Remis en route après plusieurs mois de panne, HIFI (Heterodyne Instrument for the Far-Infrared «Instrument hétérodyne pour l'infrarouge lointain»), l'instrument le plus cher et le plus complexe du satellite européen Herschel, n'a pas tardé à donner des résultats. En décomposant le rayonnement submillimétrique de la nébuleuse d'Orion, le spectrographe HIFI, l'un des trois instruments embarqués à bord de l'observatoire spatial, vient de réaliser le meilleur spectre jamais obtenu de cette région de formation d'étoiles et a révélé les empreintes de molécules organiques, signature d'une chimie prébiotique. Plusieurs dizaines de molécules y sont visibles. Parmi les molécules qui ont été identifiées dans ce spectre, il y a l'eau, le dioxyde et le monoxyde de carbone, le formaldéhyde, le méthanol, le diméthyl éther, le cyanure d'hydrogène, l'oxyde de soufre, le dioxyde de soufre, et leurs isotopomères... ainsi que beaucoup d'autres molécules qu'il reste à identifier. L'ensemble des données devrait permettre aux astrophysiciens de mieux comprendre la formation de ces molécules prébiotiques et peut-être la formation des premières briques de la vie. Certaines des molécules détectées dans l'espace interstellaire jouent en effet un rôle dans la chimie du vivant. Voilà de quoi rassurer tous ceux qui avaient suivi la panne de l'instrument, en août 2009, et sa précautionneuse remise en route le 14 janvier dernier avant qu'il ne reprenne ses observations scientifiques le 28 février dernier. Grâce à sa résolution et à sa stabilité sans précédent, HIFI devrait permettre d'étudier plus directement «la chimie associée à la formation des étoiles, des planètes et, en un sens, à la vie», a expliqué Tom Phillips, du California Institute of Technology. «Ce spectre HIFI, et les nombreux autres à venir, sera un véritable trésor d'informations en ce qui concerne l'inventaire chimique, et le mode de formation des molécules organiques dans une région de formation d'étoiles. Il présage une compréhension approfondie de la chimie dans l'espace, dès lors que le relevé spectral complet sera disponible», s'est réjoui pour sa part Edwin Bergin de l'université du Michigan, responsable d'Hexos, l'un des programmes clés d'Herschel, qui est destiné, entre autres, à l'étude de plusieurs sources dans la nébuleuse d'Orion. Cette nébuleuse est réputée pour être l'une des «usines chimiques» les plus productives de l'espace, bien que toute l'ampleur de cette chimie et les voies de formation des molécules ne soient pas encore bien comprises. Le spectre d'Orion obtenu avec HIFI inclut une riche et dense suite de «pics», chacun représentant une signature du rayonnement émis par les molécules présentes dans la nébuleuse d'Orion. En cherchant parmi les pics du spectre, les astronomes ont identifié plusieurs molécules bien connues dont les signatures apparaissent à maintes reprises dans le spectre. L'identification des nombreuses autres raies d'émission est actuellement en cours. En identifiant clairement les raies associées avec les molécules les plus usuelles, les astronomes peuvent alors commencer à extraire les signatures de molécules particulièrement intéressantes du fait de leur rôle dans la chimie prébiotique. Une des caractéristiques du spectre d'Orion est sa richesse spectrale. On s'attend également à ce que d'autres molécules organiques soient identifiées. HIFI a été conçu pour fournir des spectres à ultra-haute résolution en utilisant des longueurs d'onde inaccessibles depuis le sol. Le spectre obtenu en quelques heures surpasse déjà largement tous les spectres jamais mesurés sur Orion. Les molécules organiques sont présentes partout dans ce spectre, même aux niveaux les plus bas, ce qui prouve la haute résolution de HIFI. La nébuleuse d'Orion est un nuage moléculaire qui est le siège de formations stellaires importantes. L'obtention de ces spectres permettra de construire des modèles physico-chimiques pour comprendre la formation stellaire, et étudier plus directement la chimie associée à la naissance des étoiles, des planètes, et d'une certaine façon, à la vie. R. C.