L'Afrique est-elle aussi devenue depuis quelques années un terrain d'action du terrorisme international ? Le continent a connu ses premiers attentats sanglants en 1998 au Kenya et en Tanzanie où les ambassades américaines avaient été visées. Les pays africains essaient de combattre ces dangers tout en poursuivant leurs objectifs de paix et de développement ; mais la lutte contre le terrorisme n'a pas été placée au premier plan en dépit des appels à mener la «guerre contre le terrorisme» multipliés depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le journaliste kényan Mutuma Mathiu résume la perspective africaine : «Pour des gens qui doivent travailler assez dur pour mettre du pain sur la table, qui font face au sida et à la hausse du coût de la vie, le terrorisme semble une menace lointaine. La menace de n'avoir rien à manger est plus immédiate.» L'Afrique essaie avec l'aide de l'ONU de combattre le terrorisme par une approche nuancée qui combine les questions de sécurité avec celles du développement et avec la promotion des droits de l'Homme. Un groupe d'experts sur le terrorisme, réuni les 3 et 4 juin 2009 à Addis-Abeba, (Ethiopie), a souligné que l'Afrique devait engager des efforts plus importants tout en notant le besoin de «renforcer la voix de l'Afrique dans le débat international sur le terrorisme», selon Patrick Hayford, le directeur du bureau du Conseiller spécial de l'ONU pour l'Afrique (OSAA). Unité antiterroriste Ce sont les attentats du Kenya et de Tanzanie, en 1998, qui ont mis en lumière la vulnérabilité du continent aux activités des réseaux terroristes internationaux comme Al Qaïda. L'année suivante, les dirigeants africains réunis à Alger par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) adoptaient la Convention sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, le premier accord à une échelle continentale sur la lutte contre le terrorisme. Depuis, l'Union africaine (UA), qui a succédé à l'OUA, a développé l'approche continentale de l'Afrique. Ces menaces n'affectent pas tout le continent, explique Eric Rosand, codirecteur du Centre sur la coopération mondiale contre le terrorisme de New York. C'est la Somalie, privée de gouvernement central effectif depuis 1991, qui a soulevé les plus grandes inquiétudes au niveau international. Après le 11 septembre 2001, de nombreux pays ont été pressés d'adopter rapidement des lois antiterroristes et de signer des accords de formation et de coopération militaires avec les États-Unis et les pays européens. Une approche maladroite Ceci a provoqué un certain ressentiment. Selon M. Rosand, l'opinion qui prévaut en Afrique est que la campagne internationale contre le terrorisme a été «conçue sans apport des Africains, imposée de l'extérieur». Au Nigeria, les tentatives pour introduire des lois antiterroristes ont soulevé des critiques vigoureuses dans les États du nord du pays où elles sont perçues comme antimusulmanes. Les puissances étrangères au continent ont trop souvent négligé ces perceptions et leurs actions ont été considérées comme maladroites, particulièrement dans les pays ou les régions à majorité musulmane. Ces interventions ont aussi, selon ces critiques, aliéné les éléments les plus modérés et même fourni des arguments aux recruteurs des groupes terroristes. Protéger les droits de l'Homme De nombreux pays africains ont adopté de nouvelles lois pour renforcer les moyens dont disposent la police et les tribunaux pour lutter contre les groupes terroristes ; malheureusement, affirment des critiques, certains dirigeants ont utilisé cette législation pour faire taire les voix discordantes et discréditer leurs opposants politiques. En Egypte, au Kenya, au Nigeria, en Ouganda et ailleurs, avance Samuel Makinda, professeur kényan d'études de sécurité et de relations internationales, les nouvelles lois destinées à resserrer les contrôles financiers et douaniers ou à protéger les moyens de communications et autres infrastructures ont, parfois, une portée si générale qu'elles vont «bien au-delà de mesures contre le terrorisme» et pourraient au contraire contribuer à «dégrader les droits de l'Homme et les libertés civiles.» De fait, ces lois ont été utilisées dans plusieurs pays pour étouffer des «activités politiques légitimes». Rotimi Sankore, militant nigérian des droits de l'Homme, remarque : «Il semble maintenant que, pour s'assurer du soutien des pays occidentaux, il suffit à n'importe quel gouvernement corrompu, antidémocratique et peu assuré de sa stabilité de se joindre à la guerre contre le terrorisme et d'introduire une législation ‘‘antiterroriste'' qui sera inévitablement utilisée pour supprimer ou affaiblir l'opposition démocratique et les droits de l'Homme.» Boubacar Gaoussou Diarra, directeur du Centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme (CAERT) en convient : «Comment devons-nous, en tant que sociétés démocratiques et respectueuses des droits de l'Homme, assurer notre protection collective et combattre avec efficacité cette forme de violence intolérable ?» Le CAERT, qui a son siège à Alger, fournit une partie de la réponse. Ouvert en 2004, le centre, qui est un organisme de l'Union africaine, compte aujourd'hui 42 antennes nationales et sept antennes régionales. Il échange des informations et fournit des formations en matière de lutte contre le terrorisme aux États membres de l'UA et mène des recherches approfondies pour aider les Africains à mieux comprendre les causes et les caractères du terrorisme en Afrique. C'est en renforçant à la fois la sécurité et les programmes de développement et de justice sociale que l'Afrique peut faire échec à ceux qui cherchent à justifier la violence terroriste. E. H. In Afrique Renouveau, un magazine de l'ONU