Bachir Boumaza vient de disparaître à l'âge de 82 ans après une longue et riche vie militante entrecoupée de périodes d'emprisonnement et d'exil. Très jeune, marqué par les massacres du 8 mai 1945 dont sa ville natale, Kherrata, était notamment le théâtre, il adhère au PPA-MTLD. Il eut l'occasion de connaître et de côtoyer deux personnalités les plus marquantes de la période qui précède le déclenchement de la guerre de libération nationale. Il collabora avec Messali Hadj auquel il tenait compagnie dans les localités où il était en résidence surveillée. Il eut l'occasion de connaître de près celui qui était à l'époque le leader incontesté du mouvement national et le seul champion de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Il apprécia sa volonté farouche de combattre le colonialisme français et son patriotisme inflexible. Il prit conscience aussi de ses faiblesses et de sa mégalomanie au moment où les militants et sympathisants du PRA-MTLD lui vouaient un culte de la personnalité semblable à celui des régimes totalitaires et le représentaient au sein du peuple algérien en toute occasion, dont les activités politiques et autres fêtes familiales. Boumaza, devenu responsable d'une région de la Fédération de France du PPA-MTLD, s'opposa au mouvement dit «berbériste» et contribua avec Chawki Mostefaï et le capitaine Saïdi Sadok à le juguler, en invoquant la nécessité de préserver l'unité du parti et d'éviter la division du peuple algérien qui ne pouvait profiter qu'à l'occupant colonialiste. Lorsque Belouizdad Mohamed, qui avait suivi sa santé en réorganisant le Constantinois après les massacres du 8 mai 1945 et qui avait été le premier responsable de l'Organisation spéciale, fut hospitalisé en France, c'est Bachir Boumaza qui fut chargé de s'occuper de lui. Il accomplit cette mission dont il a conservé un souvenir inoubliable, avec tout le dévouement dont il était capable et ressentit le décès de ce héros comme un deuil personnel. Pendant la guerre de libération nationale, Boumaza fut en France un des premiers militants à rallier le FLN. Si l'idée de créer un collectif des avocats de la Fédération FLN de France, après le démantèlement de celui d'Alger par l'arrestation et l'exil de ses membres en février 1957, est due à Smaïl Mehenna, sa réalisation a été le fait de Bachir Boumaza. Il a réuni Mourad Oussedik, qui devait devenir la cheville ouvrière de ce collectif, Abdessemad Benabdellah, avocat à Paris, Boulebina de Marseille et Bendimered de Lyon. Il y a intégré un peu plus tard Jacques Verges auquel devait le lier une amitié qui a résisté au temps et aux vicissitudes. Le rôle joué par ce collectif qui a fini par regrouper plus de 80 avocats «équivaut à une division», c'est-à-dire à près de 10 000 soldats, selon Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle. Arrêté en 1058, Boumaza a contribué au succès des grèves de la faim et à l'ouvrage intitulé la Gangrène. Après quatre années de détention, il décida d'organiser son évasion et celle de certains responsables, lesquels ont renoncé au dernier moment à tenter l'aventure. Il la tenta seul avec l'aide de Me Mourad Oussedik. Ce dernier lui procura une tenue de gardien de prison et lui fournit certains renseignements sur les horaires des sorties des surveillants de la prison de Fresnes. C'est ainsi que, déguisé en gardien, avec sang froid et audace, il sortit de la prison de Fresnes sans être démasqué. Il attendit que l'état d'alerte qui a suivi son évasion soit levé pour franchir la frontière belge déguisé en curé, un bréviaire à la main. Son costume de curé est toujours gardé à Bruxelles chez Me Moureau qui l'hébergea et lui procura les contacts nécessaires avec les responsables de la Fédération de France. Durant la crise de l'été 1962, j'ai eu l'occasion, avec Rabah Bitat, d'accueillir Mohamed Khider venu d'Oran à Alger pour préparer l'arrivée de Ben Bella et de Boumediene. Il était accompagné par Bachir Boumaza qui assista à la réunion de Khider avec les responsables de la wilaya IV. Elu député de Annaba en sa qualité de personnalité nationale, il a présenté et soutenu la candidature de Ben Bella au poste de Premier ministre. Sa carrière politique et gouvernementale avec ce dernier devait se terminer au 19 juin 1965. Celle qu'il entama avec Boumediene fut plus courte et se termina en octobre 1965 par son départ clandestin par la frontière tunisienne. Son exil dura jusqu'en 1981. Durant cette période, il se mit au service de la cause palestinienne. Nos chemins se croisèrent à Beyrouth chez Abu Djihad, après les procès des fidaïyine palestiniens que j'avais eu l'occasion de défendre à Athènes (Grèce) avec Jacques Verges, qui fut empêché de suivre le procès de Zurich (Suisse), ainsi que dans la fameuse affaire des athlètes israéliens à Munich. Très proche de Sadam Hussein, il écrivit un livre défendant la position de l'Irak dans la guerre fratricide opposant ce pays à l'Iran de Khomeyni. Il s'installa à Lausanne où il ouvrit une imprimerie. Rentré d'exil, il créa la Fondation du 8 Mai 1945 avec laquelle j'ai eu l'occasion de collaborer.Lorsque, en janvier 1998, il devint président du Conseil de la nation, il me proposa d'être désigné membre de cette institution. Lorsque j'ai décliné cette proposition, nos relations amicales ne cessèrent de se développer un peu avant et surtout après son élimination de son poste dans des conditions discutables. A. M. *Ancien bâtonnier d'Alger et avocat du PPA-MTLD et du FLN