Photo : Riad Par Wafia Sifouane Avoir un toit sur la tête avec quelques murs en prime est un besoin qui remonte à la préhistoire. Les traces et les ruines des civilisations anciennes le montrent bien. Même les peuples nomades qui pensent qu'habiter entre quatre murs est inconcevable pour un être humain libre (la maison est le tombeau des vivants, dit un proverbe touareg), ont leurs kheïmas, leurs tipis, leurs yourtes…Loin d'être des nomades, des Algériens éprouvent des difficultés à disposer d'un logement, qui a fini par devenir l'idéal de toute une génération. Comment en acquérir un ? Le payement cash résoudra sûrement le problème, mais vu les prix affichés par les agences immobilières cela relève de l'impossible pour les bourses modestes. Résultat, on essaye de se loger comme on peut, en usant de tous les moyens dont on peut disposer, même s'il faut parfois tordre le cou à quelques lois. Les bidonvilles ont fleuri et ce, dès les premières années de l'indépendance. La bidonvilisation se poursuivra et s'accentuera à mesure que la population augmente. Elle atteindra un pic durant les années 1995-2000. Les massacres à grande échelle ont poussé des milliers de citoyens à aller chercher refuge dans les grandes villes. Et ceux qui n'avaient pas chez qui loger, ne pouvaient que construire une baraque dans un des bidonvilles alentour de la cité. Ainsi, la demande en logement a explosé et dépassé largement l'offre. Les autorités, qui ont longtemps laissé faire, ont décidé ces dernières années de mettre un terme à la bidonvilisation et d'éradiquer tous les habitats précaires, après avoir relogé ceux qui les occupaient. Bonne nouvelle pour de nombreux citoyens qui espèrent bénéficier d'un logement décent. D'autres espèrent en tirer profit. Car il y a aussi des personnes qui ont fait des baraques de bidonville un véritable marché… Elles achètent une baraque, qui constitue une «promesse de logement», et la revendent dès son acquisition pour aller acheter une autre dans un autre bidonville et attendre une autre distribution de logements… c'est un marché juteux. Mais il y a ceux qui vivent un véritable calvaire et espèrent en sortir un jour. Chez ceux-là, la distribution de logements et la disparition d'un bidonville les rapprochent du rêve qu'ils n'ont cessé de caresser depuis des lustres… jusqu'à ne plus y croire, et viennent alors ces déménagements télévisés qui ravivent le rêve et lui redonnent ses couleurs, les couleurs de la vie… Après l'épisode de relogement des habitants de la cité bidonville de Diar Echems et ceux du bidonville d'Hydra, une lueur d'espoir est née et illumine le quotidien des habitants des bidonvilles de Diar El Kef (ex-carrière Jaubert), sur les hauteurs du quartier populaire de Bab El Oued. Établis sur les lieux depuis plus de dix ans, certaines familles s'y sont mariées et ont procréé. D'autres ont marié leurs enfants qui, évidemment, habitent aussi dans cet ensemble anachronique d'habitations de fortune en tôle, bois, contreplaqué, plastique, et, parfois, en briques ou parpaings grossièrement assemblés. Les enfants sont devenus adultes et rêvent aussi, comme leurs parents. Nous sommes partis à leur rencontre pour qu'ils nous disent ce qu'ils attendent et comment ils voient l'avenir, surtout après les opérations de relogement ayant touché d'autres bidonvilles d'Alger et les promesses des pouvoirs publics d'éradiquer les habitats précaires en Algérie et de reloger leurs habitants.«On nous a déjà fait la même promesse il y a cinq ans, mais avec la concrétisation du relogement des autres habitants de bidonvilles, nous y croyons dur comme fer», nous déclare Farid, âgé de 19 ans. Il regarde ses copains les invitant tacitement à parler. L'un d'entre eux ironise : «De toute façon, ils n'ont pas le choix. Cela fait bien longtemps que nous sommes ici, il est grand temps pour nous de partir, n'importe où, l'essentiel, c'est d'être à l'abri dans une véritable maison.» Un air de tristesse mêlé à de la révolte voile son visage. «C'est une honte pour nous d'habiter ces lieux. Surtout pour mes jeunes sœurs. C'est toute la réputation d'une famille qui est en jeu», martèle-t-il.Un peu plus bas, des jeunes, en âge de se marier et résidant chez leurs parents, parlent de la crise du logement. «J'ai 35 ans et je ne suis toujours pas marié à cause du logement. Cela n'est plus un problème mais un cauchemar. J'ai vu à la télévision que plusieurs habitants de bidonvilles ont été relogés. C'est une bonne chose pour eux. Mais quand je pense à mon propre sort je ne vois aucune solution. Toutes les formules sont chères. Avec mon salaire, je ne peux même pas envisager la location», déclare Samir. Avec une note d'humour, il ajoute : «Je vais me construire une baraque et attendre.» «Je vis chez mes parents en compagnie de mes cinq sœurs. Vous imaginez ma gêne, je me sens vraiment de trop. Le logement est un luxe que je ne pourrais pas m'offrir sauf si des formules allégées sont proposées aux jeunes. Dans le cas contraire, je vais m'établir dans une petite maison en Ternit ici sur cette placette, ainsi les autorités ne vont pas me rater», dira en riant Hichem, jeune étudiant. Un humour noir qui cache mal un véritable drame.Ces quelques déclarations reflètent une triste réalité de l'Algérie : des pans entiers de cette jeunesse qu'on considère comme la force motrice du pays sont destinés à être SDF. La crise du logement a engendré de véritables drames. Rappelons-nous l'histoire de ce jeune qui a assassiné sa vieille mère pour la déposséder de son logement ou de ce père de famille qui, ne sachant quoi faire pour éviter la rue à sa famille, a tué mère et enfants avant de se suicider. Violence, errance, harga et autres fléaux sont liés d'une manière ou d'une autre à la promiscuité et/ou à l'absence de logement. Ce manque, les jeunes le vive depuis si longtemps qu'ils ont, à leur corps défendant, fini par en faire un sujet de dérision, l'humour et l'autodérision aidant à faire passer l'amère pilule et à édulcorer une situation qu'on est fatigué de voir déboucher toujours sur des impasses. C'est pour cela que les promesses de lendemains qui chantent sont toujours prises avec des pincettes, avec circonspection. C'est pour s'éviter des déceptions, des désenchantements et des désillusions dont il est difficile de se relever… surtout quand on est déjà à terre.