Photo : M. Hacène Par Mohamed Rahmani Dans cette épopée qui a vu l'équipe nationale voler de victoire en victoire, reprenant ainsi son rang et sa place qu'elle avait cédés en 1986, il faut dire que les poulains de Saadane se sont surpassés et sont devenus en l'espace de quelques mois des héros adorés et adulés par des millions d'Algériens qui nagent désormais dans le bonheur. Cette joie incommensurable et cette liesse collective ont débordé pour toucher nos voisins de l'Est et de l'Ouest mais aussi nos frères palestiniens assiégés par l'armée sioniste à Ghaza. Des frères si loin de l'Algérie, si proches de l'Egypte et qui, pourtant, ont embrassé les couleurs nationales et ont porté haut le drapeau algérien. Cette «marche verte» de l'équipe nationale, elle ne l'a pas faite toute seule, tout un peuple était derrière, un peuple qui a mobilisé ses moyens et qui l'a portée à bras-le-corps pour la déposer dans la cour des grands. Tout le monde s'y est mis pour les verts Dans cette euphorie, jamais atteinte jusque-là, industriels et artistes, peintres, chanteurs, compositeurs et bien d'autres encore ont contribué à leur manière à perpétuer la fête ou, du moins, en garder d'agréables souvenirs. «Certains ont pris les devants et se sont donnés à fond pour les Verts dès le premier match, nous dit un revendeur de CD, il fallait des chansons vantant les mérites de notre équipe nationale et ils avaient produit en un temps record des chansons qui ont été reprises par les foules avant et après les matches.» Au sujet du contenu de ces chansons et de la musique qui les accompagne, un autre revendeur nous dira que ceux-ci ne sont pas tout à fait de niveau mais ont largement rempli «leur mission» et même au-delà. «Les paroles chantées sont puisées dans le langage de la rue, nous confie-t-il, celles qu'on utilise tous les jours, un arabe algérien populaire compréhensible et accessible à tous ; il n'y a pas de recherche, d'artifice ou de sens caché, c'est direct, le “one, two, three” est repris comme un leitmotiv, on le retrouve invariablement dans presque toutes les chansons et c'est comme si tous les chanteurs s'étaient passé le mot pour intégrer ce slogan si cher aux Algériens dans toute production à la gloire de l'équipe nationale.» Côté composition musicale, ce sont des notes gaies avec un style inspiré du raï mixé avec du flamenco où les cuivres (saxophone et trompette) prédominent. Des notes qui font vibrer, qui font tomber sous leur charme tous ceux qui les entendent et qui invitent à danser là où on se trouve parce qu'elles amènent avec elles la fête. Le folklore algérien avec ses rythmes et ses instruments traditionnels a pris possession de cet événement et des chansons connues ont été transformées et arrangées de façon à donner une dimension patriotique aux victoires successives des Fennecs. Avant tous les matches, dans les rues des villes et des villages, dans les cafés, les magasins, les quartiers, on entend cette musique poussée à fond et les passants grisés par ces notes répètent les paroles et suivent le rythme parce que emportés et ne pouvant résister à cet appel. Les artistes peintres, eux, se sont mobilisés pour réaliser de grandes fresques murales où Saadane trône avec sa moustache blanche au-dessus de l'équipe représentée dans sa tenue blanc et vert avec l'emblème national de chaque côté. Et pour la première fois l'arabe dialectal algérien où se côtoient deux ou trois langues est transcrit tel quel sans se soucier des règles ou de la norme propre à chaque langue. Ainsi «one, two, three» est pris de la langue de Shakespeare, le «viva» est emprunté à la langue de Cervantès et «l'Algérie» à celle de Molière ; le tout s'est solidarisé pour donner un sens que seuls les Algériens comprennent et apprécient pour ce qu'il véhicule comme fierté, amour-propre, patriotisme et nationalisme. «Il faut être algérien pour ressentir ce slogan au plus profond de soi, nous dit un sociolinguiste, ces vocables sont chargés d'histoire, ils sont apparus en 1982 avec l'odyssée de l'équipe nationale en Espagne puis au Mexique en 1986, ils ont été ressuscités à l'occasion et ont repris vie, ils témoignent d'un espoir et d'un attachement profond à un pays malgré les différences et les problèmes quotidiens.» Le «one, two, three» peut signifier le point de départ, le début de la fête ; en tout cas le commencement de quelque chose. Des slogans pour galvaniser la foule Le «viva» est lancé pour glorifier une action, un personnage hors du commun, un héros et l'Algérie, c'est l'appartenance, c'est l'identité et l'ancrage de tous ceux qui scandent ce slogan, accolés les uns aux autres, cela cimente, soude toute la foule de milliers d'individus, les transforme et les galvanise. Ce qui est aussi inhabituel, c'est que, pour la première fois, on ne soucie guère de l'orthographe d'un mot, on se contente de le transcrire tel qu'il est prononcé dans la rue, un arabe algérianisé qui veut s'affirmer comme le langage de tous. «Maak ya lkadhra» se veut être l'expression la plus proche des Algériens, contrairement à la langue académique qui ne se prête pas à de pareilles désinences ou déclinaisons et que Sibawayh condamnerait sans appel. Par ces slogans, l'Algérien ne veut plus rester esclave d'une norme qui le maintient emprisonné dans des stéréotypes ou des moules prêts à l'emploi, il veut manifester sa différence, quitte à écorcher un petit peu la langue d'El Mutanabbi. L'emblème national sous toutes les formes L'industrie textile, elle aussi, s'est mise de la partie et a innové et inventé -chose qui n'était jamais arrivée auparavant- et l'on a vu l'emblème national sous forme d'écharpes, de burnous, de bonnets, de chapeaux, de parapluies, de brassards, de survêtements et autres, le tout avec les mêmes slogans. Concepteurs, designers et confectionneurs ont travaillé de concert pour satisfaire des millions d'Algériens fous amoureux de leur équipe et qui sont prêts à dépenser sans lésiner pour acquérir ces articles en se bousculant devant les magasins et les étals des revendeurs. Dans tout cela, il faut retenir de cette victoire de l'équipe nationale que l'Algérien est capable de réaliser de miracles si on lui en donne les moyens et si on lui laisse la liberté de faire ce qu'il veut.