Le colonialisme français avait un drôle de projet : déporter les maronites du Liban vers l'Algérie pour les « protéger » des Druzes. Le transfert de ces catholiques d'Orient devait se faire entre 1848 et 1870. Dans une lettre adressée aux participants aux premières Journées cinématographiques d'Alger (JCA), organisées par l'association « A nous les écrans », aux salles Frantz Fanon et Cosmos, à l'Office Riadh El Feth, Eliane Raheb a évoqué cette page, encore sombre, de l'histoire. Eliane Raheb, qui est directrice du Festival du cinéma « Beirut DC », n'a pas pu faire le déplacement à Alger pour présenter son documentaire, Hayda Lubnan (C'est ça le Liban). Dommage. Cette réalisatrice de 34 ans a une démarche particulière. Elle ose poser des questions sur le confessionalisme qui empoisonne la vie des Libanais : « Les musulmans sont-ils les ennemis des chrétiens ? Les chrétiens sont-ils les blancs, les musulmans, les noirs ? » Eliane, elle même catholique, pose des questions à son propre père. « Tu es une enfant égarée, mais tu es ma famille », a fini par lâcher le paternel avant d'entrer dans une église. La mère, elle, était gênée par le fait que les bombardements israéliens sur le Sud-Liban et sur Beyrouth en 2006 commençaient... un dimanche, jour du seigneur. Eliane, avec son amie Zeina, a accompagné tout le mouvement qui a suivi l'assassinat de Rafic Hariri en 2005, la création des mouvements du 8 et du 14 mars, les élections... « On nous a promis la libération et la souveraineté depuis le départ des Syriens. La troisième République... », a-t-elle dit. La deuxième République, elle, s'était achevée, symboliquement, en 2005 avec ce qui est appelé « la Révolution du Cèdre » qui a suivi l'assassinat de Hariri et qui a abouti aux élections parlementaires consacrant la victoire de « Tayar el moustakbal » (Courant du Futur) de Saâd Hariri, fils du défunt Premier ministre. L'image de Saâd est partout dans le documentaire de Eliane. Ce n'est pas de la propagande, mais Eliane Raheb, en s'intéressant aux belles dents blanches de Saâd, veut montrer comment on peut fabriquer un mythe, une figure médiatique, une image. Elle fait parler Fadi Abou Djamra, ancien activiste des Forces libanaises, anti-syrien, qui préfère l'exil mais soutient que : « ça va changer ». Fadi est reparti en France après la « Révolution du Cèdre »... Puis, il y a Afif Diab Simon, militant communiste, sunnite, qui refuse d'avoir « une confession ». La question est pourtant insistante : « Quelle est ta confession ? ». Au Liban, c'est inévitable, il faut être quelque part... sinon on devient douteux. Le confessionalisme, ce sel collé sur la chair vive du Liban... Afif Diab est fier de montrer à la caméra d'Eliane « le maquis communiste » de Djabel Cheikh. « Entre moi et Israël, il y a une profonde vengeance », a confié Afif. Et puis, il y a cette autre interrogation au père d'Eliane : « Qui a brûlé notre maison ? » Le père ne dit rien. L'incendie fut l'œuvre des milices chrétiennes des Forces libanaises (FL) de Bachir Gemayel qui, durant la guerre civile entre 1975 et 1990, avaient commis des massacres. « Les Forces libanaises tuaient au nom de Dieu. Elles ont assassiné des chrétiens aussi », fait remarquer Eliane. Bachir Gemayel a lui aussi été tué en 1982. La réalisatrice a dénoncé l'impunité accordée au « docteur » Samir Geagea, chef des FL, qui est impliqué, entre autres, dans l'assassinat des anciens Premiers ministres Rachid Karamé et Dany Chamoun. « Ils ont fermé le dossier, c'est tout », a-t-elle relevé. Samir Geagea, devenu allié de Saâd Hariri, a bénéficié d'une amnistie en 2005. Les copines de la mère d'Eliane célèbrent la Vierge Marie. L'une d'elles a confié : « Nous voulons vivre en paix, mais ils veulent nous prendre le Liban ». « Mais qui veut prendre le Liban ? » Pas de réponse. Eliane Raheb n'a pas résisté à la tentation de visiter Bkassine, son village plusieurs fois abandonné par ses habitants, Bkerké la résidence du patriarche Nasrallah Boutros Sfeir, El Djebel ; chaque endroit a une histoire, un souvenir... Le Palestinien Nizar Hassan s'est, lui, intéressé, à Dhahiya, la banlieue sud de Beyrtouth dans son documentaire Janoub (un 52 minutes co-produit avec la télévision allemande ZDF). Ce quartier, majoritairement chiite, fut l'objet d'un pilonnage intensif de l'aviation israélienne en 2006. Il a fait balader la caméra à Hart Hreik, a donné la parole à l'universitaire Mona Fayad, hostile au Hezbollah, et à Bissine My, journaliste qui a répliqué à la critique contre le parti de Nasrallah. Un débat au Liban. Nizar Hassan a interviewé Issam Ayad, chiite palestinien, qui dirige une bibliothèque à Beyrouth et qui lui a confié qu'il était fatigué par la guerre. Dans Janoub, le rouge est partout. Le rite de l'Achoura, particulièrement célébré par les chiites avec les fameuses scènes de l'auo-flagellation, est mis en exergue au point de lasser les spectateurs. Janoub est-il un documentaire hostile à Hezbollah ? « Il n'était pas dans mon intention de m'attaquer au Hezbollah. Je n'ai aucun problème avec lui. Mon travail a été critiqué au Liban. Chacun est libre de ses interprétations », a expliqué Nizar Hassan à la fin de la projection, irrité par une question d'un spectateur. Il a indiqué avoir été inspiré par l'article de Mouna Fayad, « C'est quoi être chiite aujourd'hui ? », paru dans le quotidien En-Nahar, journal proche du mouvement du 14 Mars, opposé au Hezbollah. Se réclamant de la laïcité, Nizar Hassan préfère que l'on parle de la séparation de la foi de la politique. C'est probablement pour cette raison qu'il a tenté, d'une manière discutable, de souligner le côté violent de la célébration de l'Achoura au point de mettre en gros plan comment un enfant est blessé à la tête pour participer à la « fête ». La violence a-t-elle un seul sens ? Nizar Hassan, 49 ans, est réalisateur de plusieurs documentaires, dont The arms of yesterday et Cut. Il a regretté qu'aucun de ses produits n'a été acheté par les télévisions arabes. Les Journées cinématographiques d'Alger se poursuivent jusqu'à demain. Aujourd'hui est prévue la projection à la salle Cosmos de deux films intéressants : Mahmoud Darwich, et la terre comme la langue de Elias Sanbar et simone Bitton et Le temps qu'il reste ,de Elia Suleiman.