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Le gouvernement d'Asif Ali Zardari dans le désarroi, l'Occident inquiet et gêné Fin de l'amnistie décrétée par l'ancien président pakistanais Pervez Musharraf
Le Pakistan détient la bombe nucléaire et ses rebelles talibans inquiètent non seulement les pays voisins mais aussi les capitales occidentales qui tentent de sortir le plus tôt possible du bourbier afghan. Mais, depuis une semaine, un nouveau casse-tête, d'ordre politique, vient s'ajouter à des crises sociale et économique, capables de mener le pays vers l'inconnu. Car, au moment où le président Asif Ali Zardari cherche à redorer son blason en essayant de gagner la lutte armée contre les rebelles du Mouvement e-Tahrik des talibans du Pakistan (TTP), dans le nord-ouest du pays, la Cour suprême annule l'ordonnance de réconciliation nationale (ORN) qui amnistie près de 8 000 personnes, dont des politiques et des hommes d'affaires, tous accusés de corruption. Le président pakistanais et des membres de son gouvernement, dont son actuel ministre de la Défense, Ahmed Mukhtar, figurent sur cette liste. «L'ordonnance de réconciliation nationale est déclarée nulle et non avenue. Par conséquent, toutes les mesures prises, les décisions prises par quelque autorité que ce soit, et toutes les relaxes et les acquittements prononcés sont considérés comme n'ayant jamais existé aux yeux de la loi», selon le jugement de la Cour suprême lu par son président, le juge Iftikhar Mohammad Chaudhry. L'ORN avait été promulguée en 2007 par l'ancien président, le général Pervez Musharraf, qui cherchait à se maintenir au pouvoir en s'alliant à l'occasion des législatives de 2008 avec l'ancien Premier ministre Benazir Bhutto, qui vivait jusque-là en exil politique en Grande-Bretagne. Mme Bhutto et son époux, M. Zardari, étaient accusés de nombreux détournements de fonds publics et de corruption pour les périodes où elle dirigeait le pays, de 1988 à 1990 et de 1993 à 1996. Ils ont toujours nié ces accusations, les qualifiant de «complot politique». L'assassinat de Mme Bhutto dans un attentat kamikaze lors d'un meeting électoral a incité M. Zardari à rentrer d'exil pour être élu en 2008 à la tête du pays par un Parlement dominé par le parti de son épouse. La crise économique, l'implication présumée de certains membres de son gouvernement dans de nouvelles affaires de corruption et la multiplication de la violence armée, qui a fait en trois ans près de 3 000 morts, ont fini par rendre la vie dure à Asif Ali Zardari qui a cherché désespérément un soutien politique et financier auprès de ses amis occidentaux. Affaibli, Zardari cherche une voie de secours La décision de justice, rendue publique mercredi dernier, l'a affaibli davantage. Son gouvernement s'est retrouvé soudainement déstabilisé, faisant peser des craintes de nouveaux troubles à travers tout le pays. L'opposition s'est mobilisée pour faire aboutir les plaintes déposées contre tous ceux qui sont accusés de verser ou de toucher des pots-de-vin. Elle a même cherché à lever l'immunité présidentielle protégeant Asif Ali Zardari de toute poursuite judiciaire. Des opposants avaient fait savoir qu'ils introduiraient des recours contre l'immunité du Président en cas d'invalidation de l'amnistie, justifiant leur action par le fait que son élection était «inconstitutionnelle». Cette forte mobilisation de ses détracteurs et des opposants au régime militaire pakistanais a mis à l'ordre du jour la fragilité de l'Etat et des institutions du pays. Mais la puissante institution militaire, de plus en plus hostile à M. Zardari, n'est pas prête à laisser le contrôle du pouvoir qu'elle détient depuis 62 ans lui échapper. Le président pakistanais est aussi conscient de ces enjeux. Ce qui explique sa décision de confier à son Premier ministre, Yousuf Raza Gilani, la responsabilité du contrôle opérationnel de l'arme nucléaire, en modifiant des ordonnances publiées par son prédécesseur M. Musharraf lorsqu'il avait décrété l'état d'urgence. En transférant le contrôle de l'arsenal nucléaire à la direction de l'Autorité nationale du commandement (NCA) présidée par M. Gilani, le président pakistanais désire renforcer le pouvoir du Parlement et celui du Premier ministre. Mais rien n'est fait gratuitement. En raison de son impopularité et de ses relations tendues avec l'armée, M. Zardari a, par simple mais fin calcul politicien, pensé trouver une porte de sortie de crise qui lui évitera de finir inévitablement en prison à la fin de son mandat. Le président pakistanais voulait par ce geste gagner la confiance et le soutien du Parlement car il savait que la Cour suprême s'apprêtait à annuler le décret l'amnistiant, lui et des membres de son gouvernement. Sur la même lancée, il a convoqué une réunion d'urgence avec le comité exécutif de son mouvement politique, le Parti du peuple pakistanais, deux jours seulement après la levée de l'amnistie, afin de discuter de la façon de gérer la plus importante crise politique depuis son arrivée au pouvoir il y a quinze mois. Au lendemain même de la levée de l'ORN, l'Agence anticorruption pakistanaise a annoncé que 247 membres de l'administration étaient frappés d'interdiction de quitter le territoire. Le ministre de la Défense, Ahmed Mukhtar, a d'ailleurs été empêché de quitter le pays alors qu'il s'apprêtait à partir pour une visite officielle en Chine suite à cette annonce. Le ministre de l'Intérieur Rehman Malik, a lui aussi été destinataire d'une convocation d'un tribunal de la province du Sindh (sud) le sommant de se présenter devant lui le 8 janvier prochain. Et si le gouvernement de Zardari tombait ? La crise politique pakistanaise dépasse de loin le cadre d'un problème politique interne. Les pas occidentaux, en premier lieu les Etats-Unis qui ont beaucoup influé sur l'issue des législatives de 2008 et obligé le général Musharraf à céder le pouvoir à un civil, sont inquiets et surtout gênés. D'un côté, Asif Ali Zardari constitue un fidèle allié pour Washington et, de l'autre, il est trop affaibli pour pouvoir compter dans la guerre en Afghanistan. Car l'instabilité du Pakistan profitera plutôt aux talibans du TTP alliés aux islamistes d'Al Qaïda que les soldats américains combattent en Afghanistan. Pour rappel, le nord-ouest frontalier du Pakistan est considéré comme le fief du TTP et la base arrière des talibans afghans qui ont passé la vitesse supérieure avec l'arrivée de nouveaux renforts de soldats étrangers sur le sol du plus célèbre cimetière des grandes civilisations. Le changement de gouvernement nuira en fait à la nouvelle stratégie de guerre américaine en Afghanistan alors que Washington cherche à s'allier du mieux qu'elle peut l'armée pakistanaise pour l'aider à resserrer l'étau dans les zones tribales longeant la frontière pakistano-afghane. Autrement dit, le moment a été mal choisi pour lever l'immunité décrétée par M. Musharraf. Et dans un contexte marqué par une montée des attentats kamikazes contre les institutions publiques et militaires à travers tout le Pakistan, on ne peut s'attendre qu'au pire en cas de chute du gouvernement de Zardari. Dans tout cela, le seul souci majeur des Occidentaux reste le risque que les talibans réussissent à s'emparer de l'arsenal nucléaire pakistanais. L. M.