Je n'avais pas «les doigts dans le nez, à ne rien ficher de la journée» quand j'ai répondu aux questions des journalistes de la presse écrite au sujet de «l'Alerte aux consciences anticolonialistes». J'en suis sûre. C'est impossible d'écrire en ayant les doigts dans le nez ! Tentez l'expérience, vous verrez ! Ça ne marche pas même si vous écrivez avec le nez, e'nif, mais c'est une autre histoire, un autre débat de caravane qui passe, entre chiens qui se taisent et chiens qui aboient.«Grande gueule aux bras écourtés», je n'ai pas pu communiquer aux lecteurs libres et qui savent faire la part des choses, mes propos, mon point de vue, ma photo… Mes explications n'ont pas été publiées pour ne pas être tronquées, même si je me suis adaptée aux exigences des rédactions, nombre de signes et délais d'envoi. Je ne vais pas crier à la censure, à la manipulation, à la désinformation… C'est du professionnalisme journalistique pur et dur et je ne peux qu'applaudir. «Vive la liberté d'expression.» Sortir de ce vrai-faux débat «tu Camus ou tu ne Camus pas ?», discussions de salons entre lire et délire, c'est complexe surtout que je suis en crise d'hypoglycémie depuis que le sucre est à 100 DA. Un scandale ! Pourquoi ne pas le dire ? Voilà qui est dit et à en croire les dires, c'est le seul engagement bien vu et encore permis. Après avoir décrété que la culture n'a de sens que si elle est dissociée de la politique, y compris quand le culturel célébrait les 60 ans de l'Etat d'Israël, je ne conçois pas qu'on revienne à la charge par cet acharnement autour de Camus, non pas pour parler de l'œuvre mais pour parler de mémoire, d'histoire et d'identité. La mélancolie coloniale, pour reprendre le dernier papier d'Alain Gresh en réponse au matraquage de «Camus, si tu savais», ne concerne pas «célébrer Camus» mais «comprendre Camus pour juger la guerre de libération».«L'indépendance de l'Algérie : un fait qui a du mal à passer ?» titrait en 2006 Gilbert Meynier.En prélude aux célébrations du cinquantenaire de la mort de Camus, le 30 janvier 2010, au centre Pompidou à Paris et en présence de représentants de l'Algérie officielle, les limites du supportable et de l'honnêteté ont été tristement franchies. J'ai lu les comptes-rendus de cette grande rencontre littéraire, «Albert Camus, dans le texte 1960-2010», l'écrivain David Camus «a commencé par remettre en cause l'authenticité de la fameuse phrase de son aïeul sur la justice et sa mère […].» A propos de la guerre d'indépendance, le descendant de l'«Algérien» déclara : «Nous devons condamner le terrorisme pratiqué par le FLN.» Assis juste à quelques mètres, Yasmina Khadra est resté muet sans aucune réaction. S'il n'était qu'un simple écrivain, peut-être que personne ne lui aurait reproché cette attitude. Cependant, il faut rappeler qu'il est directeur du Centre culturel algérien de Paris, soit le statut d'un officiel. L'article 3 du décret présidentiel n°09-306 du 13 septembre 2009 indique bien que ce type d'établissement «est placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères [Liberté, mardi 02 février 2010 ndlr]».Je ne sais pas quelle est votre réaction mais, pour ma part, en lisant ce qui a été rapporté et sans vouloir me substituer aux nombreux experts en lecture «camusienne», je me demandais si, au Centre Pompidou à Paris, les personnes présentes à ce débat littéraire avaient les doigts dans les oreilles ou dans la bouche, je n'avais pas pensé aux doigts dans le nez. Simple interrogation car, dans la république des livres, «Camus : petite piqûre de rappel» semble être la bonne démarche à la domestication par la culture. Confondre l'«alerte aux consciences anticolonialistes» avec une protestation pour interdire une ouverture littéraire montre la pratique courante du discours dominant, celle de l'orientation de l'opinion. Ça ne marche pas ! Devant cette mascarade médiatique qui annonce l'arrivée de la caravane, je préfère sans vacillation la contenance des chiens qui aboient à celle des chiens qui se taisent. S. Z. * Editrice