Le sport scolaire, un acquis de l'école algérienne ? Pas si sûr. Et pour cause, à l'heure où les élèves du pays rejoignent les bancs des écoles, certains responsables n'hésitent pas à afficher leur optimisme béat et balaient du revers de la main tous les phénomènes sociaux, mêmes les plus étranges, qui envahissent notre école et la transforment en une arène idéologique. Parmi ces phénomènes, de véritables fléaux de surcroît, l'interdiction faite aux filles de suivre les exercices de sport scolaire est en train de prendre des dimensions alarmantes. Ces témoignages à ce sujet sont légion. A chaque année scolaire, les directeurs des établissements, tous paliers confondus, voient défiler dans leur bureau des parents désireux de dispenser leurs filles de cette matière, l'éducation sportive, qu'ils jugent inconvenante pour leurs filles. Inconvenant est bel et bien un euphémisme, car au vu des opinions religieuses de ces parents, une fille n'a pas à troquer son hidjab ou djelbab contre un jogging ! Un point, c'est tout ! Il n'est pas question non plus pour ces parents rigoristes de laisser leurs filles courir, sauter, jouer avec une balle, sous les regards concupiscents des garçons. A entendre ces parents, de plus en plus nombreux de l'avis même des éducateurs sportifs, le sport scolaire, ou l'éducation sportive, n'est qu'une activité masculine. Leurs filles n'ont pas à dévoiler leur beauté et soigner leur santé en s'adonnant à des activités sportives. «C'est haram, la yajouz, ces termes je ne les entendais jamais auparavant. Cela fait 10 ans que je dispense des cours d'éducation sportive dans les lycées et jamais je n'ai vu ce phénomène prendre une telle ampleur. Par le passé, on ne dispensait que les élèves malades. Il est vrai que les certificats médicaux s'achètent facilement et les parents en profitent pour dispenser leurs filles sans révéler pour autant leurs motifs religieux. Aujourd'hui, on ne fait plus complexe de ces considérations et des parents m'accostent en me disant clairement que la religion interdit aux filles de pratiquer le sport ! C'est triste et dangereux», confie Aziz, 41 ans, un chevronné éducateur sportif, qui a officié dans plusieurs lycées de Boufarik, de Blida et de Médéa et qui s'échine à sensibiliser les parents d'élèves à l'importance et aux bienfaits de la pratique sportive. Mais face au bloc idéologico-religieux que certains parents lui lancent au visage, ses efforts s'avèrent vains. «Si les parents sont inconscients, alors pourquoi les directeurs d'établissement laissent-ils faire ? La réglementation est claire : tous les élèves sont concernés par l'éducation sportive. Ce silence complice des responsables des écoles risque de nous coûter cher à l'avenir», avertit encore notre interlocuteur. Ainsi, il est des situations où notre école accorde beaucoup de concessions à ces parents religieux soucieux de la sauvegarde de la pureté, imaginaire et fantasmatique, de leurs filles ! Malheureusement, ce constat est vérifié quotidiennement sur le terrain et les témoignages des éducateurs sportifs donnent largement la mesure de ce phénomène. «C'est un sujet tabou que de rares personnes osent aborder, mais il demeure à chaque rentrée d'une actualité poignante. Les parents sont nombreux à vouloir empêcher leurs filles de pratiquer le sport à l'école. Ces dernières à leur grand dam se retrouvent exclues et marginalisées par rapport à leurs camarades. C'est injuste et antipédagogique. Croyez-moi, ces filles souffrent en silence de ce joug paternel et de ce conservatisme religieux», explique Fateh, éducateur sportif dans un lycée à Aïn Naadja. Fatiha, 15 ans, incarne à bien des égards le sort pathétique de ces filles à qui on interdit tout, y compris l'éducation sportive à l'école. Sa mine angélique est enveloppée dans un voile noir qui met en valeur la profondeur de ses yeux clairs. Une profondeur qui contraste avec le chagrin qui tourmente son âme car, comme à chaque année scolaire, elle se sent toujours paria dans son école. «Toutes mes amies font du sport à l'école. C'est un moment de convivialité et de joie indescriptibles. Elles s'amusent, elles rient, elles jouent. Quant à moi, je n'ai nullement le droit à cela», raconte-t-elle alors que les larmes coulent doucement sur ses joues. Et de poursuivre : «Mon père m'a interdit formellement de suivre ces exercices avec ma classe. Une fois, j'ai essayé de le convaincre du bien-fondé et de l'importance de l'éducation sportive, mais en vain. Il s'est énervé et m'a même rouée de coups. Il a été tellement dur et agressif que j'ai été alitée pendant 4 jours.» Les larmes aux yeux, Fatiha s'est retrouvée livrée à elle-même face à la violence paternelle. La direction de son école n'a pas convoqué son père pour lui communiquer la réglementation en vigueur. Comme quoi, quelques écoles sont devenues des auberges où chacun entre comme il veut et sort avec ce qu'il veut. Reste, enfin, à savoir combien de Fatiha comptent nos écoles à travers tout le pays. Jusqu'à quand l'éducation nationale continuera-t-elle à céder son territoire au conservatisme religieux ? A. S.