Face à une rébellion armée dans le nord et des revendications séparatistes dans le sud, le président du Yémen compte tirer des dividendes de la guerre qui se déroule dans son pays pour consolider son régime. Beaucoup de spécialistes de la donne yéménite le disent. La menace d'El Qaïda est moins dangereuse que l'insurrection des chiites zaïdites à la frontière avec l'Arabie saoudite ou que les appels dans l'ex-Yémen du Sud à la sécession. Le pouvoir à Sanaa entend bien avec cet intérêt nouveau tirer des dividendes. «Le régime exploite la guerre contre El Qaïda à son avantage pour attirer des aides de l'étranger et brider son opposition», estiment les spécialistes du Yémen. Alors que l'Occident presse le président Ali Abdallah Salah de sévir contre le réseau d'Oussama ben Laden au Yémen, le régime tente d'instrumentaliser la carte El Qaïda pour faire taire les points de contestation sur le territoire du Yémen. Ainsi, le gouvernement tente de mettre tous ses ennemis dans le sac labélisé «Qaïda», la rébellion zaïdite, en cours depuis 2004, et les sudistes, dont une grande partie au sein du mouvement autonomiste, est contre la lutte armée. Les autorités de Sanaa sont confrontées à plusieurs fronts. Dans le Nord-Ouest, dans la région de Saada, l'armée yéménite affronte depuis 2004 des rebelles qui se réclament du zaïdisme, une branche du chiisme. Les zaïdites prônent comme exemple le Hezbollah libanais. De quoi susciter les intérêts des services étrangers qui pullulent dans la région. Ainsi, le conflit ne pourrait s'éviter une internationalisation en novembre dernier avec l'intervention de l'Arabie saoudite, qui accuse les insurgés de bénéficier du soutien de l'Iran. La République islamique est devenue l'ennemi absolu de Riad depuis peu. La hantise d'une influence iranienne sur les insurgés yéménites n'est pas l'apanage uniquement de l'Arabie saoudite. Les Occidentaux et Israël sont également concernés par la zone instable. Dans le sud du Yémen, dans les gouvernorats qui constituaient avant 1990 le Yémen du Sud, la contagion sécessionniste s'est considérablement consolidée depuis 2007. C'est dans cette zone, à l'est d'Aden, que l'armée yéménite a bombardé à plusieurs reprises les 17 et 24 décembre. L'offensive, qui aurait fait une soixantaine de morts, a été aussitôt critiquée par l'opposition du sud. Il faut dire que le sud du Yémen constituait un Etat indépendant jusqu'en 1990. Récemment a eu lieu une grève pacifique pour protester contre la répression du pouvoir central et ses tentatives de faire l'amalgame entre le mouvement sudiste et le réseau El Qaïda. Terreau d'instabilité Cependant, l'appui américain, militaire et financier, au nom de la lutte contre El Qaïda va inéluctablement renforcer le régime. Ce dernier se targue d'être stable et pourrait voir s'ouvrir un deuxième front, plus dangereux, au sud. La politique du pouvoir en place pousse ses opposants à des options plus radicales, comme le séparatisme dans le sud. Le régime a choisi une option qui pourrait s'avérer payante : tenter d'exagérer la menace d'El Qaïda afin d'exporter ses problèmes et les internationaliser. «Le pouvoir exploite l'intérêt de l'Occident pour exagérer la menace d'El Qaïda et fuir ses problèmes internes», affirment des observateurs. Mais, pour les opposants, le pouvoir «ne peut résoudre les problèmes du Yémen et ne constitue qu'une fuite en avant». Les solutions militaires pourraient être inefficaces. Seul le dialogue peut mener à une solution, qu'il s'agisse de l'insurrection dans le nord, des demandes des sudistes ou de l'opposition interne, déçue par le report de deux ans des élections législatives prévues initialement en 2009. Le Yémen fait désormais face à cinq défis : la rébellion qui s'est intensifiée dans le nord, la contestation sudiste qui s'est transformée en mouvement séparatiste et qui n'est plus pacifique, la menace d'El Qaïda, l'opposition intérieure et une crise économique des plus aiguës. Pour les analystes, la clé de la solution à la crise yéménite n'est pas sécuritaire mais plutôt politique, voire économique. Les difficultés du Yémen liées à l'économie demeurent un terrain favorable à l'extrémisme, au séparatisme dans le sud et à la rébellion chiite dans le nord. Les problèmes d'un des pays les plus pauvres du monde, a été aggravé par la chute des cours du brut. Les recettes du pétrole représentent 70% des revenus de l'Etat yéménite. La corruption et l'injustice sociale encouragent l'extrémisme au Yémen. Selon des statistiques officielles, le taux de chômage est de 34% et le revenu par tête d'habitant demeure parmi les plus bas au monde. Sur une population de 24 millions, presque la moitié des habitants vit sous le seuil de pauvreté, selon des statistiques du Fonds monétaire international (FMI). Les avertissements de Zendani Les Etats-Unis ont décidé de ne pas déployer de troupes au Yémen ou en Somalie. «Nous avons vu, tout au long de l'année écoulée, qu'El Qaïda était devenue un problème sérieux au Yemen. En conséquence, nous faisons équipe avec le gouvernement yéménite pour y cerner les camps d'entraînement et les cellules terroristes de façon beaucoup plus déterminée et soutenue», a déclaré le président américain Barack Obama. David Petraeus, le chef du commandement central américain qui supervise une zone allant de la Corne de l'Afrique à l'Asie centrale, a rencontré le 2 janvier à Sanaa le président yéménite Ali Abdullah Saleh. Entre les deux hommes ont eu lieu des discussions sur le renforcement de la sécurité ainsi que de la coopération militaire et économique. Mais l'idée de l'ouverture d'un nouveau front par l'armée des Etats-Unis au Yémen semble accueillie avec scepticisme par les autochtones. Le religieux yéménite Abdelmajid Zendani a assimilé une éventuelle intervention américaine au Yémen à une occupation militaire du pays. Il rejettera cette possible nouvelle «colonisation». Il affirmera que «la forte mobilisation des forces américaines et de l'OTAN, sous le prétexte de lutte contre la piraterie maritime est disproportionnée». Pour lui, ce déploiement serait uniquement lié à «la protection des sources du pétrole» dans les monarchies du Golfe, voisines du Yémen. Zendani, soupçonné par Washington de soutenir le terrorisme, a critiqué la conférence internationale sur le Yémen convoquée par le Premier ministre britannique Gordon Brown. «Que les Yéménites, gouvernants et gouvernés, soient vigilants avant qu'un protectorat ne leur soit imposé», avertira Zendani. M. B.