Le procès du blanchiment de capture de thon rouge s'ouvre aujourd'hui devant le tribunal d'Annaba. Le secrétaire général, le directeur des pêches ainsi que des cadres du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques (MPRH), l'armateur algérien du navire El Djazaïr et des armateurs turcs, inculpés par le ministère public, seront auditionnés par le juge au cours de ce procès qui risque de lever –si les langues se délient- le voile sur la face cachée de l'iceberg. Mais déjà, malgré sa complexité et son enchevêtrement, cette affaire commence à livrer -certes à petite dose- ses secrets. De nouveaux indices relatifs à la partie liée à l'interception sur un navire turc, au large d'Annaba, de 210 tonnes de thon rouge, pêchées pour le compte du bateau algérien, viennent d'être dévoilés. Cette affaire, rappelons-le, a éclaté après l'interception par les gardes-côtes, au large des eaux territoriales algériennes, de trois bateaux turcs. Le premier, Akuadem 2, navire de ravitaillement, est à quai au port et son équipage consigné à bord. Les deux autres (Certer Ahmet 1 et Abdi Baba 3), dont l'un remorquait une cage de 40 mètres de large et de 50 mètres de profondeur contenant 210 tonnes de thon rouge vivant), sont immobilisés, ainsi que leurs équipages, à quelques miles de la côte. Après l'éclatement du scandale, Maamar Sadoune, l'armateur du thonier El Djazaïr, dans une lettre rendue publique par le quotidien El Watan, a déclaré : «J'ai été autorisé par le secrétaire général du ministère, M. Boudamous, à pêcher et à transférer le thon sur n'importe quel bateau étranger. J'ai tous les documents qui le prouvent. Des autorisations dont les gardes-côtes d'Annaba n'ont pas voulu tenir compte. On m'a fait embarquer un contrôleur du ministère et installer le VMS pour pouvoir suivre et contrôler à distance. Mais alors, où est l'infraction ou le délit ? En fait, j'ai été arnaqué par les responsables du ministère. Ils m'ont autorisé puis l'un des deux m'a dénoncé aux gardes-côtes.» Le secrétaire général du MPRH a démenti formellement, soutenant que «les accusations portées contre moi visent à porter atteinte au ministère et à sa lutte contre le blanchiment de captures». Pour le SG, qui affirme que le ministère a donné un coup de pied dans la fourmilière et touché à d'énormes intérêts, «il ne faut pas incriminer le ministère et l'ensemble de ses cadres parce que l'un d'eux est impliqué dans une opération illégale». Sans détour, M. Boudamous soutient qu'à l'origine du scandale qui a éclaboussé le ministère, un seul homme : le directeur des pêches maritimes et océaniques (DPMO), M. Alam. Ce dernier, rappelons-le, a reçu la lettre mettant fin à ses fonctions au lendemain de l'éclatement du scandale d'Annaba. «Il ne s'agit là que d'une coïncidence puisque la demande de la mise de fin de fonction du directeur des pêches a été faite en février et la réponse n'a été donnée qu'en juin», a expliqué le SG du ministère tout en précisant que la décision de résiliation du contrat de travail avec ce cadre a été motivée par son comportement «irresponsable» et après l'enregistrement de nombreuses plaintes portées contre lui par «certains armateurs qui ont même fait état de menaces formulées par le directeur des pêches». M. Alam a même été suspendu le jour de l'interception des bateaux turcs dans les eaux nationales. Une suspension qui n'aura duré qu'une journée puisque (effet du hasard ?) la décision de mettre fin à ses fonctions est intervenue le lendemain. Le hasard aurait pu, effectivement, expliquer l'intervention d'une suspension et d'une mise de fin de fonction de M. Alam à moins de 24 heures d'intervalle mais, en présence de certains faits étayés par des documents, le doute s'impose. En effet, à suivre les déclarations du SG du ministère, le DPMO a été suspendu le jour de l'interception des bateaux turcs avec une cargaison de 210 tonnes de thon rouge. Une interception qui a été possible grâce à l'alerte donnée par le SG qui, lui-même, a révélé avoir été «le premier à demander aux gardes-côtes d'intervenir pour arrêter l'opération de pêche et déposer une plainte contre les armateurs impliqués». Mais pourquoi M. Boudamous aurait-il eu besoin de suspendre M. Alam puisque la mise de fin de fonction de ce dernier est datée du 1O juin 2009 ? Le DPMO qui n'a même pas été informé de la demande de sa mise de fin de fonction, «comme le veut la tradition administrative», selon une source proche du ministère, a été avisé de sa suspension en date du 22 juin par M. Boudamous qui aurait exigé de son subordonné de quitter immédiatement son bureau. Une lettre lui a été adressée en date du 29 juin, lui annonçant qu'en plus de sa suspension et suite au courrier de la Présidence en date du 10 juin, il a été mis fin à ses fonctions. N'étant plus DPMO depuis le 10 juin, M. Alam ne pouvait être suspendu douze jours après en cette qualité. Avec cette suspension, M. Alam ne pouvait plus bénéficier de la «protection» de l'administration en tant que cadre supérieur de l'Etat, certifie notre source qui explique encore : «A cela s'ajoute la célérité avec laquelle ce dernier a été congédié de son bureau afin de l'empêcher d'emporter tout document pouvant l'innocenter. D'ailleurs, l'ensemble du secrétariat de M. Alam a été changé.» Pour quelle raison un cadre de l'Etat serait-il empêché par sa tutelle de préparer sa défense si les documents en sa décharge existent ? «Une manière de me mettre tout sur le dos et de se disculper. Toute révélation de ma part dans cette affaire aurait été consignée dans le registre de la vengeance et la vindicte qui fait suite à ma suspension», aurait laissé entendre M. Alam, selon notre source. La justice n'est rendue que sur des faits et les faits dans cette affaire sont en faveur de M. Alam. Il ne s'agit là nullement d'une perche tendue à ce dernier mais des écrits de ce responsable. Ne dit-on pas que les paroles s'envolent et les écrits restent ? M. Alam, qui a été informé de la présence de bateaux turcs dans les eaux sous juridiction nationale, aurait informé le SG afin qu'il avertisse les responsables des gardes-côtes. «Ne voyant pas de répondant, il décide alors de saisir personnellement ses homologues de la marine marchande et des gardes-côtes.» En date du 24 mai 2009, le DPMO adresse une correspondance (référence 345) au directeur de la marine marchande dans laquelle il demande à ce responsable «de bien vouloir porter à ma connaissance tout mouvement de navire thonier étranger naviguant dans nos eaux/juridiction nationale ou désireux d'accoster dans les ports algériens». Deux jours après, le DPMO adresse une seconde correspondance (référence 349) au commandant du CNOSS (Centre national des opérations de surveillance et de sauvetage) où il avertit clairement : «Dès mise en œuvre, progressive, du système VMS, et à travers la visualisation des navires de pêche, il est apparu un navire turc, dénommé Akuadem 2. Ce navire serait un navire de pêche de thon, enregistré de surcroît sur le registre des navires ICCAT […] Or, en vertu des engagements internationaux de l'Algérie envers l'ICCAT […] dès disposition de cette information de visualisation, j'ai saisi par écrit le directeur de la marine marchande. De ce qui précède, je vous saurai gré, dans le cadre de la coordination des opérations, de faire procéder par vos services, dans le cadre et la limite de vos prérogatives, à la vérification de l'information concernant ce navire et si possible faire procéder également à son contrôle in situ et in visu […].» En date du 31 mai 2009, le DPMO adresse une seconde lettre (référence 363/MPRH/DPMO) au directeur de la marine marchande. Dans cette lettre, qui intervient à la suite de la réponse de la direction de la marine marchande au premier courrier adressé par le DPMO, il est noté : «Je vous saurai gré de m'indiquer les noms et indicatifs, internationaux des navires de pêche de thon étrangers ainsi que leurs positions actuelles afin de me permettre de transmettre cette information et répondre ainsi aux exigences de déclaration auxquelles nous sommes astreints en la matière auprès de l'ICCAT […] il est indispensable, en respect de la réglementation en vigueur, tant nationale qu'internationale, de faire procéder à la délocalisation des navires de pêche étrangers en dehors de nos eaux s/juridiction nationale.» Il est clair qu'avec les correspondances susmentionnées, le DPMO a respecté la procédure dans la partie de l'affaire dite de blanchiment de capture de thon rouge. Reste à comprendre maintenant les raisons qui ont poussé ce responsable des pêches à signer des autorisations pour l'importation d'un thonier et la participation à la saison de pêche 2009 à la société «Belkis Dounia» alors même que celle-ci n'est pas officiellement créée. Rappelons que le navire thonier Belkis Dounia, importé de Turquie, a été enregistré à l'ICCAT par le ministère sous pavillon algérien le 15 avril 2009 alors qu'il n'a obtenu son acte d'algérianisation provisoire que le 2 juin 2009. L'acte de naissance de la SARL «Belkis Dounia Pêche» est daté du 2 mai 2009 alors que le ministère de la Pêche a délivré, en date du 15 mars 2009, une autorisation d'importation du navire. Toutes les autres autorisations ont été obtenues alors même que la SARL n'avait pas encore vu le jour. A en croire notre source, la signature d'importation de navire pour des armateurs avant la création de leur SARL est un mode de fonctionnement qui est pratiqué depuis des années «dans les plans de relance et d'appui à la croissance économique du ministère de la Pêche, tous les bénéficiaires de l'aide de l'Etat pour l'importation de bateaux n'ont créé leurs sociétés qu'après l'autorisation d'importation». A cela s'ajoute le fait que le SG aurait pressé le DPMO à donner son accord sur l'importation des deux thoniers de cette SARL dans le but de permettre à l'Algérie d'inscrire le maximum de navires pour respecter ses engagements et les conditions de l'ICCAT. «Une fois les places réservées, le ministère aurait eu toute la latitude d'assainir sa liste. Il s'agira d'une affaire interne par la suite, ce qui est dans l'intérêt de l'Algérie. D'ailleurs, les deux navires de cet armateurs [Belkis Dounia et Syriana] ont été inscrits à l'ICCAT par le SG.» Ainsi, pour M. Alam, l'envoi d'une correspondance confirmant l'autorisation de pêche pour un navire qui a été inscrit à l'ICCAT (donc autorisé à pêcher du thon rouge) n'est en réalité que le respect de la procédure administrative dont il a la charge. Le secrétaire général du ministère a une toute autre vision des choses. M. Boudamous soutient que «c'est le ministère qui a découvert le trafic et qui a bloqué l'enregistrement des deux bateaux algériens contre lesquels une plainte a été déposée». L'inspection du thonier Belkis Dounia aurait permis de découvrir le pot aux roses : «Nous avons découvert lors de l'inspection qu'il y a eu faux et usage de faux et que les deux navires n'ont pas été acquis auprès d'un chantier, mais auprès de tierces personnes en vertu d'un contrat de vente leasing, alors que la réglementation interdit l'importation en leasing des navires de pêche.» Le SG, qui reconnaît avoir lui-même transmis la liste des navires censés être sous pavillon algérien pour un enregistrement auprès de l'ICCAT, a expliqué que «cette liste m'a été présentée, comme à l'accoutumée, par le directeur national de la pêche qui a à sa charge de vérifier la conformité des documents de chaque navire. Je ne pouvais pas douter de son travail ni de sa probité à ce moment». Pourtant, dans les envois du SG à l'ICCAT - datés des 22 et 23 mars 2009 sous le n°368/SG et 369/09/SG- il est clairement spécifié dans la liste (non définitive) des navires senneurs de plus de 24 mètres qui contenait 11 noms que les deux navires en question sont en cours d'immatriculation et d'enregistrement. Enfin, concernant les nouvelles mesures imposées par le ministère pour la saison 2009 de pêche au thon rouge et qui ont été jugées draconiennes par les armateurs, il est appris que la décision de limiter la pêche dans les eaux sous juridiction nationale a été prise par le groupe de travail chargé du traitement, suivi et gestion du dossier de la pêche des espèces migrateurs qui s'est réuni en date du 11 févier 2009 sous la présidence du secrétaire général du ministère. M. Alam qui a été contre une telle décision aurait affirmé que «l'Etat m'a confié la fonction de directeur des pêches maritimes et océaniques et donc me paye pour aller dans les océans. Le thon migre et c'est au pêcheur d'aller le trouver». Il aurait même laissé entendre qu'il est important de mettre des conditions pour protéger l'intérêt de l'économie nationale mais «beaucoup de conditions poussent à se poser des questions s'il n'y a pas d'autres desseins visés». Pour M. Boudamous, «les mesures prises par le ministère allaient couper l'herbe sous le pied aux trafiquants qui engrangeaient des sommes colossales sans efforts». Enfin, si le secrétaire général du ministère de la Pêche est convaincu que les accusations portées contre lui visent à porter atteinte au ministère et à sa lutte contre le blanchiment de capture, le directeur des pêches estime que certains visent à lui «faire porter le chapeau» et l'utiliser comme «un fusible puisque ce dernier ne faisant pas partie de l'appareil, il ne peut la gripper». H. Y.