Plus qu'une biographie, plus que l'histoire d'un aarch, c'est l'histoire de tout un peuple. De son errance en attendant la maturation de ses mouvements nationalistes. Une maturation qui conduira ce peuple, qu'on croyait barbare et rudimentaire, à la une des plus grandes révolutions du siècle dernier. Celle du 1er Novembre qui le conduira à l'indépendance convoitée depuis l'occupation. Une occupation qui aura duré 132 ans. C'est donc à partir du douar de Ouled El Kaim que commence l'épopée rapportée par l'ancien diplomate Hocine Meghlaoui, qui surprend agréablement son lecteur par son talent avéré pour la narration. Dans un roman, certainement inspiré de sa propre histoire, il retrace la vie de son héros. Le narrateur suit donc les pas de Malek, le personnage principal du roman le Serment de Ouled El Kaim. C'est d'abord à travers le regard du patriarche du clan, puis celui de son porte-flambeau, le regard de son petit-fils Malek, enfant, puis adolescent, enfin, homme, que l'auteur transporte son lecteur à travers le temps, l'emmène vers l'Algérie de l'avant-Seconde Guerre mondiale. La plus meurtrière de toute l'histoire de l'humanité. C'est donc l'épopée de sa famille, de sa tribu où règne une solidarité sans faille et une fraternité que seuls les Algériens de l'époque avaient. C'est cette époque ténébreuse du joug colonial que rapporte l'auteur tout au long de ses chapitres bien ciselés, recollant par là même des pans de l'histoire d'une Algérie qui a connu la pire des colonisations de notre ère. La loi de l'indigénat qui a relégué les Algériens, seuls et légitimes maîtres des lieux, au rang des sous-hommes, les maintenant dans une perpétuelle paupérisation et un illettrisme intentionnel, leur ôtant tout espoir de pouvoir un jour aspirer à autre chose que les desseins de la France des droits de l'Homme. L'auteur emporte son lecteur dans l'univers de Malek. Un enfant comme tous les autres, qui, pour son grand malheur, perd sa mère en bas âge. Une douleur indélébile et qui ne peut que changer sa conception de la vie. Très tôt alors, et à l'ombre de son grand-père Si Mohamed, Malek apprendra le poids des traditions, celle du clan, le sens de la tribu, et celui du nationalisme qui n'avait pas encore de nom. Des notions qui se renforceront par son contact avec la grande ville, Constantine, la ville qui lui ouvre un autre univers. Celui du monde extérieur. La vie ne se limite donc pas à Ouled El Kaim. Cosmopolite par rapport à son petit village natal, plus vaste que son minuscule douar perdu sur les hauts plateaux constantinois, la capitale de l'Est l'introduit dans un monde dont il n'avait jamais suspecté l'existence. Alors qu'éclatait en Europe la Seconde Guerre mondiale, la France en péril n'a pas trouvé mieux que ses peuples colonisés à envoyer au front. Les Algériens, à l'instar des autres peuples africains qui n'avaient pas la moindre idée sur les tenants et les aboutissants de ce conflit mondial, se sont retrouvés malgré eux à défendre une cause qui n'était pas la leur. Ils n'étaient que de la chair à canon. Une réalité qui renforce leur sentiment d'injustice mais qui ouvre leurs yeux sur la nécessité de changer cet état des lieux. En pleine guerre mondiale, aller à Constantine, et même dans les petites bourgades environnantes relevait d'une réelle expédition. Se déplacer vers les casernements militaires français qui concentraient les mobilisés avant de les envoyer au front était donc ce voyage vers l'inconnu qu'effectuera Si Mohamed, le grand-père de Malek, qui se rendra dans la grande ville à la recherche de son fils Youcef. Son fils préféré, mobilisé d'autorité sous les drapeaux par l'armée française et envoyé sur les champs de bataille de cette guerre qui n'était pas la leur. Sa mère morte, son père disparu durant la Seconde Guerre mondiale, Malek, orphelin par la force de choses, est élevé par ses grands-parents. C'est dans l'univers de ceux-ci que l'auteur décrit, à travers les yeux de son héros, Malek, les personnages de ce village perdu. Pas si différent de ceux qu'on aurait pu rencontrer n'importe où ailleurs sur cette terre d'Algérie martyrisée. Des portraits typiques en couleur, d'où ressortent, singulièrement, des Français qui ne ressemblent pas aux autres, à l'instar de Rosie et de son fils médecin, qui n'inspirent aucun sentiment de haine au jeune Malek, habitué à leur gentillesse. Au fil des mots de ce livre de 450 pages que le lecteur avale avidement, on découvre un monde parallèle. Celui de l'Algérie des colons. De leur haine injustifiée envers les «autochtones» auxquels ils ont tout pris. De leur peur tenace de voir leur empire de sable emporté par le vent de la colère qui commence à souffler sur ce peuple marginalisé. Parallèlement à l'itinéraire du héros principal, une foule de personnages restitue aux lecteurs cette époque noire de l'histoire du pays. Outre le patriarche, on découvre les jeunes amis du héros qu'il perdra de vue à cause des parcours différents de chacun mais aussi avec l'avènement de guerre de libération nationale. La séparation de sa jeune amie Malika, venue de la grande ville, Alger, le marquera particulièrement. Ils ne se retrouveront qu'après l'indépendance à la bibliothèque de l'université. Des retrouvailles émouvantes d'autant plus qu'Ouled El Kaim, dont les hommes ont pris les armes contre l'occupant, sera le théâtre d'un affreux massacre commis par les parachutistes français. Les survivants ne sortiront pas indemnes de cette sanglante expérience. La guerre a meurtri la chair des jeunes Malek et Malika. Plus que la saga d'une tribu, le Serment de Ouled El Kaim est un pan de l'histoire de l'Algérie contemporaine. Des images qui défilent sous les yeux du lecteur lui rappelant «la mission civilisatrice» des Français, et ses traces indélébiles sur les Algériens d'aujourd'hui. Plus que la découverte d'un écrivain talentueux, le Serment de Ouled El Kaim est l'histoire romancée racontée par un de ces Algériens qui ont su briller malgré les obstacles, les infortunes mais surtout les injustices qui ont jalonné leur vie. Celle de ces hommes qui ont su changer le cours de l'Histoire et ont permis à l'Algérie d'exister. G. H.