En quelques jours, quelques représentations essentielles de l'Occident ont vacillé. Il nous fallait croire sur parole qu'il était le monde des droits de l'Homme, de la démocratie et de la diversité. Le hasard et les circonstances –ah, ces circonstances !– ont concentré des images révélatrices de ce qui le «travaille» en profondeur et que les essais, la littérature, le cinéma, les médias s'évertuent à nous cacher. D'abord le prix Nobel de la paix. Son récipiendaire venait de signer un acte de guerre. Ceux qui avaient critiqué cette distinction dans le camp des néo-conservateurs n'ont pas plus raison aujourd'hui qu'hier. De nombreux lauréats précédents n'avaient rien fait, non plus, pour la paix. Pis, ils ont parfois, à l'image de Peres, l'Israélien, justifié et mené des guerres destructrices et criminelles. D'autres courants ou personnalités du monde de la politique ou des medias ont également critiqué l'attribution de ce prix à Obama mais d'un autre point de vue : celui d'une anticipation hâtive et que rien de concret ne venait corroborer. Ces courants avaient en tête cette analyse qu'Obama avait pour mission de changer l'image des Etats-Unis, pas celle de changer leur politique. On pouvait, certes, saluer l'élection d'un président noir dans ces Etats-Unis marqués par les discriminations des gens de couleur. On pouvait même prendre ses discours et ses annonces pour des actes en soi. Comment ne pas trouver encourageant un président qui énonce de nouvelles idées sur le climat, sur le monde musulman, sur la Palestine, sur la priorité au règlement diplomatique, etc. ? Mais en gros, la mission essentielle restait un changement de l'image, pas de la réalité. Croire, cependant, qu'un homme, même président des Etats-unis, allait remiser les intérêts nationaux, c'est-à-dire ceux du complexe militaro-industriel pour ce pays, relevait au minimum de l'angélisme. Cette élection n'annulait ni la présence ni l'influence d'aucune des forces politiques porteuses des idées de la supériorité de l'Amérique et de la nécessité, pour les Etats-Unis, de diriger le monde selon leurs visions et leurs intérêts. Il faut dire dans un bilan provisoire qu'Obama a brillamment réussi dans sa mission. Il passe pour un homme de paix et de dialogue ; réputation qui affecte toutes les opérations agressives en politique étrangère d'un coefficient élevé de «mal nécessaire». C'est le cas pour les nouvelles bases américaines en Colombie (pour affronter quelles menaces sur un sous-continent qui a basculé massivement dans des pratiques démocratiques incontestables même si les élections portent au pouvoir des courants socialisants honnis par le libéralisme dominant qui hante la tête des grandes puissances). Nous en avons appris, en plus du cas du Hamas en Palestine, que, pour ces puissances, des élections libres ne sont vraiment démocratiques que si elles désignent les candidats qu'elles auront désignés à l'avance. C'est le cas pour le coup d'Etat au Honduras. C'est le cas pour l'Afghanistan ou la guerre aux talibans. Ce sera le cas pour l'Iran à propos duquel les grandes puissances renouvellent les mêmes mensonges qui ont mené à l'invasion de l'Irak. L'aveu de Tony Blair sur le «côté prétexte» des armes de destruction massive (A.D.M.) de Saddam Hussein prouve que la bombinette iranienne n'est elle-même qu'un prétexte. La veille de la remise du prix Nobel au président américain, un haut fonctionnaire américain a cru faire une trouvaille en avançant qu'Obama n'était pas Mandela ou mère Teresa mais un homme qui projetait quand même la paix. Se rendait-il compte qu'il confirmait la tare essentielle de cette distinction d'avoir été décernée par anticipation. L'argument est beaucoup moins original qu'il ne le paraît. La plupart des fauteurs de guerre parlent de paix future. Mais ce que ce haut fonctionnaire et ce que Barack Obama nous ont expliqué méritent l'attention. La guerre est légitime puisqu'elle vise des ennemis. Cette guerre d'Afghanistan est nécessaire pour la paix puisqu'elle doit éradiquer des ennemis et que, par conséquent, elle élimine la cause de la guerre. Raisonnement époustouflant de logique ! Evidemment un monde sans ennemi ne peut connaître que la paix. C'est juste que les partisans de la paix ou les ennemis de la guerre préfèrent justement régler les contentieux par les négociations plutôt que par l'usage des armes. La négociation exige des belligérants la condition minimale qu'ils ne peuvent en sortir avec une position dominante et encore moins une position hégémonique. Est-ce bien le cas des Etats-Unis et sont-ils prêts à renoncer à leurs prétentions hégémoniques sur la monnaie d'échange, sur les sources d'énergie, sur l'exportation permanente de leurs déficits, etc. ? Le discours d'Obama nous aura appris que la paix ne peut se faire que par l'extermination de l'ennemi. Ou nous aura rappelé que, pour la Rome antique, déjà, il fallait pour avoir la paix, préparer la guerre. Nous sommes avertis de nouveau et pour de bon ! L'homme de paix est celui qui saura faire les guerres préventives, enrayer à la base la naissance de l'ennemi potentiel. A ce jeu, G. W. Bush méritait amplement ce prix Nobel mais il n'avait pas le talent discursif d'Obama ni son sourire, comme l'a noté Fidel Castro. Cet argument a été abondamment utilisé par Israël pour mener toutes ses politiques de terreur, de l'assassinat ciblé aux crimes de masse. Dans les deux cas, cet Etat a avancé l'argument massue qu'il éliminait les facteurs de risques qui pesaient sur son existence. Ce n'est pas un discours nouveau. Il est même archi-usé mais il marche. Les grandes puissances ont toujours soutenu ce point de vue d'Israël en le maquillant en droit à l'autodéfense. Il leur importait peu de savoir si les Palestiniens avaient le droit d'auto-défendre leurs terres, leurs villages, leur patrie. Le cas Obama –faire la guerre au prétexte de la paix– a connu des contrariétés de timing pour la crédibilité de cette image. A quatre jours près, Tzipi Livni est obligée de renoncer à un voyage en Grande-Bretagne. Une loi de compétence universelle permettait à un tribunal britannique de l'entendre sur les crimes de guerre perpétrés à Ghaza. En un tour de main, le gouvernement anglais a annoncé qu'il allait étudier en urgence les retombées de cette affaire sur le processus de paix au Moyen-Orient. Cette loi de compétence universelle a été longtemps réclamée par les milieux sionistes pour poursuivre les criminels nazis dans les pays qui l'auraient adoptée. Parce que des juges européens prennent au pied de la lettre cette loi, elle risque de se retourner contre les criminels de notre époque. Des hommes et des femmes, des associations, des syndicats, y compris juifs, de cette Europe ne se laissent pas impressionner par la propagande dominante et comptent bien rendre justice pour tous. Cette annonce du gouvernement britannique concernant l'évocation du processus de paix est limpide dans ses promesses : il interdira toute poursuite contre les criminels israéliens. Le gouvernement espagnol a fait la même chose quand un juge de ce pays a ouvert une enquête sur de possibles crimes de guerre ou contre l'humanité commis par des dirigeants israéliens. Il n'en est plus question. La pantalonnade prévisible du gouvernement britannique sommé de conformer ses lois aux besoins et aux intérêts d'Israël se voilera pudiquement de la nécessité de peser sur le «processus de paix». Lequel, et qu'a pu y faire Tony Blair si ce processus existe ? La honte, la plus grande, est la manière de parler d'Israël. Il menace la Grande-Bretagne de ne pouvoir jouer un rôle dans la question palestinienne. Ainsi, Israël est le joueur qui désigne les arbitres et ça passe ! Personne dans les medias dominants ni parmi les politiques ne relève l'impudence de la remarque. Cette affaire sera vite enterrée comme l'affaire espagnole. «Si le rapport Goldstone est transmis au Conseil de sécurité, le processus de paix sera enrayé», voilà la menace israélienne formulée après l'adoption de ce rapport par la Commission des droits de l'Homme de l'ONU. La menace a marché. Obama, Brown, et tutti quanti ont rassuré Israël : pas question que ce rapport soit adopté par le Conseil de sécurité. Obama n'a même pas tenté de marchander son garde-à-vous devant Israël et l'AIPAC non au rapport en échange de plus de respect pour sa parole et son image. Il aura subi toutes les avanies et donné, avec d'autres dirigeants européens, aux dirigeants israéliens cette suffisance, cette arrogance et cette certitude qu'ils peuvent aller plus loin que tous leurs prédécesseurs dans la judaïsation d'El Qods et de toute la terre de Palestine ; question de temps, et de temps seulement, pour eux. La préparation d'une agression contre l'Iran, plus que jamais à l'ordre du jour, vient renforcer leur statut de «soldat de première ligne» de la «démocratie» et des «valeurs» occidentales. Comment et pourquoi de grandes puissances peuvent-elles avaler ces couleuvres ? Car, depuis la chute du mur de Berlin, la seule politique que nous connaissons sur le terrain mondial est celle de la guerre. Elle n'a jamais été aussi générale, constante et meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce sont des guerres impériales qui ont touché l'Asie, l'Afrique, le monde arabe, et l'Europe à travers la guerre des Balkans. Elles menacent aujourd'hui l'Amérique latine et le coup d'Etat du Honduras est un bien mauvais signe. A ce tableau, il faut bien ajouter la «votation» suisse. Que reprochent les dirigeants européens à cette votation ? Tout simplement de dire tout haut ce qu'ils pensent tout bas. L'OTAN n'a pas désigné un islamophobe devant l'Eternel comme Rasmussen pour une étude comparée sur les voies du mysticisme mais bien pour contenir ce nouvel ennemi : l'islam. En payant le prix le moins élevé, c'est-à-dire en entraînant les dirigeants arabes dans des politiques très diversifiées et très souples de coopération avec l'OTAN et avec Israël et en renforçant l'ancrage de ces dirigeants dans les buts de guerre et de domination de cette organisation. L'OTAN a l'air de bien réussir cette démarche dans laquelle elle avance masquée ; oh, si peu mais pourquoi faire plus et mieux quand une feuille de vigne y suffirait ? Les Suisses n'ont pas commis une erreur politique mais une faute de goût. Ils n'y ont pas mis les formes. L'islamophobie, c'est comme l'amour, il faut la pratiquer, pas la dire. Le débat français sur l'identité nationale prétend, lui, faire avancer les choses dans le bon sens : tout à la fois obliger les musulmans à être français et les désigner comme le type du mauvais Français. Ils doivent être visibles pour apparaître comme une menace et être invisibles pour rassurer mais pour assurer qu'ils sont bien invisibles, c'est-à-dire normalisés et fondus dans la foule, ils doivent se montrer tout le temps. Le débat français est public mais il existe ailleurs sous d'autres formes moins grossières. Or, plus les musulmans feront débat, plus ils chercheront des formes de visibilité parfois agressives et ostentatoires, parfois involontaires. Méditez cette simple réaction de démonstration publique de leur algérianité de nos expatriés aux premiers succès de l'équipe nationale de football. Plus on voudra les singulariser, plus les musulmans diront ou chercheront à dire qu'ils sont «autres», soit de façon positive, soit de façon négative. La rage d'un Finkenkrault et consorts tient tout entière dans sa lucidité : la France et l'Europe ne sont plus ce qu'elles étaient et leurs stars visibles, forcément plus dans le sport et dans la musique et moins dans les sciences, sont blacks et arabes. Il le sait bien et pendant qu'il pérorait, la réalité démographique avait changé sa France et toute l'Europe. Ce changement est irréversible et il va aller en s'amplifiant. Que deviendrait l'Europe si les émigrés la quittaient d'un coup ? Imaginez ! Finkelkrault et consorts l'imaginent très bien. Alors, il faut contenir cette montée irrésistible et autant que faire se peut «naturaliser» les blacks et les musulmans, les empêcher d'émerger dans les sphères politiques et idéologiques comme ils ont émergé dans les domaines des sports et de l'art. Cela viendra sûrement. En attendant, ils sont le mal qui guette l'Europe, l'ennemi intérieur auquel il faut mener la guerre préventive. Et les sommer de fournir constamment les preuves de leur fidélité à l'ordre actuel des choses, c'est-à-dire prouver leur renoncement à peser pour son changement. A-t-on fait cela à d'autres avant, a-t-on fait subir cette discrimination à d'autres ? Oui, aux juifs ! Dans un contexte similaire de crise et de guerre et cela s'appelait le fascisme. Nous rappeler en quelques jours que la seule paix possible est de mener la guerre à tout ennemi potentiel et lui appliquer la loi antique de la guerre –malheur aux vaincus– convaincra encore moins de gens de l'image que veut nous donner d'elle-même la «communauté des puissances démocratiques». M. B.