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Afrique : la démocratie se cherche, les coups d'Etat se comptent
à défaut de disparaître, les putchs se modernisent
Publié dans La Tribune le 29 - 12 - 2009

Jusqu'au dernier jour de cette fin d'année 2009, les experts et les observateurs de la situation politique en Afrique continueront de compter. Compter les coups de force menés dans une Afrique décidément toujours aussi mal gouvernée.
Le dernier coup d'Etat militaire en date sur le continent africain s'est produit en Guinée, le 23 décembre dernier. Après la mort du président Lansana Conté qui avait dirigé le pays durant 24 ans. Ce coup d'Etat vient rallonger la liste déjà longue des coups d'Etat et tentatives de coup d'Etat en Afrique.
Définitions
Qu'est-ce qu'un coup d'Etat ? Il s'agit d'une forme de violence politique dont la définition basique consiste à évoquer une «prise du pouvoir de façon violente et illégale». On parle souvent de putsch, ce mot est d'origine suisse allemande, pour évoquer un changement de pouvoir soudain, imposé par surprise, par une minorité utilisant la force. Paul Leroy estime qu'il s'agit d'un «changement de gouvernement opéré hors des procédures constitutionnelles en vigueur par une action entreprise au sein même de l'Etat au niveau de ses dirigeants ou de ses agents. Cette action […] est soudaine et sollicite généralement la force». Jean-Pierre Pabanel définit le coup d'Etat militaire comme une «pratique volontaire et consciente de l'armée ou d'une partie de celle-ci pour s'emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir d'Etat». Même constat chez Issaka Souare qui parle d'«une saisie illégale au plus haut niveau de l'autorité d'un Etat par un nombre restreint des officiers militaires dans une opération discrète qui ne dépasse pas quelques jours». Durant ce court laps de temps, les putschistes s'emparent des organes centraux de l'Etat (bâtiments publics, moyens de communication), occupent leurs lieux de fonctionnement qui sont aussi les lieux symboliques du pouvoir (siège de la radio, de la télévision) et procèdent à l'arrestation des gouvernants. Très vite, ils tentent de légaliser leur opération à travers une couverture idéologique ou légale, en adoptant une nouvelle Constitution, par exemple.
Il n'est pas inutile de différencier le coup d'Etat de certaines autres formes de violence avec lesquelles une confusion peut se produire. Ainsi, contrairement à un acte de rébellion, par exemple, le coup d'Etat est limité dans le temps. Il se caractérise par sa soudaineté et sa brièveté. Par ailleurs, et contrairement à une insurrection, le coup d'Etat doit être discret et implique par conséquent un nombre réduit d'acteurs. D'ailleurs, le secret, non seulement vis-à-vis de l'extérieur mais aussi vis-à-vis des autres comploteurs, constitue la première arme des putschistes.
Caractéristiques générales
En Afrique, le coup d'Etat est un mode presque classique d'accession au pouvoir. Komi Tsakadi en fait un inventaire rapide et explicite. Il apparaît qu'entre 1960 et 1990, la seule forme de prise de pouvoir dans les pays africains était le coup d'Etat : 267 coups d'Etat ou tentatives de coups d'Etat ont été dénombrés. Ce qui fait une moyenne de 9 coups d'Etat ou tentatives de coup d'Etat par an. L'adoption, dans les années 1990, de Constitutions instituant le multipartisme a-t-elle changé la situation ? Les coups d'Etat sont moins nombreux, mais sont loin d'avoir disparu. La moyenne est tombée à au moins 3 coups d'Etat ou tentatives de coup d'Etat depuis 1990. Le président du Réseau d'appui des journalistes à l'intégration africaine (RAJIA), Aristide Kouassi Koffi, affirme quant à lui que le continent africain a connu 74 coups d'Etat de 1960 à 2008 dont 45 en Afrique francophone et 19 en Afrique anglophone. Ce qui fait une moyenne de 1,5 coup d'Etat par an. Cela signifie également que 50% des coups d'Etat parviennent à faire tomber le régime en place et à le remplacer par un autre.
Même si un coup d'Etat n'est pas un conflit, un lien de cause à effet entre les deux phénomènes est loin d'être rare. D'ailleurs, entre 1960 et 2008, l'Afrique a connu 35 conflits armés, 12 en Afrique francophone et 17 en Afrique anglophone. Le président du RAJIA précise également que l'Afrique lusophone, hispanophone et arabe a aussi connu son lot de coups d'Etat et de guerres civiles avec une proportion plus faible que celle des pays francophones et
anglophones, à savoir 10 coups d'Etat et 6 conflits armés.
Pourquoi l'Afrique est-elle un terrain aussi propice aux coups d'Etat ? Les experts évoquent les causes sociopolitiques et la faible culture politique qui font que les militaires interviennent dans les affaires politiques.
A cela, il faudrait ajouter l'influence importante d'acteurs externes, notamment des partenaires économiques et politiques dont la neutralité négative est une forme de quitus.
Par ailleurs, les mesures prises manquent manifestement d'efficacité car elles ne prévoient aucune sanction contre ceux qui contreviennent à ces résolutions. Face à cet constat amer , le 35e sommet de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) d'Alger, en juillet 1999, a adopté une déclaration condamnant l'usage du coup d'Etat comme mode d'accession de pouvoir. Cette résolution n'a pas eu d'effet spectaculaire. Ainsi, l'Union africaine condamne-t-elle les violations faites à l'ordre constitutionnel, mais ne prévoit aucune sanction contre ceux qui instrumentalisent les Constitutions pour faire des coups d'Etat constitutionnels ou contre ceux qui soutiennent les juntes militaires au pouvoir.
Les modèles de coups d'Etat dans le Sahel
Les pays du Sahel et ceux qui sont limitrophes connaissent des coups d'Etat dont les auteurs ont à cœur de ne pas laisser perpétuer l'image négative d'une prise (ou maintien) de pouvoir par la force. Ces coups d'Etat se produisent, soit de la façon classique, décrite plus haut, soit par la manipulation de la Constitution afin de faire sauter les verrous qui garantissent l'alternance. Citons deux exemples.
Après 11 mois de régime militaire, les Mauritaniens étaient appelés aux urnes le 19 juillet 2009 pour élire leur président. Le processus électoral fut enclenché par l'ancien chef de la junte militaire, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui avait pris le pouvoir en août 2008 à la suite d'un coup d'Etat ayant renversé le premier président de la Mauritanie élu démocratiquement. Populiste, la campagne du vainqueur sans surprise était essentiellement basée sur la volonté d'éradiquer la corruption et la pauvreté, alors que celle de son principal rival tablait notamment sur la nécessité de «construire la Mauritanie de la justice, de l'égalité, de la tolérance et des valeurs».
Dénoncés par l'opposition comme étant entachés de fraudes, les résultats du scrutin confirment la victoire du général Ould Abdel Aziz, avec 52,58% des voix. Le principal leader de l'opposition, Ahmed Ould Daddah, le chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), a obtenu pour sa part 13,8% des suffrages. Le président du RFD a affirmé que les résultats de l'élection étaient un «nouveau coup d'Etat». D'un autre côté, Muna Abdalla, chercheuse à l'Institut d'études de sécurité en Afrique, affirme que les résultats de l'élection révèlent l'absence d'une réelle d'opposition face au général Abdel Aziz. D'ailleurs, quatre des neuf candidats à la présidentielle ont reconnu la victoire d'Ould Abdel Aziz. Depuis son indépendance en 1960, la Mauritanie a été essentiellement gouvernée par des militaires.
Le second exemple est celui du Niger. Mamadou Tandja a imposé -il est vrai par référendum- une nouvelle Constitution qui lui permet de prolonger son mandat présidentiel et de parachever ce qu'on appelle, désormais, un coup d'Etat constitutionnel. Un référendum tenu après l'avis défavorable du 25 mai 2009 donné par la Cour constitutionnelle quant à la légalité d'une telle consultation. Dans la foulée, il a dissous l'Assemblée nationale. Face à l'impasse juridique et au blocage institutionnel, Tanja s'est octroyé les pleins pouvoirs le 26 juin, en se référant à l'article 58 de la Constitution qui permet au Président, lorsque «l'indépendance de la République est menacée», de gouverner par le biais d'ordonnances et de décrets. Le recours à ce subterfuge a fait des émules en Tunisie (2002), en Guinée (2002), au Togo (2003), au Gabon (2003), au Tchad (2005), au Cameroun (2008), en Algérie (2008) et au Niger (2009).
LA situation actuelle au Niger n'est pas surprenante dans le sens où ce pays a déjà connu un coup d'Etat le 9 avril 1999 et une tentative de coup d'Etat en août 2002. Plus tôt, en 1999, Daouda Malam Wanké renversait Ibrahim Baré Maïnassara, en 1996, Ibrahim Baré Maïnassara renversait Mahamane Ousmane et en 1974, Seyni Kountché faisait tomber Hamani Diori.
Le caractère déterminant de l'élément extérieur
Un coup d'Etat peut fonctionner ou être déjoué en fonction de la position des Etats voisins et de celle des grandes puissances. C'est un constat empirique.
Les Etats-Unis ont pris des sanctions contre Madagascar, la Guinée et le Niger qui sont supprimés de la liste des pays pouvant bénéficier de l'AGOA, la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique. Concernant le Niger, le gouvernement américain a annoncé que, face au refus du président Mamadou Tandja de quitter le pouvoir à la fin de son deuxième mandat, les Etats-Unis ont décidé de suspendre leur aide non humanitaire. De même, l'aide -23 millions de dollars- liée au programme d'assistance à la bonne gouvernance, a été suspendue. Des restrictions sur les déplacements de certains membres du gouvernement nigérien et d'autres individus qui soutiennent des politiques ou actes qui empêchent le retour à la légalité constitutionnelle ont été imposées également. Madagascar et la Guinée font, eux aussi, les frais de leurs crises politiques respectives. C'est un coup dur pour la Grande Ile, qui réalise 85% de ses exportations textiles vers l'Amérique.
Pour sa part, la Mauritanie voit ses efforts de normalisation de la vie politique récompensés. Ces pressions restent peu contraignantes et n'ont pas d'impact sur la réalité politique du pouvoir issu d'un putsch. Mais ce n'est pas toujours le cas. Amègnihoué Houndji rappelle qu'en juillet 2003, le président Fradique de Menezes avait retrouvé son poste abandonné sous la contrainte des armes une semaine plus tôt (le 16 juillet 2003). Les militaires ont plié à la suite d'intenses activités diplomatiques, de condamnations tous azimuts (du Portugal, l'ancienne puissance coloniale, du président mozambicain, Joaquim Chissano, président en exercice de l'Union africaine, du Nigeria alors dirigé par Olusegun Obasanjo, de la France, etc.).
De la même manière, Ahmed Tajan Kabbah de la Sierra Leone, élu le 15 mars 1995, contraint à l'exil en Guinée suite au coup d'Etat de Johnny Paul Koroma le 25 mai 1997, a été rétabli au pouvoir le 10 mars 1998, grâce à l'intervention des troupes de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Ecomog-Cedeao). Seules les actions réellement contraignantes parviennent à faire reculer ceux qui utilisent la force pour parvenir au pouvoir. Mais pourquoi ce qui a été possible en 1998 en Sierra Leone et en 2003 à Sao Tome et Principe ne l'est-il plus ? Peut-être parce que les putschistes s'empressent de régulariser leur forfait à travers des élections ? Notons que la Mauritanie, qui répond parfaitement à cette stratégie, a été réhabilitée par le département d'Etat et réintégrée dans l'AGOA. Est-ce la récompense accordée à un coup d'Etat qui s'autolégitime par des élections ? Théoriquement symbole de démocratie, les
élections deviennent-elles un instrument de maintien de l'autoritarisme ? Dans ce cas, les taux de plus en plus élevés de l'abstention ne peuvent être qu'une conséquence logique. Le déterminisme, c'est aussi cela.
L. A. H.
Les coups d'Etat depuis 1990 : l'ouverture démocratique sans effet
•1990 : Liberia, Prince Johnson renverse Samuel Doe
•1991 : Mali, Amadou Toumani Touré renverse Moussa Traoré
•1992 : Algérie, le Haut conseil de securité renverse Chadli Bendjedid
•1995 : République fédérale islamique des Comores, Ayouba Combo renverse Saïd Mohamed Djohar
•1996 : Burundi, Pierre Buyoya renverse Sylvestre Ntibantunganya
•1996 : Niger, Ibrahim Baré Maïnassara renverse Mahamane Ousmane
•1997 : Zaïre/République démocratique du Congo, Laurent Désiré Kabila renverse Mobutu Sese Seko
•1999 : Union des Comores, Azali Assoumani renverse Tadjidine Ben Saïd Massounde
•1999 : Côte d'Ivoire, Robert Guéï renverse Henri Konan Bédié
•1999 : Guinée-Bissau, Ansumane Mané renverse João Bernardo Vieira
•1999 : Niger, Daouda Malam Wanké renverse Ibrahim Baré Maïnassara
•2003 : Centrafrique, François Bozizé renverse Ange-Félix Patassé
•2003 : Guinée-Bissau, Verissimo Correia Seabra renverse Kumba Yala
•2005 : Mauritanie, Ely Ould Mohamed Vall renverse Maaouiya Ould Taya
•2008 : Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz renverse Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi
•2008 : Guinée, Moussa Dadis Camara empare du pouvoir à la mort de Lansana Conté
•2009 : Madagascar, Andry Rajoelina renverse le régime de Marc Ravalomanana.
Les coups d'Etat (et tentatives) depuis 1999 : l'(O)UA impuissante
1999
9 avril : Niger, coup d'Etat
30 avril : Comores, coup d'Etat
24 décembre : Côte d'Ivoire, coup d'Etat 2001
8 janvier : Côte d'Ivoire, tentative de coup d'Etat
16 janvier : Congo démocratique, tentative de coup d'Etat
22-23 juillet : Burundi, tentative de coup d'Etat
28 mai, Centrafrique, tentative de coup d'Etat
19 décembre : Comores, tentative de coup d'Etat
2-3 décembre : Guinée-Bissau, tentative de coup d'Etat 2002
19 septembre : Côte d'Ivoire, tentative de coup d'Etat
5 août : Niger, tentative de coup d'Etat
25 octobre : Centrafrique, tentative de coup d'Etat
2003
15 mars : Centrafrique, coup d'Etat
7-8 juin, Mauritanie, tentative de coup d'Etat
9 juin : Liberia, tentative de coup d'Etat
16 juillet : Sao Tomé e Principe, tentative de coup d'Etat
14 septembre : Guinée-Bissau, coup d'Etat
Fin septembre : Burkina Faso, tentative de coup d'Etat
2004
Mars : Guinée équatoriale, tentative de coup d'Etat
28 mars : Congo démocratique, tentative de coup d'Etat
11 juin : Congo démocratique, tentative de coup d'Etat
9 août : Mauritanie, tentative de coup d'Etat
28 septembre, Mauritanie, tentative de coup d'Etat
2005
5 février : Togo, coup d'Etat
3 août : Mauritanie, coup d'Etat
2006
22 mars : Gambie, tentative de coup d'Etat
13 avril : Tchad, tentative de coup d'Etat
Août : Burundi, tentative de coup d'Etat
2007
19 juillet : Liberia, tentative de coup d'Etat
2008
6 août : Mauritanie, coup d'Etat
22 novembre : Guinée-Bissau, tentative de coup d'Etat
23 décembre : Guinée, coup d'Etat
2009
17 mars : Madagascar, coup d'Etat d'Andry Rajoelina contre Marc Ravalomanana
Mars : En Guinée Bissau, assassinat du président Joao Bernardo Vieira
Mai : Togo, arrestation du frère du président togolais, Kpatcha Gnassingbé, accusé d'avoir fomenté un coup d'Etat,
3 décembre : Guinée, tentative de coup d'Eta contre le chef de la junte, Moussa Dadis Camara.


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