Photo : Riad De notre correspondant à Constantine A. Lemili A trois semaines de l'Aïd El Adha, le marché est étrangement calme à Constantine. Aucun signe indicateur susceptible de rappeler la proximité de cette fête religieuse. Mieux, le maintien aux cimes des prix du poulet, le commerce toujours alerte et florissant des boucheries spécialisées dans la viande congelée, font croire qu'il sera pévident qu'il y ait bousculade pour l'achat du mouton. En fait, ce manque de fébrilité n'est pas nouveau, il était déjà visible ces deux dernières années et ce qui semble plus digne d'intérêt est que, justement, l'inertie du marché local d'habitude matérialisé par une floraison de points de vente informels situés à tous les endroits stratégiques de la cité, plus particulièrement ses voies d'accès périphériques et, du reste, des onze autres communes, renseigne sur une autre réalité : la difficulté des ménages de pouvoir engager une dépense qui, à mesure que passent les années, n'est plus maîtrisable dans le sens où elle est en constante évolution exponentielle. Sans doute, pour certains, une charge incontournable, si ce n'est obligatoire, à plus d'un titre… quelles qu'en soient les conséquences mais laquelle au-delà déjà de grever le budget familial, désynchronise sa gestion à travers une formidable onde de choc de laquelle ils (les ménages) ne se relèvent que pour entrer de plain-pied dans une autre phase de dépenses, certes ponctuelles comme les autres fêtes religieuses médianes (Mawlid enabawi, Achoura, Moharam) ponctuelles comme l'est le rendez-vous quasi sacré des grandes vacances lesquelles, est-il besoin de le souligner, les saignent définitivement. Ces deux dernières années, effectivement, il y a eu nettement moins de chefs de famille prompts à répondre présents à la halte liturgique ou, sinon, ont, se sont, froncé le sourcil et fait douce violence en engageant une dépense dont ils sont persuadés qu'elle est quand même loin d'être aussi nécessaire contrairement à toutes les considérations auxquelles elle est censée obéir et au devoir à remplir. Mais il est également clair que trois semaines, c'est encore loin et que tous les réticents vont être travaillés au corps par leurs proches jusqu'à la dernière minute pour enfin se décider, considérant ou laissant croire que le marché va fléchir au cours des derniers jours ou, miraculeux hasard, fléchir lors de l'achat. En tout état de cause, au jour d'aujourd'hui, il n'existe aucun barème précis des prix, exception faite du leitmotiv incessant de «ghalia», «maalihach» chez le citoyen lambda, celui qui fréquente les marchés hebdomadaires à bestiaux, qui fait la tournée des camps de maquignons, qui s'arrête au hasard d'une randonnée ou pédestre dans les vertes prairies d'Aïn Smara, El Khroub, Didouche Mourad, Aïn Abid, El Aria, etc. Tout cela en l'absence d'une échelle réelle des prix et le tout mis à l'avenant comme pour faire place au plus grand doute mais aussi pour que soit régulièrement entretenue une spéculation qui garde le rapport de force en faveur du vendeur. En fait «monsieur tout le monde», habituellement et comme chaque année, depuis que les temps sont devenus plus durs, se fixe un seuil qui, à ses yeux, valide la licéité du sacrifice à mesure que le prix de l'agneau se situerait dans une fourchette au départ de 20 000 DA. Le reste ne sera par la suite qu'affaire de bénéfice ou de mauvaise affaire pour celui qui aura acquis l'animal à ce prix mais dont la taille imposante ou non est d'abord comparée à celle du ou des voisins. Ce n'est donc pas face à un marché où sont fixées des normes que fait face le potentiel acheteur mais un marché distordu que ne commande ni logique ni canon économique, encore moins des règles sociales en phase avec les commandements religieux. Pour l'anecdote, le futur acheteur en est même à scruter le ciel en souhaitant que les pluies n'arrivent pas, en ce sens qu'elles hypothéqueraient l'alimentation naturelle du bétail et, du coup, ferait douter le maquignon, notamment en raison des risques encourus par un élevage qui pourrait ne plus trouver preneur, l'incitant donc à moins de cupidité dans les trois semaines à venir. Quant au vendeur, il trouvera évidemment l'astuce qui lui permettra de vendre encore plus cher ses agneaux au motif que leur nourriture lui a justement coûté trop cher parce qu'il aura fallu l'acquérir auprès de… spéculateurs.