Tous ceux qui l'ont connu -footballeurs ou reporters sportifs- qualifieront de chaudron le Cairo Stadium. Les connaisseurs vous rappelleront les déboires de l'équipe zimbabwéenne en 1993. En gros, équipes nationales ou clubs qualifiés dans les compétitions continentales décriront le climat d'hostilité à l'égard des joueurs étrangers, le chauvinisme du public cairote -est-ce le cas dans les autres villes égyptiennes ?-, et cette part de xénophobie épisodique qui s'empare des supporters locaux. Toutes les équipes en visite prennent leur parti et font avec. Cela ne pose pas de problème particulier sinon pour les chercheurs égyptiens qui ont à comprendre les causes. L'accueil fait aux Algériens ne relève pas d'un palier différent, d'un degré supérieur en termes de chauvinisme local mais d'une différence de nature. Nous ne sommes plus sur le même terrain si nous devions emprunter leur langage aux athlètes. Des journalistes et des intellectuels égyptiens, en rupture avec l'atmosphère qui règne au Caire dans les médias dominants ont, eux-mêmes, attiré l'attention sur le fond de manipulation énorme qui a entouré le match Egypte–Algérie. Ici même, en Algérie, des universitaires inquiets des dérives xénophobes ont signé deux appels distincts pour un retour à la raison et pour le rejet du chauvinisme aussi bien dans le pays du Nil que dans le nôtre. Ces appels à la raison paraissent bien insuffisants pour combattre ces poussées délétères. Les signataires n'ont pas eu, apparemment, le temps de désigner les racines sociales et culturelles de ces phénomènes dangereux. Il faut, pourtant, en désigner la source pour mieux les combattre et en revenir aux faits pour comprendre s'il s'agit de dérives de certains secteurs des opinions publiques ici et là-bas et pour juger s'il ne s'agit réellement que de fièvre xénophobe aux conséquences à la fois terribles et incalculables. Les faits d'abord. Aucun acte hostile au peuple égyptien, à son histoire, à sa culture n'a été enregistré à Alger lors du déplacement de l'équipe nationale égyptienne. Rien qui sorte strictement de joutes sportives. Les équipes des autres pays n'ont pas signalé, non plus, un climat d'hostilité ou d'actes agressifs. Pas même l'équipe du Rwanda. Toute l'affaire débute avec une énorme campagne dans les médias égyptiens à l'approche du match Algérie-Egypte. C'est une campagne d'offense démesurée. C'est réellement la démesure. La confrontation entre deux équipes devient une agression contre le pays et le peuple algériens. Bien sûr, des journalistes algériens répondent sans se poser de question sur les raisons de cette démesure, sans même se poser la question de savoir à qui appartiennent ces chaînes satellitaires. Mensonges grossiers, désinformation, appels au meurtre se succèdent sur ces chaînes et dans les journaux. Seul un titre égyptien se démarque de cette hystérie. Et cette démesure qui pose problème. Deux, trois mois après que l'Algérie eut soutenu le candidat égyptien à la direction générale de l'Unesco contre un de nos concitoyens désireux d'entrer dans la confrontation. Quelques mois après un Festival du film arabe qui a fait la part belle aux artistes égyptiens et quelques années après l'entrée sur le marché algérien de quelques familles oligarchiques égyptiennes qui détiennent directement ou indirectement ces mêmes médias qui ont ouvert le feu. Et s'il fallait aller plus loin dans la sympathie que porte le peuple algérien à l'Egypte, rappelons que, dès avant la guerre d'indépendance, les Algériens ont aimé El Atrache, Abdelhalim Hafez, Oum Kaltoum, Mohamed Abdelwahab, Chadia. Ils ont aimé Henri Barakat et Youssef Chahine, Chadia et les séries égyptiennes. C'était une autre époque ? Assurément. Le revirement politique de Sadate et l'«infitah» ont profondément transformé cette Egypte que nous avions connue encore empreinte de valeurs féodales condamnables certes mais porteuses de valeurs et de lien social que les familles oligarchiques arrivées au pouvoir sous Sadate et confortées par Moubarak allaient balayer. Et d'abord le poids de l'appartenance et de la fraternité arabe dans l'imaginaire des élites liées aux appareils civil, militaire, idéologique et médiatique du pouvoir égyptien et des castes oligarchiques qu'il représente, désormais, exclusivement. Pis, ce pouvoir, ces castes et ces élites pour rompre avec le poids du nationalisme arabe et du nassérisme ont tout fait pour les disqualifier. Ils se sont gaussés de ce nationalisme qu'ils ont tenté de réduire à du populisme tout juste bon pour les foules arabes hystériques «incapables de comprendre le monde actuel». Ils ont réussi plus que relativement à remplacer cette forte identité arabe par l'héritage pharaonique plus gratifiant. Ils ont ainsi introduit un racisme des élites égyptiennes liées au pouvoir à l'endroit des autres Arabes et des Africains. Un sous-racisme justificateur des abandons des devoirs politiques et éthiques liés à l'arabisme dont Le Caire a été un jour, un des épicentres. C'est ainsi que la soumission totale de ce pouvoir, de ces castes et de ces élites aux ordres américains et sionistes est devenue une preuve d'intelligence du monde et de ses rapports de force, une preuve de cette «supériorité», etc. Ce même sentiment de supériorité est actif à l'endroit même du peuple égyptien. Cela, bien sûr, ne va pas sans sentiment de culpabilité générateur d'une haine indicible pour tout ce qui leur rappelle qu'une autre issue était possible dans la construction d'états nationaux arabes indépendants. Ils ont une sainte horreur de Hamas, de Nasrallah et du Hezbollah, des pays ou des peuples qu'ils supposent méprisant secrètement ou ouvertement la servilité de l'Etat égyptien face aux sionistes et à l'Occident. Tous, il faut rappeler que ces castes et leur pouvoir ont commencé d'abord par frapper les Arabes. Les Palestiniens d'abord, la résistance libanaise ensuite, l'Irak, puis de nouveau Ghaza, le Liban, etc. dans un interminable cercle de violence contre les peuples. Il était utile de le rappeler car les médias qui ont chauffé un public égyptien déjà enclin au chauvinisme appartiennent soit à cet Etat soit à ces familles oligarchiques. Cela ne tombe pas du ciel. Et les deux –l'Etat et les familles oligarchiques– ont sur la planche un sérieux problème à résoudre : la succession de Moubarak qui ne peut plus se représenter. Pour le mandat actuel, il a dû puiser dans les trésors de la duplicité et du mensonge pour dire aux concepteurs du Grand Moyen-Orient que c'était lui ou les islamistes. Les castes qu'il représente et à qui il a permis de prospérer voudraient s'assurer de la continuité d'un pouvoir aussi efficace à défendre leurs intérêts et à faire barrage à d'autres politiques qui exprimeraient les aspirations nationales des autres couches et classes sociales égyptiennes. La seule garantie qui leur reste, c'est la succession dynastique : la préparation puis l'élection de Gamal Moubarak, le fils de Hosni. Ce dernier présente en plus l'avantage de la jeunesse relative et d'une capacité de relookage, de modernisation, de changement de vitrine et de méthodes d'un régime décrié. Mais comme toutes les dictatures, celle de Hosni Moubarak a laminé toute figure nationale nouvelle capable d'incarner l'espoir d'une classe ou d'une caste fût-elle celles des oligarques. Il devenait urgent de donner une dimension publique nouvelle à Gamal et l'associer à un succès qui soit significatif du point de vue populaire. Quoi de mieux que le football et la Coupe du monde ? On n'a jamais vu un candidat déclaré, puisque sa candidature à la succession de son père est sur toutes les lèvres et dans toutes les combinaisons politiques, se montrer sur les gradins du stade pour les entraînements de l'équipe nationale. Comme on n'a jamais vu, même en Egypte, un chef d'Etat assister à un entraînement complet de l'équipe de football du pays et déclarer qu'il fallait battre l'adversaire à tout prix. Ces deux faits confirment que ce match n'était pas qu'une simple rencontre sportive pour le régime égyptien et que, depuis le début de cette campagne, l'enjeu était l'image de Gamal Moubarak, était la succession du père.Le sous-racisme de ces élites égyptiennes et de ces castes qui croient nous avoir «fait» et «créé» comme nous l'ont fait comprendre leurs insanités sur la guerre de libération, leur ont fait croire à un parcours royal dans ce groupe. Et c'est l'Algérie qui leur barre la route. Un pays qu'ils «ont fait». Inimaginable. A la contrariété de leur plan de communication autour de Gamal Moubarak s'ajoutait le risque de voir capoter leur plan par les ploucs que nous sommes. L'urgence politique les a poussés à créer les conditions d'une défaite algérienne par la seule guerre psychologique, une guerre dans laquelle ils excellent et, diraient les mauvaises langues, la seule dans laquelle ils excellent. Ce serait oublier que ces castes ne sont pas le peuple égyptien, mais alors pas du tout. Ils ont enclenché la pire campagne qui se puisse imaginer pour chauffer à blanc des tifosis cairotes déjà enclins au chauvinisme. «Faites trembler la terre sous le pieds des Algériens», a demandé Zaher. «Gagnez à n'importe quel prix», a ordonné Moubarak père. En somme, terrorisez les Algériens. Voilà la source sociale et politique de l'agression du Caire. Ajoutons pour être complet que cette ville du Caire de vingt-deux millions d'habitants, dont une bonne partie passe son temps à chercher une marche d'escalier pour dormir, est tenue d'une main de fer. Aucun groupe de supporters ne pouvait organiser un guet-apens sans la bienveillance des forces de sécurité. Les responsables dépêchés ou en fonction sur place n'ont pas mesuré la détermination du régime à mener, à réussir son but par tous les moyens : le mensonge, la duplicité et finalement le sang. Du coup, ils ont aussi frappé les Algériens dans leur amour pour l'Egypte. Inutile de rappeler tout ce que nos parents et nos enfants ont aimé ou aiment de l'Egypte. En cela ils sont encore plus criminels que pour le foot. On ne peut renvoyer dos à dos les réactions de nos jeunes et les plans machiavéliques des castes dirigeantes égyptiennes. On ne peut pas ne pas rappeler que ces castes frappent de toutes leurs forces les peuples arabes d'Irak, en Palestine en passant par le Liban et demain ailleurs. Et elles ont frappé nos joueurs comme elles frappent le peuple de Ghaza en l'étranglant dans un encerclement inhumain. En s'en prenant à des intérêts égyptiens, nos jeunes ont le flair de comprendre d'où vient le mal. L'entraîneur national leur a parlé de Khartoum en condamnant l'agression contre des Egyptiens résidant en Algérie. Il faudra déployer des trésors de pédagogie pour leur expliquer que les nervis qui ont frappé nos joueurs sont au service d'un régime qui frappe tous les jours le peuple égyptien de Mahala el Koubra au fin fond de la campagne égyptienne. C'est toute la question. M. B.