En remontant le trottoir qui longe le lycée Omar Racim sur une cinquantaine de mètres, on tombe sur l'entrée du café littéraire l'Ile lettrée. On aurait pu le rater. Avec sa devanture et son enseigne discrètes, il passe inaperçu. Il faut le chercher pour le trouver, dirions-nous pour user d'une sympathique lapalissade. Mais quand on marque la double porte en plexiglas et aluminium, Sid Ali Sakhri, le patron de l'Ile lettrée, s'empresse de vous inviter à entrer. A l'intérieur, tables (sept) et chaises attendent le consommateur. Les étagères ployant sous les livres attendent, elles, le lecteur. Il y en a pour tous les goûts. Thé, café, jus et gâteaux à qui veut juste siroter une boisson en grillant une cigarette dans un cadre agréable. Ouvrages philosophiques, littéraires, sur les arts… pour qui veut allier le plaisir de la lecture à celui de la dégustation… un café littéraire en somme. Et pour compléter le tableau, afin que l'Ile lettrée soit un véritable café littéraire, Sid Ali, comme l'appelle tout le monde, a établi un programme d'activités et de rencontres au cours desquelles des personnalités sont invitées ès qualités à présenter un sujet donné et à en débattre avec l'assistance. Pour le thème inaugural de ces rencontres, le choix de Sid Ali s'est porté sur le mécénat et le sponsoring au bénéfice des artistes et des activités culturelles, un sujet d'une importance cruciale en ces temps où la culture est considérée et traitée comme une vulgaire marchandise ou, pis, complètement ignorée et maintenue sous perfusion pour devenir un faire-valoir politique. Le débat sera animé par l'économiste Aïssa Belmekki qui aura à ses cotés le journaliste Moncef Kaïdi comme modérateur. Avant toute chose, Moncef tiendra à souligner l'importance du mécénat. Il en voudra pour preuve l'apport des hommes d'affaire italiens au Moyen Âge à la culture qui est détaillé dans un livre qu'il montre à l'assistance. En Italie et dans d'autres pays européens, les grandes familles de la bourgeoisie ont été à l'origine de la Renaissance en Europe. M. Belmekki prendra le relais pour revenir sur l'origine du mot mécénat (du nom d'un chevalier et homme politique romain, Caius Cilnius Mæcenas, proche de l'empereur Auguste, qui a été le promoteur des arts et des lettres et le parrain des poètes Virgile, Horace et Properce) et son histoire. La différence entre le mécénat qui est un investissement désintéressé et le sponsoring qui, au contraire, est un placement impliquant des bénéfices à court terme est ainsi établie. Qu'en est-il en Algérie ? L'orateur expliquera que l'économie de rente et les rentiers qui constituent la pseudo-bourgeoisie en Algérie, ne peut, par définition, s'accorder avec le mécénat. Il ne reste dès lors que le sponsoring. Mais ce dernier peut déboucher sur une aliénation de l'artiste. La solution ? De l'avis d'un journaliste auquel se rangeront le conférencier et le modérateur, l'implication de l'Etat en tant que mécène d'abord (l'utilisation de la caisse de la zakat est suggérée) et comme régulateur (en encourageant le mécénat et le sponsoring) ensuite, est plus que nécessaire. Mais en attendant l'action de l'Etat qui n'a que trop tardé, la société civile, voire les citoyens, peuvent se poser comme alternative. Ce citoyen qui a entrepris de restaurer et d'exploiter un ksar que les autorités locales délaissaient est un exemple à méditer. Le café littéraire où nous dissertions est un autre exemple d'engagement d'un citoyen qui justement a besoin du soutien des artistes, des défenseurs de la culture et de tout citoyen. Il suffit d'y aller et de consommer pour permettre à l'Ile lettrée de flotter encore et encore. «Fluctuat nec mergitur, non ce n'était pas de la littérature, n'en déplaise aux jeteurs de sorts», chantait Georges Brassens. Une phrase qui va comme un gant à ce café littéraire que nous devons soutenir pour qu'il ne sombre pas. H. G.