues courantes dans le langage dit de «la rue» concerne le sexe. Tabou suprême, donc idéal pour offenser. En écoutant les groupes de jeunes discuter, certains vocables reviennent à des intervalles presque réguliers. Tel des ponctuations phonétiques, ils régulent le flux des mots prononcés. Dans la grande majorité des cas, ces virgules, points d'exclamation ou d'interrogation (c'est selon) ont trait au phallus dans ses différentes déclinaisons. La représentation tangible et palpable de la virilité. Et chose étonnante, ce «phénomène culturel» ne touche pas que les hommes. Les femmes s'y mettent aussi. Il n'est pas rare d'entendre une jeune fille vociférer ce genre d'insanités allant jusqu'à s'attribuer un organe dont, par essence, elle n'est pas dotée. Son attribut naturel, dans ce genre de langage, n'étant cité que pour être maudit ou violenté. Le sexe faible. Dans la longue liste, sans cesse mise à jour, des formules d'impolitesse, une partie importante est réservée à la foi et à la croyance. De «Errab» (le Créateur), à «Azraïn» (l'ange de la mort), en passant par le prophète et le «Dine» la religion dans son intégralité, les insultes ne font pas dans la retenue. Toucher au sacro-saint de l'identité algérienne, la religion musulmane, ne rebute pas une grande partie des Algériens (notons qu'on ne connaît pas d'insulte spécifique au nationalisme). Fait marquant, les citoyens sont plus choqués par l'insulte à caractère sexuel ou qui touche aux membres de la famille que par celle concernant la religion. Par ailleurs, il faut noter que ce genre de langage n'est pas simplement usité dans des situations de conflit. Il est intégré dans le parler courant, particulièrement entre amis ou collègues.