Bamako, notre capitale a enregistré, courant novembre, un certain nombre d'événements assez révélateurs de l'intérêt géostratégique croissant de l'Espace sahélo-saharien (ESS) : réunion ministérielle regroupant l'Algérie, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Niger et le Tchad pour préparer un sommet des chefs d'Etat sur la paix, la sécurité et le développement dans la région sahélo-saharienne ; exercices militaires entre Américains, Européens et Ouest-Africains, dans le cadre du Fintlock, en présence du général Ward, commandant en chef de l'Africom ; visite-éclair du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, consacrée aux questions de sécurité dans notre région.La réévaluation du statut géostratégique de l'ESS, depuis les attentats du 11 septembre 2001 repose principalement sur trois considérations : la configuration géographique, le contexte socio-sécuritaire et régional et la lutte contre le terrorisme international, l'imbrication des luttes internes et des rivalités externes pour le contrôle des ressources naturelles. Physiquement, l'ESS s'étend sur 2 400 km, de l'Atlantique à la mer Rouge, soit de la Mauritanie à la Somalie. Désertique et montagneux, quelquefois sur de longues chaînes, très peu peuplé et peu, voire pas du tout, administré, il se présente comme un territoire unique, en raison de l'emboîtement des territoires, de l'homogénéité identitaire des zones transfrontalières et de la porosité des frontières qui font que l'on peut aller de la Casamance aux portes du Congo sans obstacle majeur. Par son immensité, par sa proximité géographique avec l'Europe, par les liens historiques et culturels avec le monde arabo-musulman et en l'absence de tout contrôle étatique efficace, l'ESS est à la fois une passerelle et un sanctuaire offrant aux groupes mafieux et terroristes des facilités logistiques étendues : transfert de la drogue provenant d'Amérique du Sud ; carrefour de différents courants migratoires vers l'Europe ; zone de repli pour preneurs d'otages ; organisation de filières d'acheminement de combattants, de fonds et d'armes vers différents théâtres de conflits, etc. L'allégeance de l'ex-GSPC à Al-Qaïda, qui a érigé la région en zone n°4 dans son découpage territorial, a introduit une dimension nouvelle à la situation sécuritaire de l'ESS. L'extension des connexions Al-Qaïdistes qui résulte de cette évolution peut rapidement transformer l'ESS en théâtre d'une violence accrue, tant il est vrai qu'un sanctuaire a vocation naturelle à devenir une cible. D'autant plus que nos pays sont marqués par un cocktail de facteurs qui alimentent une conflictualité «à fleur de peau» : fragilité des systèmes démocratiques, faiblesse et/ou effondrement des institutions étatiques, instrumentalisation des différences identitaires, lutte pour le contrôle des ressources et criminalisation des circuits économiques et financiers, activisme religieux, paupérisation accrue des populations. De fait, le caractère transnational des menaces induites par cette configuration, qui place le Sahel-Sahara comme partie intégrante d'un champ de confrontation plus globale, désigne la coopération régionale et internationale comme le cadre le plus adéquat pour apporter une réponse proportionnée et collectivement maîtrisée. Cette coopération régionale et internationale, loin d'apparaître comme le prolongement des préoccupations sécuritaires de pays tiers, doit aboutir au renforcement de capacités de nos pays dans les domaines des investigations judiciaires, de la détection des transactions financières suspectes, de la recherche et l'analyse du renseignement, des opérations militaires. C'est pourquoi nous devons clairement avancer l'option d'une intégration plus poussée de nos forces, seule susceptible de nous faire évoluer plus efficacement vers une unité de doctrine et une mise en commun plus conséquente de nos capacités. Sur cette base, nous pourrions également plus facilement envisager une articulation harmonieuse et collectivement maîtrisée avec les dispositifs existants au niveau de nos partenaires américains et européens. S B. M. Article publié en décembre 2008 * Ancien ministre de la Défense du Mali et président de l'Observatoire sahélo- saharien de géopolitique et de stratégie.