El Qods abrite près de 180 000 juifs en pleine expansion humaine et géographique. Les 250 000 Palestiniens, quant à eux, vivent dans des quartiers où la construction a été sévèrement limitée par Israël. Un tiers du territoire annexé par Israël en 1967 a été exproprié par le gouvernement des mains de propriétaires palestiniens. Si le gouvernement a approuvé la construction de 50 000 logements pour la population juive, il n'en a construit aucun pour les Palestiniens, selon les chiffres de B'Tselem, le centre d'information israélien pour les droits de l'Homme dans les territoires occupés.Située dans la partie orientale de la ville, annexée par Israël en 1967, Ramat Shlomo, qui abritera ces nouvelles constructions, a été construite en 1996. Dans ses 2 300 logements vivent 20 000 ultra-orthodoxes, attirés par des logements à bas prix et désireux de vivre à l'écart du reste de la population juive plus laïque. Cette annonce a entraîné des affrontements entre les Palestiniens et la police israélienne pendant cinq jours consécutifs.Quarante années de construction dans les quartiers juifs à El Qods Est ont pratiquement gommé la ligne verte, qui délimitait avant 1967 Israël des territoires palestiniens. Selon Moshe Amirav, urbaniste spécialisé sur El Qods à l'Institut de formation Beit Berl, qui a participé aux négociations de paix, les dirigeants israéliens savaient dès 1967 qu'ils violaient le droit international régissant les territoires occupés en construisant des implantations juives à El Qods Est. Toutefois, «El Qods est moins une histoire de politique que de psychologie. Avec le temps, ça devient juste un fait établi», conclut-il. Ces colonies sont différentes de certaines autres -comme les blocs de Etzion ou ailleurs le long de la ligne verte-, dont le but est d'installer des implantations dans des régions préalablement annexées par Israël. Dans le cas d'El Qods-Est, ces logements visent au contraire à imposer le fait accompli afin que les accords futurs entérinent l'annexion. La «colère» américaine Les Etats-Unis, les Nations unies et la communauté internationale considèrent ces implantations juives comme des colonies, au même titre que celles de Cisjordanie. Annoncée en pleine visite du vice-président américain Joe Biden, la décision de construire 1 600 logements est au centre d'un sérieux différend entre les Etats-Unis et Israël. Le conseiller du président Barack Obama David Axelrod a exprimé l'ampleur de la colère américaine : «Cela a été un affront, une insulte, mais plus encore, cela a compromis le très fragile effort d'amener la paix dans la région», a-t-il dit en jugeant «très destructeur» le moment choisi pour annoncer une relance de la colonisation, à quelques jours du début des négociations indirectes entre Israéliens et Palestiniens. Une réaction d'autant plus forte que ce n'est pas la première fois que les Israéliens font de la provocation en matière de colonisation. En novembre 2009, le gouvernement avait fait marche arrière à propos du gel total de la colonisation, que Netanyahou a nettement refusé. Les Américains ont manifestement décidé de ne pas laisser passer cette occasion de réaffirmer une certaine autorité dans leur relation avec leur allié. Face aux condamnations américaines, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a exprimé ses regrets pour le moment «malheureux» de cette annonce, mais confirme le 15 mars la poursuite de la colonisation, y compris dans la partie orientale de la ville. La presse n'est pas plus tendre. Thomas Friedman, grand allié d'Israël, écrit dans le New York Times qu'«il y a un conducteur en état d'ivresse dans Jérusalem».Selon Mark Perry, une partie des cadres américains estiment que les rebuffades enregistrées par l'administration américaine depuis six mois sur le dossier israélo-palestinien portent atteinte désormais à sa crédibilité. Le message convoyé à l'administration américaine et à Barack Obama est qu'elle est incapable de se coordonner avec son meilleur allié, incapable d'influencer son processus de décision, incapable au final de peser sur le cours des événements, notamment les implications régionales. Le vice-président aurait notamment signifié au gouvernement israélien que ses agissements mettent en danger les troupes américaines en Irak et en Afghanistan. Quant à la thèse de John Mearsheimer et de Stephan Walt, elle stipule depuis longtemps que les intérêts d'Israël et des Etats-Unis ne sont pas nécessairement convergents, ils peuvent même être au contraire antagonistes. C'était déjà aussi l'avis de David Petraeus, deux mois avant l'éclatement de la tension actuelle.Selon un rapport publié en février 2010, par l'Institut juif pour les affaires de sécurité nationale (JINSA), l'administration Obama aurait mis en place un véritable embargo virtuel sur les armes à destination de l'Etat hébreu. Au cours de l'année 2009, «l'administration de Barack Obama n'a approuvé aucune demande israélienne majeure d'armements», souligne le rapport. De source officielle, la Maison-Blanche aurait conditionné la livraison d'armes à Israël à des progrès dans l'établissement d'un Etat palestinien en Cisjordanie. Dans le même temps, le Pentagone a signé des contrats militaires avec des pays membres de la Ligue arabe ; au total, 10 milliards de dollars répartis entre l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Jordanie, le Koweït, le Maroc et les Emirats arabes unis. Principale bénéficiaire de ces accords, l'Egypte a obtenu la livraison prochaine de 24 chasseurs F-16 de type C et D, d'hélicoptères de combat, de missiles air-sol Hellfire et de quatre batteries de missiles de croisière Harpoon II. Dans le cadre d'un autre contrat, les États-Unis, ont fourni 2 742 missiles anti-chars Tao 2 à l'Arabie saoudite. Ce type de missiles, qui fait partie de l'arsenal israélien, est capable de perforer le blindage de la plupart des chars qui existent aujourd'hui, y compris le Merkava IV s'il n'est pas équipé du bouclier magnétique Trophy. Début janvier, plusieurs responsables de l'establishment sécuritaire ont exprimé leur inquiétude devant le renforcement des forces armées arabes de la région. Réponse immédiate de Washington : «Renforcer l'axe modéré du monde arabe sert à dissuader l'Iran.» Le JINSA considère que le paradigme du «Qualitative Military Edge», qui garantissait jusqu'ici à Israël une supériorité technologique sur les autres puissances militaires du Moyen-Orient, est désormais menacé. Il faut savoir que, basé à Washington, le JINSA est un groupe formé de militaires, d'intellectuels et d'hommes politiques américains visant à soutenir l'État d'Israël. On trouve parmi ses membres et proches les plus éminents : l'ancien administrateur américain de l'Irak Jay Garner et les proches de l'ancien président Bush comme Richard Perle et Dick Cheney.Pour sortir de ces tensions, les Etats-Unis exigeraient trois points. Le premier porte sur l'annulation pure et simple du programme de construction de 1 600 logements à Har Shlomo ; le second sur l'ordre du jour des négociations indirectes entre Israéliens et Palestiniens, qui devrait inclure d'emblée le tracé de la frontière ; le troisième enfin porte sur un geste de bonne volonté israélien à l'égard de Mahmoud Abbas, à savoir la libération de détenus relevant du Fatah. Des conditions rejetées par le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et quelques autres ministres. L'alliance avant tout Selon les dernières statistiques, quelque 750 000 Israéliens sont établis à l'étranger, la grande majorité définitivement, une minorité, -des chercheurs, des étudiants, des spécialistes- de manière provisoire. Les Etats-Unis comptent la plus forte communauté qu'on nomme ici les «yordim», c'est-à-dire ceux qui sont «descendus» du pays. Grosso modo 680 000 personnes, New York venant en tête avec 250 000, suivie de Los Angeles 200 000 et Miami 80 000. Plusieurs organisations juives ont appelé des membres du Congrès américain à protester contre les propos des hauts responsables du gouvernement Obama à l'encontre d'Israël. Mais si les élus du Parti républicain ont critiqué les attaques du gouvernement Obama contre «le plus proche allié des Etats-Unis au Proche-Orient», les représentants du camp démocrate ont préféré ne pas s'exprimer. L'AIPAC, le plus puissant groupe d'influence pro-israélien aux Etats-Unis, a réagi. Ainsi a-t-il averti que «l'escalade rhétorique de ces derniers jours détourne des problèmes urgents que sont la volonté de l'Iran de se doter d'armes nucléaires et la recherche de la paix entre Israël et l'ensemble de ses voisins arabes». Benyamin Netanyahou et Hillary Clinton doivent tous deux s'exprimer lors de la conférence annuelle de l'AIPAC, qui se tient du 21 au 23 mars en cours. Le groupe de pression bénéficie de soutiens dans l'ensemble du spectre politique au Congrès. Il est plus que probable qu'à 8 mois des élections de mi-mandat, les représentants se montrent réceptifs. La colère américaine a ses limites Washington n'a pas essayé de revoir à la baisse son aide financière à Israël, toujours fixée à 3 milliards de dollars (2,15 milliards d'euros) par an. Et Israël sait pouvoir compter sur le parapluie américain aux Nations unies pour contrer les conséquences négatives du rapport Goldstone, qui dénonce des crimes de guerre commis par Israël lors de la guerre de Ghaza de l'hiver 2008. La coopération en matière de sécurité est toujours aussi intense. Les derniers faits en date le confirment. Plasan, une société israélienne spécialisée dans la fabrication de blindage à usage civil et militaire, vient d'empocher un nouveau contrat avec l'armée américaine. Via son partenaire Oshkosh, Plasan a été désignée pour la production de 1 500 blindés, pour un montant de 170 millions de dollars. Cette somme ne représente qu'une partie de la commande beaucoup plus large que s'est vu attribuer Oshkosh, visant à fournir dans les prochaines années près de 8 000 blindés de type M-ATV aux forces américaines. La valeur totale de ce contrat avoisine les 640 millions de dollars.Basé dans le kibboutz Sasa, en Galilée, la société israélienne est engagée dans la conception, le développement et la fabrication de produits de pointe de protection à blindages balistiques et légers et de systèmes intégrés de survivabilité. Ses ingénieurs sont tous issus de l'armée israélienne. Plasan est rapidement devenue un fabricant et un intégrateur reconnu de solutions étendues de blindage utilisées sur de nombreux véhicules militaires légers, APC, équipements de protection personnelle, plates-formes rotatives et à ailes fixes, et bâtiments de la marine.La collaboration de Plasan avec l'armée américaine n'est pas nouvelle. Depuis l'été 2009, l'entreprise israélienne a fourni 5 000 pièces de blindage à l'armée américaine. Le sénateur démocrate du Vermont, Patrick Leahy, n'a pas caché sa satisfaction. Membre de la commission Défense du Sénat, Patrick Leahy a longtemps milité pour équiper l'armée américaine de nouveaux blindés. Son intervention auprès du fabricant Okshosh a ainsi permis d'inclure Plasan, puisque les deux fabricants sont liés. Le véhicule M-ATV, dont la production en masse a débuté, sera à terme le premier blindé de l'armée américaine sur ses zones d'opérations comme en Afghanistan.Un autre contrat récent mérite d'être signalé dans la coopération antiterroriste aérienne. Les Etats-Unis et Israël ont décidé de signer un nouveau protocole d'intention appelé MOU (Memorandum of understanding) en vue de développer leur coopération dans ce domaine et d'échanger davantage encore les renseignements recueillis par leurs services. Le nouvel accord est le résultat d'une série d'entretiens que Katz et Napolitano ont eus l'été dernier aux Etats-Unis. Dans le cadre de ce nouveau protocole, un nouveau dispositif devrait être mis en place, permettant l'échange immédiat d'informations, en cas de menaces terroristes contre des avions, entre l'agence américaine de sécurité aérienne, le secrétariat d'Etat des Transports et le Shin Bet. Des précédents qui en disent long Comme dans toute relation bilatérale, les relations entre les Etats-Unis et Israël ont déjà traversé des zones de turbulences pour diverses raisons. Commençons par les tensions qui se sont produites en situation de guerre. Pendant la guerre des Six-Jours, en juin 1967, l'armée israélienne coule le navire espion américain Liberty qui patrouillait en Méditerranée au large du Sinaï. Malgré le bilan très lourd (34 morts,171 blessés), Washington accepte l'explication d'Israël qui invoque une erreur.En 1991, le président George Bush et son secrétaire d'Etat James Baker contraignent le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir à participer à la conférence de paix de Madrid, en présence d'une délégation jordano-palestinienne. Déterminés à enrayer la colonisation, ils gèlent jusqu'aux élections de 1992 la garantie par les Etats-Unis de prêts bancaires d'un montant de 10 milliards de dollars octroyés à un taux avantageux à Israël pour absorber une vague d'un million d'immigrants juifs de l'ex-URSS. Cette passe d'armes va contribuer à la défaite électorale de Shamir, face au travailliste Yitzhak Rabin. Elle va également signer la défaite de George Bush.Quant aux tensions survenues dans des situations de paix ou de post-conflit, signalons d'abord les tensions survenues après la guerre de 1973. En 1974-1975, le président Gerald Ford et son secrétaire d'Etat Henry Kissinger forcent la main à Israël pour parvenir à deux accords successifs de désengagement partiel du Sinaï avec l'Egypte. Et l'administration américaine avait annoncé alors, qu'elle allait procéder à «une reconsidération de nos relations avec Israël», en cas de refus israélien.Dans ce sillage, lors des négociations de Camp David entre le président égyptien Anouar El Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin, le président américain Jimmy Carter avait reproché à Begin des concessions insuffisantes pour résoudre le conflit israélo-arabe. Ce qui n'a pas empêché la conclusion du premier accord de paix israélo-arabe et un tournant politique, stratégique et idéologique très important dans le conflit arabo-israélien. En 1985, c'est l'affaire Jonathan Pollard qui éclate, provoquant une des plus graves crises de confiance entre Israël et les Etats-Unis. Cet analyste de la marine, juif américain, a livré à Israël entre mai 1984 et novembre 1985, des milliers de documents confidentiels concernant les activités d'espionnage des Etats-Unis, principalement dans les pays arabes. Condamné à la prison à vie en 1987, il est naturalisé israélien en 1998. Les Premiers ministres israéliens successifs ont tous réclamé sa libération. En vain. Sujet de tension entre les deux pays, le président Bill Clinton avait accepté de réexaminer le dossier, mais le directeur de la CIA George Tenet avait mis sa démission dans la balance.Pas plus tard qu'en 2009, le président Barack Obama exigeait qu'Israël gèle totalement la colonisation pour permettre une reprise des négociations de paix avec les Palestiniens. Il finit par renoncer à cette condition. Le 9 mars 2010, nouvelle tension sur la construction de 1 600 nouveaux logements dans un quartier de colonisation à El Qods-Est.Mati Ben-Avraham écrit qu'en dépit d'années de pratique, les Américains ne connaissent pas grand-chose à la gestion israélienne de la chose publique. D'ailleurs, rappelle l'auteur, Kissinger a répondu à son président qui souhaitait connaître l'opinion du gouvernement israélien ceci : «Je n'en sais rien, Monsieur le Président, mais si vous désirez connaître l'opinion de chaque ministre israélien, je suis prêt à satisfaire votre demande.» Quant à Cyrus Vance, il se plaignait que, à chacune de ses visites, Ariel Sharon, alors ministre du gouvernement Begin, lui jetât une nouvelle implantation à la figure…Les Etats-Unis et Israël n'en sont pas à leur premier différend. Ils ont toujours su les surpasser et aucune raison ne laisse aujourd'hui présager le contraire. L. A. H.