Confronté à une rébellion armée dans le nord et des revendications séparatistes dans le sud, le président du Yémen pourrait tirer avantage de la guerre, soutenue par l'Occident, contre Al-Qaïda pour consolider son régime et museler ses opposants, estiment des analystes. La menace d'Al-Qaïda est moins dangereuse, selon eux, que l'insurrection des chiites zaïdites à la frontière avec l'Arabie Saoudite ou les appels dans l'ex-Yémen du Sud à la sécession. “Le régime exploite la guerre contre Al-Qaïda à son avantage pour attirer des aides de l'étranger et brider son opposition”, estime Franck Mermier, anthropologue et spécialiste du Yémen. Alors que l'Occident presse le président Ali Abdallah Saleh de sévir contre le réseau d'Oussama ben Laden au Yémen, M. Mermier souligne qu'“il est de l'intérêt du régime (...) d'instrumentaliser la carte Al-Qaïda pour faire taire ses opposants”. Ainsi, le gouvernement tente de “qaïdiser” ses ennemis, les présentant comme étant liés au réseau d'Oussama ben Laden, notamment la rébellion zaïdite en cours depuis 2004 et les sudistes, “dont une grande partie au sein du mouvement autonomiste est contre la lutte armée”, explique-t-il. Le Sud, qui constituait un Etat indépendant jusqu'en 1990, observait une grève pacifique, hier, pour protester contre la répression du pouvoir central et ses tentatives “de faire l'amalgame entre le mouvement sudiste et Al-Qaïda”, selon un des dirigeants des autonomistes sudistes. Mais si l'appui américain, militaire et financier, au nom de la lutte contre Al-Qaïda “va dans un premier temps renforcer le régime” celui-ci, “qui se targue d'être stable, pourrait voir s'ouvrir un deuxième front, plus dangereux, au sud”, prévient M. Mermier. “La politique du régime pousse ses opposants à des options plus radicales, comme le séparatisme dans le sud”, ajoute-t-il. Mohammad al-Zahiri, professeur de sciences politiques à l'université de Sanaâ affirme pour sa part que le régime tente “d'exagérer la menace d'Al-Qaïda afin d'exporter ses problèmes et les internationaliser”. “Le pouvoir exploite l'intérêt de l'Occident pour exagérer la menace d'Al-Qaïda et fuir ses problèmes internes”, affirme-t-il. Mais cela “ne peut résoudre les problèmes du Yémen, et ne constitue qu'une fuite en avant”, estime-t-il, exprimant la crainte que des solutions militaires ne mènent à “une montée de l'antiaméricanisme” dans le pays. Pour cet analyste, seul le dialogue peut mener à une solution, qu'il s'agisse de l'insurrection dans le nord, des demandes des sudistes ou de l'opposition interne, déçue par le report de deux ans des élections législatives qui étaient prévues en 2009. “2009 a été la pire année pour le Yémen”, souligne pour sa part Farès al-Saqqaf, président du Centre des études pour l'avenir à Sanaâ. “Le Yémen fait désormais face à cinq défis: la rébellion qui s'est intensifiée dans le nord, la contestation sudiste qui s'est transformée en mouvement séparatiste et qui n'est plus pacifique, la menace d'Al-Qaïda, l'opposition intérieure et la crise économique.” Pour lui, “la clé de la solution n'est pas sécuritaire mais politique et économique” et “le Yémen ne peut faire face à Al-Qaïda qu'en calmant les autres fronts, notamment dans le nord et le sud”. “Le monde entier veut combattre Al-Qaïda au Yémen, mais le pays peut tirer avantage de cette guerre contre Al-Qaïda pour demander une aide économique qui l'aiderait à régler ses problèmes”, souligne M. Saqqaf. Il évoque par exemple une aide des pays du Golfe au Yémen, l'un des pays les plus pauvres de la planète, “sous la forme d'un plan Marshall”.