Entretien réalisé par Amel Bouakba LA TRIBUNE : Pouvez-vous présenter votre association ? Latefa Lamhene : L'Association nationale des hémophiles algériens a été créée en 2006 avec la collaboration de 20 représentants de wilaya dans le but de venir en aide aux malades à travers tout le territoire national. Notre association s'est assignée plusieurs tâches dont l'objectif principal est d'assurer une meilleure prise en charge des hémophiles et d'assurer la disponibilité d'un traitement sûr et efficace pour tous. L'association s'évertue aussi à informer et à accompagner les malades dans tous les domaines, médicaux et sociaux. Il s'agit également de fournir une éducation thérapeutique et sanitaire aux malades et à leur famille sur tous les aspects de la maladie. Nous avons également pour mission de défendre l'intérêt du malade auprès des pouvoirs publics et de garantir une formation du personnel soignant médical et paramédical. Notre association est membre de la Fédération mondiale des hémophiles qui nous apporte tout son soutien en matière de formation et de documentation. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les médecins et la PCH. Nous avons un partenariat avec l'Association française des hémophiles. Quelles sont les causes de l'hémophilie ? L'hémophilie est une maladie héréditaire hémorragique due à l'absence d'un des facteurs de coagulation (au nombre de 13 dans le sang humain). Autrement dit, l'enfant naît hémophile et le reste toute sa vie. Toutefois, la maladie survient dans 70% des cas dans des familles qui ont des antécédents familiaux, comme elle peut aussi se manifester, dans 30% des cas, de manière sporadique (mutation chez la maman ou le garçon). L'hémophilie touche essentiellement les garçons puisque cette tare se prononce sur le chromosome X mais peut apparaître exceptionnellement chez la fille. Mais il est important de savoir que l'hémophilie survient lorsque le taux de facteurs VIII ou IX de la coagulation est absent ou en quantité insuffisante dans le sang. Cependant, il existe des malades qui sont affectés par l'absence d'un autre facteur de la coagulation et dont la symptomatologie est aussi grave que l'hémophilie. Je tiens à signaler également que, contrairement aux idées reçues, l'hémophilie se manifeste beaucoup plus par des saignements internes qu'externes. Quel état des lieux faites–vous de l'hémophilie en Algérie ? Le combat a commencé en 2006 pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur cette pathologie grave et méconnue. Nous avons, depuis, coordonné nos efforts et réuni les médecins hématologues pour faire un état des lieux, dont beaucoup ne savaient pas grand-chose. Il fallait d'abord nous faire entendre par les autorités de la santé et les amener à améliorer l'accès aux traitements et bannir les inégalités. L'association s'est attelée dans ce sens à expliquer l'intérêt de la disponibilité des produits anti-hémophiliques dans toutes les régions du pays, sans exclusion aucune. Il y a lieu de signaler que, jusqu'à 2006, les malades étaient victimes d'un «nomadisme thérapeutique». Les malades des autres wilayas se ruaient vers la capitale, dans l'espoir d'accéder au traitement et d'arrêter un saignement. Malheureusement, beaucoup d'hémophiles, qui n'ont pu bénéficier du traitement ou d'une prise en charge adéquate, y ont laissé leur vie, d'autres sont devenus invalides ou se sont retrouvés carrément contaminés par les hépatites B et C. Je tiens à signaler, d'autre part, que l'hémophilie est une maladie héréditaire orpheline, d'où le fait qu'elle demeure méconnue par un grand nombre de médecins, toutes spécialités confondues. Cette situation complique davantage la prise en charge de nos malades en dehors des grandes villes et des CHU. Avez-vous des statistiques sur le nombre de malades en Algérie ? Il faut savoir que, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Fédération mondiale des hémophiles, l'hémophilie touche 1 garçon sur 10 000 naissances. En Algérie, on estime entre 3 000 et 3 500 le nombre de cas. Toutefois, le recensement actuel parle de 1 435 malades. Cela est dû à plusieurs raisons, entre autres, le décès précoce de l'hémophile (suite notamment à une circoncision, à une extraction dentaire, à une hémorragie cérébrale, à cause de la méconnaissance de la maladie), l'éloignement et la précarité des malades, l'ignorance, le niveau social, le manque de moyens, l'absence de diagnostic et/ou de suivi, de plan national de prise en charge et la non-implication effective des autorités de santé. Tout cela fait qu'aujourd'hui plus de 80% de la population hémophiles est devenue handicapée et plus de 50% contaminée. Quels sont les traitements possibles contre cette maladie ? Il est possible aujourd'hui d'apporter le facteur de coagulation absent pour éviter les hémorragies dont souffrent les hémophiles. Il y a ce qu'on appelle les produits anti-hémophiliques, qui se présentent sous forme d'injection intraveineuse. Il s'agit du facteur VIII pour les hémophiles A (qui ont un déficit en facteur VIII) et le facteur IX pour les hémophiles B qui ont un déficit en facteur IX. Il existe aussi des facteurs qui concernent les autres troubles rares de la coagulation mais qui ne sont pas encore entièrement commercialisés en Algérie. En tant que présidente de l'Association des hémophiles, quels sont, selon vous, les problèmes existants ? J'estime que l'association a fait un gros effort depuis sa création pour faire connaître la maladie et pallier les problèmes de pénuries de traitement grâce à la bonne volonté des uns et des autres. Cependant, force est de constater qu'il reste beaucoup à faire. Nous sommes encore très loin de l'optimal à cause, notamment, de l'absence de programme national de prise en charge des hémophiles qui impliquerait directement le ministère de la Santé. Je citerai aussi l'ambiguïté de la circulaire 007 et ses applications disparates. Je tiens également à relever l'impact social de la maladie et des problèmes qui se posent de manière récurrente, à savoir l'absentéisme scolaire (des élèves hémophiles sont carrément renvoyés par certains directeurs d'école ou exclus en raison des hospitalisations répétées), l'éloignement, le poids du cartable, l'état articulaire des enfants…. Quelles recommandations sont faites aux patients hémophiles, notamment les enfants ? Il existe deux recommandations phares : la fraction anti-hémophilique en premier lieu et l'éducation sanitaire qui permet d'accompagner le malade tout au long de sa vie en lui expliquant sa maladie, sa transmission, ses manifestations et ses éventuelles complications, ainsi que le traitement et son utilisation. Ainsi, nous préconisons actuellement la mise à disposition du facteur anti-hémophilique dans toutes les wilayas afin de permettre à tous les malades d'en bénéficier. De même, nous insistons pour fournir des médicaments à tous les malades à domicile. Il est primordial d'entamer le traitement prophylactique en particulier chez l'enfant dès le jeune âge (2 à 3 ans) par la mise en place d'un programme national pour réduire les coûts. Votre association organise régulièrement des sorties au profit des enfants hémophiles. Parlez-nous un peu plus de ces activités ? En fait, nous essayons de réunir le maximum de malades tout au long de l'année et quelle que soit la catégorie d'âge (enfant et adultes). D'autre part, nous avons initié un programme d'éducation sanitaire (le week-end) dans plusieurs villes du pays. L'idée est de faire en sorte de se rencontrer dans une ambiance conviviale, loin du cadre hospitalier. L'association organise deux sessions de colonie de vacances d'une durée d'une semaine chacune pour des enfants âgés de 8 à 16 avec au programme des balades sur différents sites : forêts, plages, aires de jeux…. Il s'agira aussi de joindre l'utile à l'agréable. Les malades sont durant leurs séjours initiés à l'auto-traitement et sensibilisés à la maladie. Quelles sont les insuffisances constatées en matière de prise en charge des hémophiles ? A vrai dire, beaucoup d'insuffisances et de lacunes subsistent en matière de prise en charge des hémophiles dans notre pays. Il s'agit notamment de la non-implication de toutes les wilayas dans la prise en charge des malades et du non-approvisionnement en médicaments malgré la circulaire 007 et l'instruction qui stipule l'obligation d'accès aux soins dans toutes les structures sanitaires. Je citerai également l'absence de programme, de guide national et d'implication effective et officielle du ministère de la Santé. Par ailleurs, le nomadisme incessant des malades, en particulier ceux du Sud, pour absence d'hématologue se pose toujours avec acuité. De même que le manque de kinésithérapeutes à l'échelle nationale, d'autant que la rééducation fait partie intégrante du traitement. Je pense enfin qu'il est nécessaire de mettre en œuvre une approche thérapeutique multidisciplinaire, tout en assurant des traitements et des soins adaptés.