Bachir Boumaza est un véritable personnage de roman. Loin d'être un fleuve tranquille, sa longue et riche carrière politique est faite d'incessants rebondissements. Son plus haut fait d'armes fut son évasion spectaculaire, le 2 octobre 1961, de la prison de Fresnes en se déguisant en gardien de prison avant de quitter le territoire français en se faisant passer cette fois-ci pour un curé. De son parcours sinueux ressortent trois moments forts : ses oppositions à Ahmed Ben Bella d'abord, à Houari Boumediene ensuite et, enfin, à Abdelaziz Bouteflika. Après un compagnonnage de plus de deux années avec le premier président de la République Ahmed Ben Bella, l'enfant de Kherrata se rebiffe contre son chef avant de rejoindre le camp de Houari Boumediene au lendemain du coup d'Etat du 19 juin 1965. Témoignage du commandant Azzedine : “Boumaza était l'homme du Président, mais Ben Bella a voulu l'enlever de son poste et mettre à sa place Medeghri. Ce dernier a refusé tout en le faisant savoir à Bachir Boumaza.” Ce dernier avait dit à Omar Oussedik : “Si jamais on m'apprend qu'il y a une embuscade montée contre Ben Bella, même si je suis dans le convoi, je ne l'avertirai pas au risque d'y laisser ma peau.” C'est dire combien était tenace la rancune qu'il nourrissait à l'égard de Ben Bella. Mais la lune de miel avec le nouvel homme fort du pays n'a pas duré trop longtemps. En 1966, Boumaza démissionne avec fracas de son poste de ministre et quitte clandestinement le pays. Exilé en France, Bachir Boumaza avait tenté de se rapprocher de l'opposition en prenant langue avec Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed. Mais c'était l'Organisation clandestine de la Révolution algérienne (Ocra) de Mohamed Lebjaoui qui lui avait ouvert ses portes. C'est en exil aussi que Boumaza, un panarabiste convaincu, s'était mis au service de la cause palestinienne et qu'il a noué une solide amitié avec le dictateur irakien Saddam Hussein. Au lendemain des évènements d'Octobre, il revient au bercail et crée l'Association du 8 Mai 45. Lors des élections législatives de décembre 1991, il s'est porté candidat à Kharrata, sa ville natale, sous les couleurs du FLN. En ballotage avec un candidat de l'ex-FIS, Boumaza a très mal digéré l'affront. Il s'est alors éclipsé de la scène politique pour ne revenir sous les feux de la rampe qu'en 1998, du temps de Liamine Zeroual, pour présider aux destinées du premier Conseil de la nation. En conflit avec le président Bouteflika, qui voulait le poste pour son ami Messaâdia, Bachir Boumaza a été contraint, en 2001, de façon peu amène, à la démission avant la fin de son mandat. Un idéaliste romantique en quête perpétuelle de l'action ou un inconstant doublé d'un opportuniste ? Ni l'un ni l'autre. Un homme de son époque, un pur produit du mouvement national. Grand lettré, Bachir Boumaza est né le 26 novembre 1927 à Kherrata au sein d'une grande famille. Marqué par la sauvagerie de la répression de l'armée coloniale des événements du 8 mai 1945, il rejoignit les rangs du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et gagna très vite la confiance de Messali Hadj qu'il accompagna lors d'un voyage en France en 1951. Au déclenchement de la guerre de Libération nationale, il rallie le FLN et joue un rôle important dans la mise sur pied de la Fédération de France du FLN. Il était aussi pour beaucoup dans la création d'un collectif d'avocats qui défendait des prisonniers de guerre algériens avant d'être arrêté en 1958. Au lendemain de l'Indépendance, Bachir Boumaza s'est vu confier beaucoup de postes de responsabilité : ministre du Travail et des Affaires sociales, dans le premier gouvernement de la République algérienne en 1962, ministre de l'Economie nationale en 1963, ministre de l'Industrie et de l'Energie de 1964 à 1965 et ministre de l'Information de 1965 à 1966. Le dernier poste occupé par M. Boumaza est la présidence du Conseil de la nation de 1998 à 2001. C'est en Suisse qu'il s'est éteint le 6 novembre 2009, à l'âge de 82 ans. Au-delà de son parcours militant, c'est sa vaste culture qui fait de Bachir Boumaza un homme à part dans le paysage politique algérien. Cet érudit aimait séduire ses interlocuteurs, en servant des discours fleuris tout agrémentés de citations des classiques français et de la littérature arabe. Gageons que son livre-testament, achevé depuis quelque temps déjà, sera un chef-d'œuvre littéraire. Une question : l'éternel insatisfait qu'a toujours été M. Boumaza étanchera-t-il la soif de vérité des Algériens en faisant des révélations fracassantes, lui qui connaît parfaitement les moindres secrets de notre histoire contemporaine ? Vivement la parution de ses mémoires.