La dépréciation du dollar face à l'euro est en train de doper les cours du pétrole. Et, si elle se poursuit, les prix de l'or noir pourraient atteindre cent dollars dans les six mois à venir. C'est l'avis d'un économiste de Deutsche Bank, cité par l'agence de presse Reuters. «Nous pensons que le dollar pourrait s'affaiblir encore, jusqu'à 1,60 contre un euro, ce qui veut dire que les prix du pétrole risquent d'atteindre à nouveau le seuil fatidique des trois chiffres», a déclaré à Reuters Adam Sieminski, chargé de l'énergie chez Deutsche Bank. Un dollar plus faible implique également que «les prix du pétrole auront plus de chemin à parcourir» mais un retour à cent dollars le baril pourrait compromettre la reprise économique, prévient l'établissement financier allemand dans une note de recherche. La reprise économique, les pays pétroliers, ceux structurés dans l'OPEP en tête, en tiennent compte quand il s'agit de recadrer, si c'est nécessaire, l'offre et la demande. Seulement, la reprise des cours du brut enregistrée aujourd'hui semble ignorer le marché de l'or noir. Aussi, il est «absolument essentiel de lier les mouvements des matières premières au dollar ces derniers jours, dans la mesure où rien d'autre ne semble vraiment compter», comme le note William Copp, de MF Global, cité par des médias européens. Le pétrole caracole autour de quatre-vingts dollars, un seuil qui n'avait plus été franchi depuis un an. Le baril de brut est ainsi fortement soutenu par un billet vert en «méforme», face à une monnaie européenne qui se porte bien (le dollar est passé sous le seuil de 1,50 euro mercredi dernier pour la première fois en 14 mois). Mais qu'en pensent les pays producteurs de pétrole, eux qui avaient été, il y a quelques mois, pris de panique dans le sillage de la crise économique et de la dégringolade des prix de l'or noir qui s'en est suivie ? Pour le ministre algérien de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, les règles du marché (l'offre et la demande), les cours du pétrole s'en affranchissent actuellement. Un point de vue partagé par Abdallah al Badri, secrétaire général de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole. Ce dernier admet que les prix actuels «ne reflètent pas» les fondamentaux (l'offre et la demande), et qu'ils ont grimpé à cause du dollar. Devenu un produit financier, le pétrole n'obéit pas seulement aux lois de l'offre et de la demande, mais il est utilisé comme placement refuge, corrélé aux marchés de devises et d'actions. Mais que se passe-t-il sur les marchés ? Quand le dollar se porte si mal, les investisseurs en profitent en achetant du pétrole, pour diversifier leur patrimoine et en préserver la valeur. Et ce n'est pas tout, les mesures que des grandes banques centrales ont prises dans le but de juguler la crise financière mondiale semblent avoir amplifié le phénomène. Explication : en abaissant leurs taux à des niveaux jamais égalés, les grands argentiers ont créé en vérité des masses de liquidités, que les investisseurs cherchent à placer. Et, c'est de bonne guerre. Le marché croule-t-il sous le pétrole ? Les réserves américaines augmentent pour se situer à des niveaux historiquement élevés et le pétrole s'entasse même en mer. Des indices ? Selon l'Agence internationale de l'énergie, 120 millions de barils sont actuellement stockés dans des pétroliers. La montée des prix à laquelle on assiste aujourd'hui rappelle aux pays consommateurs les inquiétudes de 2008, lorsque le pétrole enchaînait les records, jusqu'à 147,50 dollars. Les pays consommateurs demandaient alors aux pays producteurs d'augmenter la production pour enrayer l'envolée des cours. Pourtant, ce n'était pas une question d'offre. Al Badri a d'ailleurs rappelé, la semaine dernière, lors de la conférence Oil & Money que la flambée n'était alors due qu'à «la spéculation». «Le marché papier (les contrats échangés à Londres et New York) a été multiplié par 300 entre 2003 et 2008, passant de 900 millions à 3 milliards de barils échangés par jour, soit 45 fois la consommation quotidienne mondiale», a-t-il argumenté. En juillet 2008, le record absolu du pétrole avait d'ailleurs coïncidé, à quelques jours près, avec un plus bas historique du dollar. Cependant, une question : cette dépréciation du billet vert incitera-t-elle les pays pétroliers à tourner le dos au dollar ? Peu probable. Changer d'unité de compte renvoie forcément à la révision des leviers des marchés pétroliers et du commerce international. Et cela relèverait de l'hypothétique. En tout cas, l'hypothèse que les producteurs abandonnent le dollar comme monnaie de cotation du pétrole, soulevée fin 2007, a été de nouveau évoquée par un quotidien britannique en septembre dernier. «La décision de passer d'une monnaie à une autre n'est pas facile à cause du commerce international, des réserves [monétaires] détenues par les pays membres» de l'OPEP, constituées majoritairement de dollars, a rappelé Al Badri, cité par des agences de presse. Certains experts trouvent néanmoins l'explication du billet vert trop courte et font valoir que les prix du brut reflètent aussi une amélioration du marché. Un point fait l'unanimité : un pétrole à 80 dollars permet aux producteurs de réaliser les investissements nécessaires pour satisfaire la demande future, en forant dans des conditions de plus en plus difficiles. C'est un aspect qui a été souligné à plusieurs reprises par l'OPEP au cours de ses conférences ministérielles. Y. S. Gazoduc sous haute pression politique Le Danemark a donné, cette semaine, son feu vert au passage dans ses eaux de la mer Baltique du gazoduc «controversé» North Stream piloté par Gazprom. Cette décision, commente le quotidien danois Politiken, repris par des médias européens, a été prise «après plusieurs mois d'intenses activités. Ce projet, qui vise à relier Vyborg en Russie à Greifswald en Allemagne, est désormais très proche de se réaliser. Les concepteurs de North Stream, qui comprend, outre la compagnie russe, les sociétés allemandes BASF et E.ON, espèrent commencer les travaux en 2010. Et cela en dépit de fortes critiques. Les tensions avec l'Ukraine, notamment, ont conduit à des suspensions temporaires des livraisons de gaz russe vers l'Ouest. Y. S.