Photo : M. Hacène Par Fella Bouredji Le recours à la grève par les travailleurs algériens, plus précisément les travailleurs de la fonction publique, a connu une intense hausse ces derniers mois. On s'était habitué aux grèves répétitives de l'éducation nationale, les syndicalistes du secteur de la santé publique sont également plusieurs fois montés au créneau mais le plus surprenant ces dernières semaines, c'est le recours à la grève des journalistes de la radio, première réaction contestataire dans ce secteur. Au vu de ce recours au débrayage dans la fonction publique, devenu de plus en plus courant, il convient de s'intéresser à l'application du droit de grève en Algérie. La Constitution garantit le droit de grève selon des modalités très précises (tenues d'assemblées avec PV, dépôt de préavis, etc). A voir autant de travailleurs algériens observer des arrêts de travail et suspendre leurs activités professionnelles pour faire de la revendication, on pourrait croire que la question du droit de grève ne devrait pas se poser. Et pourtant, plusieurs syndicalistes, travailleurs de la fonction publique ou simples citoyens 'interrogent : le droit de grève n'est-il pas qu'un leurre entretenu et contrôlé par les pouvoirs publics avec comme moyen d'action pour la tutelle d'interrompre les mouvements de contestations par le recours à la justice dès que ces derniers dépassent un certain seuil de nuisance ? Au vu des dernières évolutions des grèves, qui ont toutes fini avec des recours à la justice qui les déclare illégales, avec des menaces de radiations, de poursuites judiciaires et de pressions diverses, la réponse est évidente pour certains. Meziane Meriane, le premier représentant du SNAPEST, explique la présence de plus en plus intense de la grève dans la société par «une rupture de dialogue avec les pouvoirs publics et par une certaine forme de provocation qui mène les syndicalistes à cette arme ultime qu'est la grève». Et d'ajouter : «Après la décennie de terrorisme, il y a eu une embellie financière et il est tout à fait normal que les travailleurs de la fonction publique veuillent en profiter, surtout en sachant que leur pouvoir d'achat ne cesse de s'éroder.» A ce sujet, le syndicaliste pense tout simplement qu'en Algérie «on assiste à un multi-syndicalisme de façade étant donné que dans le secteur de l'éducation les représentants des syndicats autonomes sont exclus des multipartites et des commissions ad hoc», précise Meziane Meriane. Des constats encore plus tranchants, et même inquiétants, seront faits dans le secteur de la santé. «Le droit de grève en Algérie est réellement en danger», déclare le Dr Yousfi, président du SNPSSP. Et d'expliquer : «Il est garanti par la Constitution depuis le pluralisme syndical des années 1990 [Constitution de 1989, ndlr] mais en réalité il n'est pas appliqué. Étant donné que les pouvoirs publics recourent à la justice de façon abusive et illégitime pour mettre fin aux mouvements de grève et mettre les travailleurs sous pression, les exemples de menaces de radiation et de tentatives d'intimidations autant dans le secteur de l'éducation que celui de la santé en témoignent.» Pour mieux mettre le doigt sur ce recours à la justice jugé abusif et illégitime, le Dr Yousfi évoquera la date du 23 octobre 2003, pour l'instrumentalisation de la justice dans le but de casser une grève d'un syndicat autonome. «Notre grève de l'époque avait été déclarée illégale et nous avons été jugés ce jour même pour mise en danger de la vie du citoyen alors que nous garantissions un service minimum indéniable. Après avoir fait appel à la cour d'Alger, qui a jugé, bien après, la grève tout à fait légale». Mais la grève avait été entre-temps arrêtée, ce qui, pour le gouvernement de l'époque, constituait l'objectif essentiel. Une situation similaire à celle des trois mouvements de débrayage qui font l'actualité de ces dernières semaines : santé, éducation et radio.