Farouk Hosni, l'ancien ministre égyptien de la Culture, ne sera pas directeur général de l'Unesco. Pourtant correctement préparée auprès des pays africains et arabes, sa candidature avait de réelles chances de succès. En arrière-plan, cette candidature semblait avoir reçu un aval français pour lequel elle pouvait être une combinaison récompensant les efforts de l'Egypte et renforçant la position de celle-ci pour son rôle dans le succès de l'Union pour la Méditerranée puis pour la réanimation de cette dernière après l'agression sauvage d'Israël contre Ghaza. Le grand rabbin de France est monté au créneau pour appeler le gouvernement français à plus de clarté sur la candidature de Farouk Hosni. Il n'aurait pas pris cette peine si la position française ne présentait pas d'ambiguïté. L'UPM vaut bien une messe et les dirigeants français, si prompts à s'emporter pour ces motifs, évitaient de se prononcer sur les accusations d'antisémitisme avancées à propos de Farouk Hosni. Ce dernier s'en est défendu et l'Egypte a mis tout son poids dans la balance pour conserver quelques chances à son candidat. Il sera finalement battu par Irina Bokova, une ambassadrice bulgare à Paris et auprès de l'Unesco, après le retrait discret d'un poids lourd en la personne de Ferrero Waldner qui présente pourtant un profil et un parcours nettement plus solides même si on est en droit de ne pas l'aimer pour sa politique ultra-libérale. Nettement plus. Un porte-parole français a qualifié ce retrait de digne, laissant en suspens la question de savoir pourquoi l'Union européenne aura si mal soutenu sa propre commissaire. A moins de se souvenir que cette commissaire a tenu des propos très durs sur l'agression israélienne contre Ghaza et sur les images insoutenables qui en parvenaient au monde entier. J'imagine très bien - et vous ? - la menace qui pesait sur elle d'un procès en antisémitisme. Je suis convaincu qu'elle a payé ses propos sur cette agression et elle sera une bonne leçon pour tous ceux qui tiennent à une carrière politique. Car la défaite du régime égyptien -défaite est le terme approprié au vu des moyens engagés- est d'abord un succès d'Israël qui, dès l'entame du processus, s'est dressé contre cette candidature. Israël a immédiatement engagé une bataille d'image, de représentation. L'accusation d'antisémitisme ne se déroule plus sur le plan des faits, actes ou paroles imputés à l'accusé, mais sur le plan du soupçon. De ce point de vue, Israël et les milieux sionistes ont réussi à faire de la question d'Israël la mesure de toute chose, de toute politique ; une ligne de clivage moral et politique. Ils ont réussi à faire de ce soupçon un élément à charge dans des simulacres de procès médiatiques. Derrière l'accusation d'antisémitisme se déroulait aussi une autre bataille. Car le moment fait de ce succès israélien un immense succès. Les opinions publiques sont encore sous le choc des images des enfants suppliciés de Ghaza. Elles découvrent toujours de nouvelles horreurs, les femmes éventrées, les boucliers humains, la liquidation de familles entières, les inscriptions racistes sur les tee-shirts, le vol d'organes humains, etc. Avec cette image d'Etat criminel, Israël ne pouvait au plan des opinions publiques se prévaloir d'aucune autorité en matière de culture et de politique culturelle. Comment un criminel avéré -même s'il échappe par ses relations et sa puissance à la condamnation d'un tribunal régulièrement constitué- peut-il encore avoir le front de se présenter en défenseur d'une cause quelconque, de surcroît dans une institution culturelle. Le moment -je le répète- est désarçonnant. Car le monde entier a découvert ce visage du crime d'Israël qu'il oublie régulièrement après la Nakba, après Sabra et Chatila, après Qana mais a découvert aussi cet immense camp de concentration qu'est Ghaza. Même la presse occidentale n'a pu cacher plus longtemps la réalité de ce camp. Elle l'édulcore, elle rend le Hamas responsable, ment sur les causes mais ne peut plus le cacher. Pendant qu'Israël menait campagne, le rapport de la Commission de l'ONU qui a enquêté sur Ghaza publie son rapport. La Commission présidée par un juif -il faut toujours rappeler ces aspects, un autre qu'un juif n'aurait pu présider cette commission sans être accusé d'avance d'antisémitisme, quelle force cet argument !- conclut à des crimes de guerre et, dans certains cas, à des crimes contre l'humanité. Eh bien, voilà ! Des Etats et des gouvernements membres de l'Assemblée générale de l'Unesco se couchent devant un criminel de guerre et un criminel contre l'humanité. Il faut écrire présumé ? Mon œil ! J'ai vu comme vous les images à la télé et ce n'était pas un montage style Timisoara ou la clinique d'accouchement au Koweït. Il sera difficile à Israël d'accuser la Commission d'enquête d'antisémitisme. Même si on note qu'elle a mis sur le même plan le Hamas et Israël, ce dernier reste convaincu de crimes. C'est à ce moment-là qu'Israël réussit ce coup d'éclat. Et il n'est pas mineur. Car il consiste en clair à la mise sous tutelle des activités de l'Unesco et Israël en a bien besoin alors qu'il judaïse El Qods et met en danger par ses fouilles des quartiers de la vieille ville et la mosquée d'El Aqsa. Un journaliste égyptien, révolté par les manœuvres d'Israël et par la faiblesse de son gouvernement, a bien posé le problème sur El Jazeera. S'il réussit ce coup d'écarter Farouk Hosni, Israël aura étendu sa tutelle sur toutes les institutions internationales d'importance soit directement, soit indirectement. Ce journaliste exhortait son gouvernement à produire les efforts nécessaires pour contrecarrer les desseins israéliens, convaincre les pays africains et arabes et rappeler aux autres le poids et le rôle de l'Egypte. Il laissait quand même l'impression d'en vouloir au gouvernement égyptien de se faire contrer par un Etat auquel il montre tant de constante fidélité. A distance, les analyses de ce journaliste me laissent comprendre qu'une partie des élites et des intellectuels égyptiens souffrent de la normalisation avec Israël et souffrent de l'image de leur pays à travers le monde. Car le régime égyptien a aussi payé pour son image. Cette image est d'une grande clarté et elle a dû jouer aussi bien au niveau conscient qu'au niveau de l'inconscient. C'est d'abord celle de la plupart des régimes arabes, l'image d'un régime despotique et corrompu. Il n'y a pas besoin de balance. Entre la parole d'un Etat dit démocratique et celle d'un Etat despotique, la mesure est vite prise. En considérant que le gouvernement français voulait Hosni comme directeur général de l'Unesco dans le cadre de ses projets toujours un peu compliqués pour l'UPM, il n'aurait disposé d'aucun argument recevable à l'injonction de se déterminer que lui a faite le grand rabbin de France. Peu importe que la France soit officiellement laïque. Elle l'est pour ce qui est des prétentions de l'Eglise catholique, pas pour le grand rabbin de France ni pour le CRIJF. Et aucune voix laïque ne s'est élevée contre cette intrusion du religieux dans le politique. Cela souligne quand même les limites de la prise de conscience des opinions publiques quant à la nature de l'Etat d'Israël. Cela souligne aussi le poids de la bonne conscience coloniale dans les organisations politiques européennes car nul ne se leurre, Israël est bien un Etat colonial. Le reste, c'est de l'habillage idéologique mais il pèse sur les consciences. Elles seraient d'ailleurs bien étonnées ces consciences si on leur rappelait que tous les Etats qui ont mené des guerres coloniales étaient démocratiques. C'est la France démocratique qui a commis les massacres de Sétif et de Madagascar et c'est la même France démocratique qui a mené la guerre d'Algérie après avoir mené celle d'Indochine. C'est une Angleterre très démocratique qui a mené toutes les sales guerres coloniales et ce sont les Etats-Unis hyper démocratiques qui ont exterminé les Indiens. Ces démocraties «carburent au sang des colonisés» pour reprendre la formule de H. Belaloufi qui disait que la «démocratie israélienne carbure au sang des Palestiniens». A l'usage, le sens réel du mot démocratique a remplacé le terme de civilisé, c'est-à-dire de supérieur. C'est exactement ce qu'il veut dire à l'usage : un Etat démocratique, c'est un Etat civilisé et, par extension, un peuple ou une société démocratiques sont civilisés. Les non «démocratiques» sont des barbares. Les «barbares» arabes et africains et peut-être quelques autres se sont ligués autour de Farouk Hosni mais le monde civilisé a eu raison d'eux. Le régime égyptien manquait-il d'arguments contre Israël, ne serait-ce que sa disqualification morale après tous ses crimes ? Non, bien sûr ! Mais il ne pouvait les utiliser. Il ne pouvait en utiliser aucun. Il a activement soutenu l'agression contre le Liban. Il a activement justifié l'agression contre Ghaza en accusant Hamas de ne pas se plier à la «raison» des plus forts et de forts relents de complicité habitent la tête de ceux qui sont au courant de l'existence des réserves de gaz au large de Ghaza. Il a continué à subventionner l'électricité israélienne pendant cette agression en continuant à brader son gaz à Israël. Il a hermétiquement fermé le passage de Rafah même aux blessés. Il s'est précipité pour accepter la proposition des aides allemande et française pour lutter contre le passage des armes à Ghaza. Il remplit avec zèle le rôle de gendarme d'Israël en pourchassant et en tuant avec une facilité déconcertante les Africains qui veulent migrer clandestinement vers Israël. Il partage avec Israël, les Etats-Unis et l'Union européenne l'idée que l'Iran est le plus grand ennemi dans la région et que toute frappe contre les alliés de l'Iran -entendez le Hamas et le Hezbollah- est juste et légitime. Il ne pouvait pas contrer Israël car cela serait revenu à se contrer lui-même, à adopter une attitude de résistance aux orientations des puissances étrangères. Cela serait revenu à concevoir que l'Egypte a des intérêts nationaux autrement plus profonds µet pérennes que les intérêts immédiats et étroits de la caste oligarchique qui est au pouvoir. Je comprends la fureur du journaliste égyptien qui semblait considérer que l'hostilité d'Israël et des Occidentaux porte une marque d'ingratitude : faire ça à l'Egypte après tant de bons et loyaux services. Bien sûr et même il fallait le faire pour les Occidentaux et pour Israël. Cela peut être une frustration pour l'Egypte en tant que pays. Cela peut être une frustration pour quelques Arabes. C'est probablement un ratage pour les discours lénifiants et grotesques d'hypocrisie sur le dialogue des cultures et pour le dialogue inter religieux. Un Arabe à la tête de l'Unesco aurait été la preuve d'une entente possible entre les cultures. Mais les puissances occidentales pouvaient-elles promouvoir un Etat féal à ce poste ? Je ne le crois pas. Car ceux qui connaissent les méandres de l'Unesco savent que les Etats-Unis y pèsent d'un poids considérable. Et ceux-ci se sont alignés avec Israël, pas avec un régime aux ordres. Il fallait rappeler aux Arabes qu'un Etat féal est un Etat domestique et que sa proximité avec les maîtres du monde ne doit pas lui faire oublier sa condition. Pour contester la tutelle d'Israël sur l'Unesco, chose aujourd'hui acquise et ce n'est pas la Bulgare qui leur doit maintenant ce poste qui va protester, il fallait contester Israël tout court et d'abord son statut au-dessus des lois internationales. L'appréciation américaine que la rapport de l'ONU sur Ghaza a trop focalisé sur Israël, le recul d'Obama sur les colonies, les menaces contre l'Iran, l'affaire de l'Artic Sea, le message d'Israël annonçant son droit de regard sur les armées du Maghreb (entendez l'ANP), et bien d'autres choses justifient la question de savoir si Israël n'est pas devenu une hyper puissance, capable de faire plier tout le monde, de Sarkozy à Obama. Sauf Nasrallah, bien sûr, mais c'est une autre affaire. M. B.