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Les «neggafate» ou tout pour une cérémonie
Coutumes
Publié dans La Tribune le 22 - 07 - 2008

Rébarbatif pour certains, vaseux ou sans signification pour d'autres, le mot «neggafate» a quand même fait une entrée spectaculaire dans le vocabulaire festif oranais. Venu droit du Maroc voisin, il s'impose dans le rituel des soirées nuptiales à Oran et évoque immanquablement la fête, les couleurs, les réjouissances, les vêtements d'apparat, les robes de mariée, les paillettes, les noces, l'été.
Les «neggafate», c'est un groupe de femmes (et d'hommes) qui se sont spécialisés dans l'organisation des célébrations familiales comme les mariages et les circoncisions. En un mot, ce sont des «traiteurs» new-look revenus d'une autre ère et d'un espace géographique bien délimité : le Maghreb et ses palais érigés après la perte de l'Andalousie, il y a plus de cinq siècles. «Aujourd'hui, on ne conçoit plus à Oran une fête de mariage digne de ce nom sans les neggafate. Tout le protocole est laissé aux bons soins de ces prestataires de services qui se plient en quatre pour réussir leur mission», confiera Mohamed, un commerçant spécialisé dans la vente des trousseaux de mariage. Mohamed avoue être un agent de «neggafate».
Il dit leur assurer l'indispensable publicité en distribuant à sa clientèle des cartes de visite, en vantant leur savoir-faire, parfois même en négociant le coût de leurs prestations. L'homme, qui ne manque pas de les encenser, affirme que plusieurs parmi ces personnes ont appris le métier après un séjour au Maroc où «elles ont appris le sérieux, la rigueur et la célérité dans le service», soutient-il. C'est que ces fameuses «neggafate» sont les pièces maîtresses du feuilleton nuptial.
Ce sont elles qui élaborent, avec leur traiteur et les clients, le menu, le timing et le déroulement de la soirée de noces. Le temps où l'heureuse soirée était prise en charge par la famille, les voisins et les amis des jeunes époux est ainsi bel et bien révolu. «Aujourd'hui, tout ce beau monde participe pleinement à la fête comme tous les autres invités.
Ils ne sont plus sollicités pour servir à manger, laver des montagnes de vaisselle ou faire le grand nettoyage après le départ des convives», dira Zohra, une «neggafa» bien connue sur la place d'Oran et qui concède que son carnet de rendez-vous est déjà bien rempli pour cet été. Le rituel de la soirée de mariage est réglé comme une partition de musique.
Rien n'échappe au neggafate : le nombre de robes pour la mariée, ses coiffures, ses bijoux, la décoration des lieux, les tenues de ses accompagnatrices, la musique d'accompagnement de la «tesdira» (revue du trousseau), l'emplacement des invités, les plats à servir, les boissons, les confiseries…
«Tout est déterminé en fonction des ressources de chaque client. C'est une fête ‘‘clés en main'' que nous lui proposons. Notre devise est de faire de chaque noce un bouquet qui fera des heureux et plaidera, au bout du compte, en notre faveur», dira Zohra, l'âme un tantinet commerçante.
Une activité vouée à l'essor et à la… délocalisation
Cette dernière ne manquera pas de dire, avec la satisfaction que l'on devine, que cette activité qui s'installe par petites touches à Oran, est promise à un bel avenir. Mieux, ajoutera-t-elle, «certaines neggafate pourront, à l'avenir, se transformer en prestataires de services pour des tour-opérateurs et des agences de voyages spécialisées dans le tourisme réceptif». «Elles peuvent ainsi organiser des soirées à thèmes dans le cadre d'un pack qui englobera des circuits à travers l'Algérie, des séjours dans des régions précises du pays et des spectacles, comme cela se fait au Maroc», renchérit-elle. Les salles des fêtes, qui ont poussé comme des champignons à Oran, ont favorisé l'installation des premières neggafate. Si, au départ, leur nombre se limitait aux doigts d'une seule main à peine, plusieurs autres femmes ont investi le créneau, qualifié désormais de juteux. «Au départ, il y a quelques années, elles ne s'occupaient que des tatouages au henné et de quelques rituels du mariage, mais aujourd'hui elles sont devenues une nécessité pour réussir sa soirée de noces», insiste Zohra. Certaines familles n'hésitent d'ailleurs même plus à se transformer en agents agréés de «neggafate» pour louer leur talent. Les albums photo des soirées nuptiales qu'elles s'échangent s'avèrent être leur meilleur support publicitaire. Des «neggafate» se vantent ainsi de proposer toute une panoplie de services. Cela va de la problématique location de la salle, en passant par le DJ, le ou les photographes, et même la location de la limousine pour un cortège qui «doit marquer les esprits dans toute la ville», comme l'affirme Zohra qui n'omet pas de préciser que ses prix «défient toute concurrence». «Je propose des tarifs oscillant entre 50 000 et 150 000 DA. Tout dépend des exigences et des caprices du client. Ce sont des tarifs raisonnables puisque je dois à chaque fois faire appel à plusieurs autres intervenants dans la soirée, comme le porteur des trônes des mariés, le DJ, le photographe, le traiteur et même des serveurs», dira-t-elle.
Les «neggafate», qui font aujourd'hui partie du décor des soirées nuptiales dans l'ouest du pays, vont maintenant tenter une sortie vers le Centre et l'Est. «C'est encore timide, mais nous commençons à recevoir des commandes pour certaines soirées à Alger et Blida», affirme l'interlocutrice, qui croit dur comme fer au temps où recourir à ce type de services ne sera plus une exception ou un luxe, mais une nécessité pour qui veut garder un souvenir impérissable de la soirée la plus sacrée de son existence.
APS


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