Ce que l'on désignait sous Nasser et Boumediene, après la décolonisation, par «la nation arabe», a aujourd'hui consommé définitivement ce label qui a été au demeurant plus émotif que performant quant à l'idée que l'on peut se faire d'un ensemble plus ou moins uni, plus ou moins solidaire et réactif aux évolutions du monde. Si l'Union européenne a des institutions encore en rodage, une monnaie unique que tous les Européens ont intérêt à défendre, des lois communautaires en matière de diffusion culturelle, une cour de justice que les citoyens peuvent saisir, «la nation arabe» est très loin du compte. En ce siècle, elle est constituée de régimes hétéroclites qui vont de la monarchie transmissible, en passant par des républiques autoritaires, des régences familiales et des dictatures plus ou moins religieuses, plus ou moins sous protection israélienne, américaine ou européenne.Les fondements originels aux plans culturel et religieux qui servaient de base à «la nation» étaient la langue arabe et l'Islam. Au fur et à mesure, sous la pression des empires des technologies, des moyens de communication modernes, du marché mondial, les pays arabes se sont éloignés progressivement et rapidement les uns des autres. Pour les uns, il faut des visas ; pour d'autres, il y a les difficultés aux frontières terrestres. Certains d'entre eux ont des relations cordiales avec Israël contre rémunération américaine ou des aides européennes. Les relations culturelles se sont distendues avec le rétrécissement de l'audiovisuel égyptien concurrencé, grâce au sous-titrage et au doublage, par les feuilletons turcs, brésiliens, sinon américains et européens. Le film algérien est aussi absent en Egypte, au Maroc qu'il l'est en Norvège ou en Angleterre. L'islam, qui était un ciment, est désormais pluriel entre le sunnite, le chiite, les pratiques sectaires et les différentes lectures de la charia pour l'adultère, le vol ou le mariage juste pour quelques jours, l'âge des noces pour la jeune fille, le port du pantalon ou le nikab. Dans cette «nation» plus disparate que jamais, l'Algérie qui y a cru longtemps continue d'honorer des sommets redondants et stériles où les ego le disputent à la fakhfakha et à la surenchère juste verbale qui sont autant de fumigènes et d'opium pour les masses qui souffrent au quotidien. A juste raison, l'Algérie ne pratique pas la technique de la chaise vide mais la jeunesse ne se fait pas d'illusion, surtout pour une éventuelle identité et culture arabes construites en commun sur des bases, des juridictions et des protocoles d'échanges contraignants et imposés à tous les pays. L'union des pays arabes n'est pas pour demain car les régimes travaillent à ce qui les divise depuis que la Palestine n'est plus un liant fédérateur. Au plan culturel, l'Algérie peut-elle faire plus pour l'unité arabe, en ce siècle et dans les conditions actuelles de régression qui font qu'un match de foot devienne un puissant révélateur de l'identité algérienne ? L'option la plus sérieuse et la plus porteuse serait que la culture nationale, qui est métissée et irréductible à un seul versant géographique ou linguistique ou à un enfermement sur elle-même, s'épanouisse et devienne le modèle attractif dans un monde arabe sclérosé sur ce plan, et un moteur. Certains pays arabes riches implantent chez eux des universités étrangères, financent lourdement l'apprentissage de langues hier considérées comme ennemies. Si la culture et l'identité algériennes ont de la profondeur, des ancrages, des emprunts et des héritages de qualité, elles n'ont rien à craindre de personne. Si elles ne les ont pas, en plus des replis, des rentes archaïques, des censures et des marginalisations, il ne sert à rien d'investir le moindre effort et le moindre centime. Mais il se trouve que les fondements en question existent tout autant qu'une jeunesse qui peut tout faire comme les autres dans le monde. Il suffit juste de la considérer pour ce qu'elle est : audacieuse, compétente et ouverte sur les autres. Elle veut juste être algérienne au service du rayonnement national pour produire et exporter. A. B.